Le Matin : La Fondation Majorelle possède un patrimoine d'une grande valeur. Comment parvenez-vous à le gérer ?
Madison Cox : C'est une responsabilité que nous exerçons avec une équipe formidable, comprenant la direction, les jardiniers, les équipes des musées, la sécurité, le personnel de vente.... C’est une solidarité remarquable réunissant 210 personnes qui œuvrent ensemble.
Proposez-vous des formations spécifiques pour développer les compétences de votre personnel dans la gestion du patrimoine de la Fondation ?
Nous accordons une grande importance à l’évolution de notre personnel. Nous recrutons de jeunes diplômés et encourageons la formation continue et le développement professionnel dans tous les services. Nous devons répondre aux attentes de nos visiteurs, tant marocains qu’étrangers, et promouvoir une approche pédagogique qui rende notre personnel plus à l’aise et passionné dans leur carrière. Nous proposons par exemple des programmes de langues étrangères et en arabe. Comme dans chaque famille, il est essentiel pour notre institution que nos collaborateurs évoluent en poursuivant des opportunités ailleurs, dans les musées, les hôtels, etc.
Nous lancerons mi-octobre un nouveau programme destiné aux élèves des écoles publiques, afin de démystifier notre mission et d’affirmer notre engagement envers la culture marocaine. Il est primordial que les Marocains comprennent que ce projet leur est avant tout destiné.
Le pourcentage de visiteurs marocains a-t-il augmenté après la pandémie de la Covid ?
La période de la Covid a été difficile pour nous tous. C’était la première fois que le Jardin fermait, alors que nous sommes habituellement ouverts toute l’année. Un jour, pendant cette période, il n’y avait que les jardiniers présents. J’ai rassemblé la directrice et d’autres membres de l’équipe, et j’ai pris conscience que notre communication à l’intérieur du pays était insuffisante. Il est essentiel de commencer par dialoguer avec les Marocains avant d’échanger avec les étrangers. Le premier jour de réouverture après la période Covid, nous avons offert l’accès gratuit à toutes les familles de nos équipes, et nous avons accueilli 4.000 personnes. Le week-end suivant, nous avons ouvert les portes à tout le quartier pour démystifier le jardin. À l’avenir, nous augmenterons le tarif pour les étrangers, mais nous tenons à garder un tarif préférentiel pour les Marocains afin de valoriser leur accès.
L’objectif est de leur montrer la richesse de leur patrimoine, qui est unique. Dans un monde où tout tend à se ressembler, l’identité culturelle revêt une importance capitale.
Comment la Fondation Majorelle parvient-elle à valoriser le patrimoine marocain tout en ayant une perspective extérieure ?
Cela fait plus de 50 ans que je connais le Maroc, et je suis résident ici depuis presque 30 ans. J'éprouve un profond respect et une admiration pour votre culture, qui est d'une grande richesse et diversité, englobant de multiples croyances. Dans un monde marqué par la division, ce que le Maroc accomplit est révolutionnaire, que ce soit dans le domaine des hôpitaux, des transports... Il faut être conscient de la richesse du patrimoine marocain qui le distingue, même de ses voisins les plus proches.
Les expositions temporaires illustrent l’influence du Maroc sur le travail d’un artiste ou un mouvement. Nous avons fait venir une collection d’Australie pour sensibiliser les visiteurs marocains à d'autres cultures et leur faire découvrir une fascination pour des symboles comme le serpent, afin de leur faire comprendre la puissance de leur propre héritage.
Comment se fait le choix des artistes exposés ?
Le processus de sélection repose sur un comité fixe, en étroite collaboration avec nos équipes. Alexis Sornin, directeur du Musée Yves Saint Laurent Marrakech, joue le rôle de chef d’orchestre dans cette démarche. J'ai eu le plaisir de l'assister, et nous avons veillé à impliquer différents services. Dans l’exposition «Jardin Majorelle : Qui sommes-nous ? /Man nahou ?/Who Are We ?», au lieu de produire un simple catalogue, nous avons opté pour une grande affiche où sont inscrits les noms de tous ceux qui ont contribué.
C’était essentiel de répondre à la question «Qui sommes-nous ?»
Nous avons jugé important d'expliquer toutes nos activités, ainsi que tout ce que nous soutenons et projetons pour l’avenir. D’ici la fin de novembre, nous allons inaugurer un pavillon temporaire, un petit bâtiment construit dans le jardin, dédié à des expositions liées au monde botanique. Cette initiative vise à sensibiliser à la sauvegarde de notre environnement, car le monde évolue rapidement, notamment en ce qui concerne la problématique de l’eau.
Nous travaillerons avec des architectes marocains, auxquels nous fournirons un budget pour réaliser l'exposition. Chaque exposition s’étendra sur deux ans. La première édition mettra en avant Hiba Bensalek une jeune architecte de Marrakech. C'est une manière de promouvoir la créativité et la jeunesse marocaine. Nous appliquons un concept similaire au musée Yves Saint Laurent, où nous engageons de jeunes cuisiniers au café studio pour concevoir le menu pendant six mois. Cela leur permet de se confronter à la réalité de la gestion d'un restaurant. Nous prenons en charge la gérance et leur offrons l'opportunité d'entrer sur le marché du travail. Tous les six mois, nous renouvelons le concept avec de nouveaux menus et chefs.
Songez-vous ouvrir Villa Oasis au public ?
Le Jardin accueille environ 4.000 personnes par jour. Avec un tel flux, les œuvres et tapis risquent d'être endommagés. Par ailleurs, je reçois fréquemment des demandes de jeunes étudiants en architecture, en histoire ou en décoration qui n'ont pas les moyens de financer leurs visites. Je suis ravi de leur permettre d’accéder à cet espace, car il est essentiel de partager ce patrimoine. Au parking, nous accueillons, chaque samedi, des producteurs de légumes organiques. C'est une initiative que nous soutenons avec enthousiasme.
Des projets à venir ?
Nous avons l'idée d'un centre de recherche, une bibliothèque. Bien que nous disposions déjà d'une bibliothèque consultable sur rendez-vous, nous avons reçu un nombre considérable de dons de livres. Nous envisageons donc de construire un bâtiment dédié, un lieu où chacun pourra venir trouver un espace de sérénité pour écrire, réfléchir et lire.