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Mehdi Boumalki : Quand le talent déploie ses ailes

On l’a vu vieillard, à la dégaine patibulaire et au regard lubrique sévissant au mépris des bonnes mœurs. On l’a vu Chikha, scandant les couplets de la Aïta, le rouge aux lèvres pimpantes et le regard charbonneux. On l’a également vu sur de nombreuses petites capsules, incarnant des personnages loufoques divers. Et c’est un succès à chaque fois. Mehdi Boumalki a pourtant choisi d’émigrer pour explorer d’autres horizons. Il nous raconte son parcours des bancs du conservatoire de Casablanca aux planches de Montréal.

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Le Matin : Racontez-nous votre première rencontre avec les planches et le début de cet amour pour le théâtre.

Mehdi Boumalki :
Quand j’avais 14 ans, je traînais avec un pote dans les méandres de la médina, un peu par oisiveté, à la recherche d’aventures palpitantes. Et là, par hasard, on est tombé sur le conservatoire du boulevard de Paris. Sans réfléchir, on est entré, alors qu’on n’était même pas inscrits – un peu comme des rebelles qui bravent l’interdit, tu vois ? À un moment, j’enfonce une porte et là, je tombe sur un gars qui porte une fille sur son dos. La fille jouait une guerrière et le gars faisait le cheval. Je suis resté bouche bée, à moitié ébahi, avant que le prof ne nous demande de refermer la porte. Cette image m’est restée en tête pendant des années. Sept ans plus tard, ça m’est revenu en mémoire, et je me suis dit : «Allez, je me lance dans le théâtre !» Ma première expérience s’est faite au Conservatoire d’Anfa, avec Abdelhak Khaïri, qui m’a pris sous son aile et m’a initié aux bases de cet art.

Vous avez cumulé des expériences à succès au Maroc. Quelles sont celles qui vous ont le plus marqué ?

Alors, le début avec Abdelhak Khaïri, en créant la troupe du Territoire, a été une expérience incroyable. On était jeunes, passionnés et on travaillait avec un prof dévoué. On jouait des classiques français, rien que ça ! Après cette expérience de sept ans, il y a eu l’épisode «19 h Théâtre», une troupe qu’on a montée entre amis du conservatoire pour créer nos propres spectacles. Youssef Lhrichi a écrit notre première pièce, «Lah ysleh», qui a eu un succès fou et j’y jouais l’un des rôles principaux. Ensuite, il y a eu «Kabareh Chikhate» avec Ghassan Elhalkim, où je jouais une Chikha. Ce spectacle était comme un purgatoire, vraiment libérateur, et en plus, ça portait un message important.

Vous avez commencé à collaborer avec des troupes internationales en étant au Maroc. Cela vous a-t-il ouvert des perspectives à l’étranger ?

Oui... et non. Les projets commençaient souvent au Maroc, donc à l’époque, je ne voyais pas forcément d’ouverture directe sur l’étranger. Mais là où ces collaborations ont vraiment pris tout leur sens, c’est dans la richesse du mélange culturel. En travaillant avec des troupes en France, j’ai découvert comment chaque culture pouvait apporter sa propre touche, son propre rythme et même ses propres codes de jeu. C’était fascinant de voir comment nos différences pouvaient non seulement coexister, mais aussi se nourrir mutuellement pour créer des spectacles plus riches et plus profonds. Chaque projet devenait une sorte de laboratoire où l’on testait l’alchimie entre nos divers horizons et c’est cela qui était vraiment stimulant.



La décision de partir au Canada était-elle directement liée au théâtre ou découlait-elle d’un désir plus global d’émigrer et de découvrir le monde ?

Non, pas vraiment. J’avais l’idée d’immigrer au Canada depuis mes 20 ans, mais ça a pris 10 ans au lieu des 9 mois prévus. Quand l’occasion s’est enfin présentée, j’avais un peu fait le tour de ma vie au Maroc et j’étais prêt à découvrir de nouveaux horizons, rencontrer d’autres personnes, et surtout, me challenger. C’était autant une envie d’aventure que de me réinventer ailleurs.

Retourner sur les bancs de l’école après un parcours professionnel est toujours courageux. Comment avez-vous vécu cela ?

Je vais être honnête : cela n’a pas été simple. Je suis arrivé au Canada le 5 mars 2020... Une semaine plus tard, ils annonçaient la fermeture des aéroports. Je ne connaissais presque personne. J’ai commencé l’école dans un contexte totalement absurde : on faisait du théâtre... masqués ! Et non, ce n’était pas du théâtre de masques. Ce contexte rendait difficile la création de liens avec les autres, vu toutes les restrictions. Mais je pense que si la Covid n’avait pas été là, je n’aurais peut-être pas réussi à finir ces trois ans d’école. Donc au final, c’était presque parfait.

Mais alors, dans un système complètement nouveau et strict, comment s’est déroulé ce cursus ?

Il a fallu s’adapter, bien sûr ! Le début n’a pas été facile, surtout en arrivant dans un système complètement différent de ce à quoi j’étais habitué. Les méthodes, les attentes, tout était un peu déstabilisant au début. Mais petit à petit, j’ai apprivoisé ce nouvel environnement. J’ai eu la chance de travailler avec une vingtaine de professeurs, chacun apportant son propre bagage d’expériences, ce qui a enrichi mon apprentissage d’une manière que je n’aurais jamais imaginée. Ensemble, on a mené de nombreux projets créatifs qui m’ont vraiment poussé à me dépasser. Mais au-delà des techniques de théâtre que j’ai apprises, la plus grande leçon a été sur moi-même. Ce cursus m’a permis de me découvrir en tant qu’artiste, d’explorer qui je suis sur scène et en dehors. C’était un véritable parcours intérieur et je crois que c’est ce que je retiendrai le plus : cette découverte profonde de mon identité artistique.

Vous avez pratiqué le théâtre au Canada et au Maroc. De manière subjective, quel regard portez-vous sur les deux pratiques ?

On pourrait dire que c’est comme comparer deux mondes parallèles. Au Canada, les infrastructures sont vraiment solides, avec des écoles bien établies et des bases théâtrales qui sont profondément ancrées. On sent qu’il y a un véritable soutien, à la fois institutionnel et financier, qui permet aux artistes de s’exprimer pleinement. Au Maroc, il y a des structures, mais elles sont souvent moins accessibles et l’écosystème culturel est plus précaire. La différence se ressent particulièrement dans l’organisation, la diffusion des spectacles et même la communication autour des projets. Ici, à Montréal, les théâtres sont indépendants, avec leurs propres budgets et une autonomie qui leur permet de fonctionner avec plus de liberté. Cela dit, ce n’est pas parfait non plus : la culture reste un secteur fragile partout, mais ce qui est vraiment encourageant ici, c’est la solidarité entre les artistes pour faire avancer les choses, malgré les défis.

Aujourd’hui, vous êtes sur l’affiche de «Faire le bien» au Théâtre du Rideau Vert. Parlez-nous de cette pièce et de votre rôle dedans.

«Faire le bien» est une pièce fascinante issue d’une collaboration entre le Théâtre du Rideau Vert et le Conseil national des arts. Ce projet met en lumière une troupe de huit jeunes comédien(ne)s, tous issus des auditions du 4 Sous, où les finissants de toutes les écoles de théâtre se présentent. La pièce explore les défis contemporains liés à la gestion des ressources humaines et à l’éthique professionnelle. Elle traite de la manière dont on peut adopter des pratiques saines tout en évitant les conflits, en écoutant attentivement et en se remettant constamment en question. Le titre «Faire le bien» semble simple, mais il recouvre une réalité complexe où chaque mot compte, chaque geste est pesé et où chaque intention est examinée sous un microscope. Les personnages sont confrontés à des dilemmes, où le désir de faire les choses correctement entre souvent en conflit avec l’intransigeance et l’esprit de compétition qui règnent dans notre société.

Écrit par François Archambault et Gabrielle Chapdelaine, deux auteurs remarquables pour leur capacité à capturer les angoisses et les bouleversements de notre époque avec finesse et humour, «Faire le bien» se déploie en une douzaine de vignettes. Sous la direction du talentueux metteur en scène Claude Poissant, la pièce propose une série de situations à la fois drôles, touchantes et saisissantes. C’est un miroir des défis éthiques et professionnels auxquels nous sommes tous confrontés, tout en nous rappelant l’importance de rester humain dans un monde de plus en plus compétitif. Dans cette production, je suis ravi de partager la scène avec une équipe dynamique de finissants, dont l’électrisante Ève Landry. Ensemble, nous donnons vie à cette œuvre qui nous pousse à réfléchir sur notre propre manière de «faire le bien».

Quels sont vos projets en cours ou à venir ?

Je suis actuellement impliqué dans un projet théâtral passionnant qui est une coproduction entre la France et le Canada. Ce projet promet d’être un pont culturel fascinant, mêlant les influences des deux pays pour créer quelque chose de vraiment unique. De plus, je travaille sur un autre projet qui sera présenté à Avignon l’année prochaine. C’est une opportunité incroyable et je suis enthousiaste à l’idée de partager ce travail avec un public international.

Je passe aussi beaucoup de castings pour la télévision et le cinéma. Bien que les résultats ne soient pas encore au rendez-vous, je reste motivé et persévérant. En parallèle, je développe plusieurs projets personnels d’écriture. J’ai plein d’idées en tête et j’aimerais explorer différentes avenues créatives. Il y a tellement de choses que j’aimerais réaliser, et maintenant il est temps de choisir par où commencer et comment concrétiser ces projets.
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