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Quand Yassine Adnane s'attaque à l’orientalisme

Et si nous croyions tous les mensonges qu’on disait de nous ? Et si le monde arabe s’était approprié une image réfléchie par le miroir colonial ? C’est la problématique soulignée et savamment traitée par l’écrivain, poète et homme des médias Yassine Adnane dans son nouveau concept en langue arabe « De l’orientalisme », produit et édité par le centre d’étude Moujtama. En invitant des intellectuels et experts de domaines divers, issus des différents pays du monde arabe, Yassine Adnane trie le bon grain de l’ivraie de tout ce qu’on a dit/écrit sur l’Orient.

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S’il va sans dire que l’Orientalisme a souvent porté préjudice aux pays arabes en simplifiant leurs cultures et en essentialisant les stéréotypes négatifs, le plus souvent dans des buts politiques et coloniaux, il n’est pas du tout évident de mesurer l’ampleur de l’intrusion orientaliste dans la construction des identités et des histoires modernes desdits pays. Heureusement que le champ de la recherche sur cette question est aujourd’hui investi par des intellectuels, de spécialités et de sensibilités diverses, qui œuvrent à cerner les productions orientalistes, armés de bon sens et d’esprit critique.

Les invités de Yassine Adnane, dans «De l’orientalisme», reviennent sur tout cet héritage historique, en observant une rigueur scientifique qui protège leurs postulats. Et tout en démontrant l’étendue des mensonges volontaires dans ces productions pré-coloniales, ils reconnaissent le rôle de certains orientalistes qui ont déterré des écrits anciens et des trésors de connaissance tombés dans l’oubli.

L’orientalisme comme arme coloniale

Si la majorité des orientalistes étaient des écrivains ou des artistes voyageurs, il est crucial de noter qu’ils sont souvent venus dans le cadre de missions avec des objectifs précis. Mandatés par les pouvoirs de leurs pays, ils devaient permettre à l’Occident de comprendre l’Orient et de le cerner pour mieux le contrôler. Il est aujourd’hui évident que les récits orientalistes ont souvent servi à légitimer la colonisation des populations arabes. C’est le propos de l’universitaire jordanien Georges El-Far qui pointe la fâcheuse tendance des orientalistes à souligner les différences entre les cultures et les ethnies dans un même pays, afin de créer la discorde et de mieux régner.

>> Lire aussi : Yassin Adnan invité du Book Club «Le Matin»

De son côté, l’Égyptien Mohamed Afifi abonde dans ce sens en expliquant qu’en dépeignant les Arabes et les Orientaux comme des «Autres» exotiques et inférieurs, l'orientalisme a contribué au déni de l’histoire et de l’identité arabe. Spécialiste de l’Expédition française en Égypte, l’universitaire démontre comment ces écrits pouvaient être criants de mensonges et d’inexactitude, en comparaison avec des écrits de voyageurs issus d’autres régions du monde.

Si l’Égyptien Yaser Qonsowa partage le propos, il invite à éviter de tomber dans le piège des conspirationnistes qui rejettent en bloc tout ce que l’orientalisme a produit, y compris dans ses aspects positifs. L’universitaire invite donc à recourir à plus de rigueur scientifique, pour ne pas verser dans la sensiblerie et l’opposition systématique. Il rappelle, à juste titre, que l’orientalisme est aujourd’hui encadré par des centres de recherches et des laboratoires universitaires, alors qu’il était le résultat de travaux individuels par le passé.

Une culture amoindrie

Les orientalistes ont souvent réduit la diversité culturelle des pays arabes en l’enfermant dans des clichés simplistes, faisant fi des nuances et des particularités de chaque société. Dr Naila Abi Nader souligne que l’orientalisme a eu du mal à contenir la complexité de la culture islamique, en fermant les yeux sur les us et coutumes, les comportements, les valeurs et les relations sociales propres à chaque communauté. Pour l'enseignante, il est essentiel de reconnaître qu'il n'y a pas une seule culture islamique, mais plutôt une diversité culturelle autour de la religion islamique, afin de rendre justice au monde arabo-musulman.

Dans un épisode traitant de l’art, Yassine Adnane discute avec le chercheur et critique d'art marocain Ibrahim Alhissen des œuvres de peintres, dont certains n’ont jamais voyagé en Orient, qui ont utilisé ce cadre pour exprimer leurs fantasmes bourgeois, en représentant des femmes nues dans des poses provocantes. Ces représentations très souvent réductrices de la culture et de la morale dans les pays arabes ont fortement participé à la distorsion de l’Histoire et de la mémoire collective, que ce soit en Occident ou en Orient. Ceci étant dit, le chercheur reconnaît la valeur esthétique et historique d’un tel héritage, comme c’est le cas dans l’œuvre de l’artiste Eugène Delacroix.

L'orientalisme a profondément influencé le domaine de la musique en façonnant les représentations culturelles occidentales. À travers la composition musicale, des artistes qui pour la plupart n’ont jamais mis les pieds en Orient ont souvent cherché à évoquer des atmosphères exotiques et mystérieuses, créant une esthétique sonore imprégnée de clichés et de stéréotypes. C’est avec l’universitaire et le compositeur marocain Nabil Ben Abdeljalil que l’émission a décortiqué les sonorités, prégnantes, mais limitées, référant à l’Orient aujourd’hui.

Plusieurs autres épisodes, décortiquant l’orientalisme sous des angles divers, sont à découvrir sur la chaîne «YouTube Moujtama». Ce travail essentiel a le potentiel de susciter une réflexion grand public sur les fondements des identités arabes contemporaines.
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