Menu
Search
Samedi 18 Mai 2024
S'abonner
close

PLF 2024 : Les attentes des laboratoires pharmaceutiques au-delà du dossier de la TVA

L’industrie pharmaceutique n’est pas opposée à la proposition d’exonération de la TVA sur les médicaments apportée par le projet de loi de Finances 2024. Cependant, elle regrette que l’impact de cette mesure sur l’investissement, la compétitivité, l’emploi et la souveraineté nationale ne soit pas étudié ni pris en compte. Mohamed El Bouhmadi, président de la Fédération marocaine de l’Industrie et de l’innovation pharmaceutiques, invité de l’émission «L’Info en Face» de Groupe «Le Matin», reste optimiste et espère que le passage de cette proposition à la deuxième Chambre sera l’occasion de rectifier le tir.

L’industrie pharmaceutique est-elle opposée à la proposition d’exonération de la TVA sur les médicaments apportée par le projet de loi de Finances 2024 ? Visiblement non .«Nous ne sommes pas contre l’exonération de la TVA sur les médicaments. Au contraire, c’était attendu. Parce qu’il n’est pas normal qu’un patient soit doublement taxé : par la maladie et par la TVA. C’est logique aussi que cette exonération arrive aujourd’hui, car l’État, premier payeur de l’Assurance maladie obligatoire, devra sinon récupérer la TVA d’une main pour la payer de l’autre. Donc, nous sommes pour l’exonération de la TVA sur les médicaments», répond d’emblée Mohamed El Bouhmadi, président de la Fédération marocaine de l’Industrie et de l’innovation pharmaceutiques (FMIIP), invité de l’émission «L’Info en Face» de Groupe «Le Matin».



D’ailleurs, rappelle-t-il, «dans plusieurs pays, cette taxe est soit réduite, soit à taux zéro». Cependant, nuance notre invité, «ce qui dérange c’est que cette exonération aura des effets et des dommages collatéraux qui n’ont, jusqu’à maintenant, pas été pris en compte dans le projet de loi de Finances 2024, notamment son impact sur l’investissement, l’emploi, la compétitivité et la souveraineté nationale».

TVA : les industriels souhaitent être «hors champ» à l’achat comme à la vente

Sur les 17 milliards de chiffre d’affaires annuel de l’industrie pharmaceutique, environ 600 millions de DH de TVA sont versés à l’État chaque année. «Pour moi, cette TVA, payée aujourd’hui, ne doit pas exister», insiste El Bouhmadi. Or, rappelle-t-il, cette proposition porte sur l’exonération de la TVA sur les médicaments, les intrants et les articles de conditionnement non réutilisables. Ce qui ne représente que 25% du coût TVA d’un médicament. «Le reste de la TVA payée, c’est l’investissement, l’énergie, la Recherche & Développement et la sous-traitance. Quand nous fabriquons un médicament chez un partenaire, il nous facture à 20% de TVA», partage le président de la FMIIP. Ainsi, estime l’invité de l’émission, «avec cette proposition d’exonération, nous n’aurons plus de synergie entre établissements pharmaceutiques. La sous-traitance de distribution ne pourra plus se faire. Idem pour la sous-traitance de la promotion médicale. Nous ne pourrons plus avoir accès à ces services». C’est pourquoi El Bouhmadi recommande de considérer l’industrie pharmaceutique comme un écosystème global dans lequel les industriels sont hors champ TVA aussi bien pour la vente que pour l’achat. «Dans le cas contraire, nous pouvons revenir à la situation antérieure à cette proposition, avec une exonération de la TVA pour la plupart des produits et le droit à la déduction pour le reste», propose-t-il. La FMIIP représente 75% de l’industrie pharmaceutique, 90% des médicaments fabriqués au Maroc et 90% de l’investissement qui est de l’ordre d’un milliard de DH chaque année. «Il s’agit d’un secteur qui a été placé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, à un niveau stratégique. Il faut qu’il soit aussi stratégique dans les faits», assène El Bouhmadi. Or, estime-t-il, «avec cette proposition d’exonération, on favorise l’importation au détriment de la fabrication locale. Le médicament étranger va être importé à un taux zéro et vendu à un taux zéro. Il n’y aura donc pas de valeur ajoutée pour le Maroc puisqu’il n’y aura pas de TVA à payer. Ce qui n’est pas le cas des médicaments produits localement, qui nécessitent des investissements pour lesquels la TVA est payée, ou des services cités précédemment».

Des fast-track pour l’agrément des médicaments fabriqués au Maroc

Autre élément qui favorise l’importation au détriment de la fabrication locale, selon l’invité de l’émission, la lenteur des procédures administratives. En effet, le secteur compte aujourd’hui 54 laboratoires pharmaceutiques contre 8 seulement dans les années 1950. Sur le nombre actuel de laboratoires existants, 33 sont membres de la FMIIP. Malgré cette croissance, le nombre de médicaments produits localement a régressé au profit de ceux importés au fil des ans. «Dans les années 2000, la fabrication locale répondait à 80% des besoins en médicaments (en valeur). Aujourd’hui, elle représente 52% en valeur et 78% en unités. Qu’est-ce qui explique cette accélération de l’importation ? Lorsque vous voulez lancer un produit à l’importation, la procédure prend, en général, 12 mois. Quand vous comptez produire un médicament localement, la durée nécessaire est de 3 ans», révèle le président de la FMIIP. C’est pourquoi, propose-t-il, «nous demandons des fast-track pour les médicaments fabriqués localement». Par ailleurs, insiste l’invité de l’émission, «nos usines sont capables de produire beaucoup plus». Cette capacité de produire plus est telle que le potentiel de substitution de produits importés est de l’ordre de 2 milliards de DH. Concernant l’export, 10% seulement de la production locale est vendue à l’international et le poids de l’industrie dans le PIB est également faible : entre 1 et 1,5%. Cependant, insiste El Bouhmadi, «c’est une industrie en croissance, très prisée par les fonds d’investissement qui viennent s’installer au Maroc parce qu’ils savent qu’elle a du potentiel. Concernant l’exportation, l’Agence marocaine de développement des investissements et des exportations (AMDIE) nous accompagne».

R&D : un crédit-impôt recherche serait le bienvenu

Plusieurs pays ont décidé de soutenir massivement leur industrie pharmaceutique. En Inde, par exemple, le secteur bénéficie de subventions pour le transport et l’exportation. «Au Maroc, il faudrait par exemple, et c’est un minimum, avoir droit à des crédits-impôts pour la Recherche & Développement. Car aujourd’hui, les laboratoires marocains financent eux-mêmes leurs recherches qui sont faites soit en laboratoire propre, soit à travers des conventions avec des universités. Certains laboratoires ont même des brevets, et c’est une bonne chose. Ce qu’il faudrait, c’est passer du transfert de technologie vers la R&D et l’innovation», ambitionne le président de la FMIIP. Et c’est là où le bât blesse : l’investissement en R&D n’a pratiquement pas bougé ces 15 dernières années. «Faute de moyens», répond El Bouhmadi. Et d’ajouter : «certes, l’industrie n’a pas à se plaindre (financièrement parlant, ndlr), mais elle n’a pas les marges que les gens imaginent : la marge avant impôt varie entre 10 et 15% seulement, soit entre 8 et 9% de marge nette. Ce niveau ne permet pas de financer des recherches comme celles menées par les Big Pharma. Un IS moins élevé permettrait par exemple de financer une partie de ces recherches au Maroc», explique l’invité de «L’Info en Face». Ce qui permettrait au moins de «démarrer».

En attendant, la FMIIP continue à militer pour que ses doléances relatives à l’exonération de TVA soient entendues. «Nous avons rencontré des politiques et des députés. Nous avons aussi fait des réunions avec la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) dont nous faisons partie. Mais on ne peut être mieux défendu que par soi-même. Nous sommes au cœur de cette bataille et savons exactement l’impact que nous allons subir», explique El Bouhmadi. Les industriels restent convaincus que cette proposition a tout pour affaiblir leur secteur et font tout pour se faire entendre : «nous avons du mal à passer notre message et à expliquer l’enjeu et l’impact de la TVA sur notre industrie pharmaceutique. La proposition est passée à la première Chambre sans que nous puissions faire entendre notre voix», regrette l’invité de «L’Info en Face». Le président de la FMIIP reste toutefois optimiste. «J’espère qu’au niveau de la deuxième Chambre, les choses vont être rectifiées. Tout ce que nous demandons, c’est que nous soyons traités comme des industriels à part entière».
Lisez nos e-Papers