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Les remèdes pour traiter les maux du transport terrestre de marchandises au Maroc

Libéralisé en 2003, le secteur du transport terrestre de marchandises fait face à plusieurs problèmes. Il est rongé par sa sinistralité, par l’informel, l’atomicité et la pratique de la sous-facturation et de la surcharge. Mais des tentatives de le redresser sont engagées.

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Un géant aux pieds d’argiles. Le secteur du transport terrestre de marchandises, qui représente 20% du PIB national, a beaucoup de mal à se développer correctement et dans la transparence. Ce dernier, où s’activent plus de 74.000 entreprises opérant avec plus de 74.000 véhicules, fait face à plusieurs problèmes. Atomicité, informel, sous-facturation, surcharge, sinistralité... les maux sont nombreux. Et visiblement, sa libéralisation entamée en 2003, qui était censée contribuer à son développement, n’a pas atteint les objectifs escomptés. Et depuis, les ministres de tutelle se sont succédé et avec, à chaque fois, des tentatives de redressement et de réformes qui n’arrivent pas à aboutir. Durant l’actuel mandat de l’actuel ministre du Transport et de la logistique, on tente une fois de plus de sortir le secteur de son anarchie tout en essayant de faire face aux fluctuations géopolitiques et économiques qui le perturbent. Les négociations entre le ministère et les professionnels ont repris en 2021.

L’accoutumance au soutien

Tout le monde se rappelle que, durant cette année, les prix du pétrole ont flambé. Ce qui a poussé le gouvernement à prendre des mesures drastiques pour sauver le secteur du transport. La trouvaille en urgence était de soutenir financièrement les transporteurs. Une mesure, dite exceptionnelle, mais qui allait se répéter plusieurs fois pour durer dans le temps. Ce qui peut donner lieu à une accoutumance ou à une sorte d’addiction. Pire encore, selon un professionnel, cela pourrait s’apparenter «à une rente même si la mesure est fortement louable, car elle a été prise en urgence et a permis de sauver le secteur».

L’indexation très attendue

Or depuis un certain temps, la fédération du transport milite pour un système d’indexation qui permet de répercuter les variations des prix du carburant sur la tarification via la loi comme cela se passe sous d’autres cieux notamment en France qui l’a instaurée via une loi (Loi du 5 janvier 2006). Dans l’Hexagone, l’indice du gasoil permettant de calculer les variations du prix sur le marché international est défini par le Comité national routier (CNR). D’ailleurs, c’est l’un des sujets des discussions entre les professionnels et le ministère du Transport. Aujourd’hui, il y a un projet de loi, qui est passé par le Secrétariat général du gouvernement (SGG) pour atterrir au Conseil de la concurrence. Une fois adopté, ce système instaura une transparence dans le secteur.

La boîte à pandore est ouverte

L’autre point, sujet de discussion entre la tourelle et les professionnels, porte sur l’accès à la profession du transport de marchandises. Sur ce point, il faut rappeler que le secteur du transport terrestre de marchandises a été libéralisé en 2003. Une libéralisation qui, aux dires des professionnels, a ouvert la boîte à pandore. La loi actant cette libéralisation avait, entre autres, comme objectif de combattre l’informel et d’intégrer les entreprises qui s’y activaient dans le formel, de transformer l’ONT (Office national des transports) en SA et puis la mettre sur le circuit de la concurrence, créer de nouveaux métiers comme celui des Freight Forwarders, abandonner la Tarification routière obligatoire (TRO) (une erreur selon les observateurs) et élaborer une période des prix de référence...

Selon un autre professionnel, «il était question d’absorber les petites entreprises informelles et les intégrer dans le formel dans un délai d’un an, mais rien n’a été fait». Pire encore, l’activité du transport terrestre de marchandises, dont l’accès est devenu très facile, a attiré du monde. Conséquence, le secteur a été submergé par une pléthore de transporteurs favorisant le développement de l’informel avec toutes ses manifestations dont la hausse de la sinistralité. Ce n’est pas tout, puisque notre interlocuteur affirme que cela a donné lieu «à la sous-facturation pratiquée aussi bien par certains transporteurs que par certains chargeurs». Pour encadrer l’accès à la profession, un avant-projet de décret a été élaboré, mais la question à se poser est de savoir s’il va pouvoir réellement réguler le secteur, et ce au regard du passif très lourd de ces derniers (comment faire avec les nombreux transporteurs qui exècrent depuis des années et qui s’inscrivent en faux vis-à-vis de ses dispositions ?) Quoi qu’il en soit, ce texte aura le mérite d’exister et de combler le grand vide juridique relatif à l’accès à la profession. Des ajustements peuvent se faire par la suite.

Réorienter la prime du renouvellement du parc

Il y a aussi le problème du renouvellement du parc qui, selon les professionnels, doit être réorienté vers les catégories qui en ont besoin. Là, il faut rappeler qu’il y a des petits camions qui doivent charger 3 à 5 tonnes maximum, mais qui se permettent de transporter des poids allant jusqu’à 18 tonnes. Là, la combine est simple, il suffit de renforcer les essieux et les ressorts des camions de 5 tonnes pour qu’ils puissent augmenter le poids qu’ils transportent. Ce qui fait d’eux des bombes roulantes. «L’idée ici est de réorienter la prime du renouvellement du parc vers ses camions pour les transformer en véhicules pouvant transporter légalement 18 tonnes», précise notre interlocuteur.

Le manifeste du fret

Dans le secteur du transport terrestre de marchandises, il y a un autre problème qui se rapporte à la non-application du manifeste du fret. Un document pourtant prévu par la loi de libéralisation de 2003 et qui assure une protection juridique notamment pour les chargeurs puisqu’il comprend entre autres le tonnage de la marchandise et sa valeur. Ce qui permet de faciliter l’indemnisation assurantielle en cas de sinistre. Il permet aussi de protéger le transporteur en cas de surcharge. Aujourd’hui, c’est ce dernier qui en est tenu responsable. En France, lorsqu’il y a surcharge, la coresponsabilité du chargeur et du transporteur est engagée. Mieux encore, en cas de récurrence de la surcharge, une présomption de sous-tarification est automatiquement déclarée. Elle pèse aussi bien sur le chargeur que sur le transporteur. «C’est l’un des moyens de contrôle qui nous manque au Maroc. Et tant que nous ne disposons pas de ces outils, il ne faut pas s’attendre à la réussite de la réforme du transport», note notre interlocuteur. Cela étant, il semblerait que le département de tutelle essaie, tant bien que mal, de faire valoir le manifeste du fret. Réussira-t-il là où ces prédécesseurs ont échoué, c’est-à-dire vaincre le Typhon de l’informel ? Ce dernier, pour rappel, représente plus de 70% du secteur.

Le petit tonnage qui ne l’est pas

L’une des solutions envisagées (comme cela se fait sous d’autres cieux) pour faire face au problème de la surcharge et ses conséquences est de limiter les déplacements des véhicules, dont le poids transporté ne pouvant pas légalement excéder 900 Kilogrammes à l’intérieur de la ville (en pratique il transporte jusqu’à 10 tonnes). Le camion avec un poids de 5 tonnes doit circuler au niveau de la province ou de la préfecture. Et celui transportant dix tonnes pourra circuler au niveau de la région.

L’utopique décrabonation

L’autre volet qui taraude aussi bien les professionnels que la tutelle est celui portant sur la décarbonation du secteur. Un processus imposé par le premier partenaire commercial du Maroc, qui est l’Union européenne (UE). «Aujourd’hui, pour dire les choses telles qu’elles sont, comment peut-on imaginer la décarbonation du transport alors que plus de 30% des véhicules ont plus de 40 ans et près de 60% ont plus de 10 ans», se demande un autre professionnel. Aujourd’hui, l’application de la Taxe carbone au sein de l’UE est reportée à chaque fois. Mais si elle est appliquée, les dégâts sur les transporteurs et sur l’économie nationale seront lourds. À noter à ce niveau que la majorité des véhicules marocains ne répondent pas à la norme «Euro 6 et 7» (norme sur l’émission des particules). Mais certains sont tout à fait aux normes européennes. Toutefois, le problème du calcul de l’empreinte carbone se pose et il nécessite des formations pointues.
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