C’était attendu. Bank Al-Maghrib (BAM) a décidé de relever le taux directeur de 50 points de base (pbs) à 2,50% suite à la tenue de son dernier conseil de l’année, le 20 décembre. Alors que certains experts et analystes tablaient sur une augmentation de 75%, la Banque centrale a fixé le relèvement de ce taux de 50 pbs. Pour Abdellatif Jouahri, gouverneur de BAM, qui s’exprimait lors du point de presse à l’issue de la réunion du Conseil à Rabat, ce niveau d’augmentation a été décidé sur la base des modèles de calculs de la Banque centrale qui montrent, en quelque sorte, le taux directeur en ligne avec les niveaux d'inflation enregistrés.
En plus, assure le Wali, il y a le fait que l'inflation s’inscrirait dans une baisse quand même, même si elle reste à des niveaux élevés. Elle passerait de 6,6% pour l’année en cours à 3,9% en 2023. S’agissant de l’impact de la hausse précédente du taux directeur sur les taux débiteurs des banques, Jouahri affirme qu’il est encore tôt de pouvoir faire une analyse dans ce sens pour la simple et bonne raison que l’enquête sur les taux débiteurs appliqués par les banques à la clientèle se fait trimestriellement et que l’on doit attendre le quatrième trimestre pour voir comment les banques ont répercuté les 50 points de base sur leur clientèle. En plus, poursuit-il, il y a un deuxième point qui joue dans cette équation à savoir le fait qu’il y a les échanges de contrats. En d’autres termes, les banques ne peuvent pas procéder à un changement de taux avant l’échéance d'un contrat. «Donc, nous sommes en train d'attendre la fin de l'année pour pouvoir livrer les résultats de l'enquête trimestrielle sur les taux débiteurs appliqués par les banques. C’est ainsi qu’on sera en mesure de mieux apprécier l'impact», souligne le gouverneur.
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GAFI : la sortie du Maroc de la liste grise pour février ?
Le groupe d’action financière (GAFI) devra statuer en février prochain sur la sortie du Maroc de la liste grise. Une visite de sa délégation dans le Royaume est programmée pour le 16 janvier prochain. L’objectif de cette délégation est de faire le point sur l’application effective par le Maroc des recommandations de ce groupement international intergouvernemental. La délégation prendra ainsi des contacts avec les secteurs essentiellement ciblés par les recommandations du GAFI. Un rapport sera par la suite soumis à l’assemblée générale de cet organisme en février 2023. Celle-ci statuera donc sur la sortie du Maroc de la liste grise. «Cette décision devrait ainsi permettre au Maroc d’enclencher les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) pour l’obtention de la Facilité modulable. Ce mécanisme du FMI permettra de faciliter les sorties du Trésor marocain sur le marché international de la dette de manière fluide. De même, ce mécanisme est pris en considération par les agences de notation internationales dans leurs processus de notation souveraine du Maroc», explique Jouahri. Pour rappel, le GAFI est un organisme intergouvernemental créé en 1989 par les ministres de ses États membres.
Ces objectifs concernent l’élaboration des normes et la promotion de l’application efficace de mesures législatives, réglementaires et opérationnelles en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et les autres menaces liées pour l’intégrité du système financier international. Ce groupe d’action financière est donc un organisme d’élaboration des politiques qui s’efforce de susciter la volonté politique nécessaire pour effectuer les réformes législatives et réglementaires dans ces domaines. Une précision importante : la sortie de la liste grise est une condition importante pour que le Royaume puisse prétendre à la ligne de crédit modulable auprès du FMI. Cette dernière a, en effet, l’avantage d’être ouverte, contrairement à la Ligne de précaution et de liquidité (LPL). «Si le Maroc sort de la lise grise du GAFI en février prochain et qu’ensuite les négociations avec le FMI se déroulent bien, le Royaume pourra être éligible à cette ligne à partir de mars 2023», indique le Wali de BAM.
Régime de change : la 2e étape de la flexibilisation du dirham doit encore attendre
S’agissant du régime de change, Jouahri assure que la dernière mission du FMI au Maroc, selon l’article IV, n’a pas évoqué la «flexibilisation du dirham». D’ailleurs, précise le Wali de BAM, durant les discussions avec le FMI, le Maroc a souligné qu’il n’est pas opportun en ces temps de crise d’opérer le passage à la deuxième étape de ce processus. Ceci étant, la Banque centrale procède trimestriellement à des analyses pour s’assurer que la valeur du dirham correspond à la réalité de l’économie nationale. Jusqu’ici, ces analyses confirment, selon le patron de la Banque centrale, que la valeur du dirham est en parfait alignement avec les données réelle de l’économie nationale. «Aucun désalignement du dirham n’est ainsi relevé pour procéder à une dévaluation», insiste Jouahri. En bon expert des politiques monétaires, le gouverneur de BAM affirme que la valeur d’une monnaie n’est pas calculée sur la base du bilan commercial, même si ce dernier est une donnée importante dans ce calcul. «Les agences de notation internationales, dans le cadre de leurs analyses d’un pays et de sa notation souveraine, s’intéressent d’abord et surtout à un premier critère très important et hautement stratégique à savoir la stabilité», souligne le patron de l’Institut d’émission. Car, estime-t-il, la stabilité et la sécurité sont deux conditions importantes pour tout processus de développement économique.
D’ailleurs, ajoute Jouahri, ces agences de notation soulignent de manière claire dans leurs analyses pour le Royaume que «le Régime Monarchique est garant de la stabilité et de la sécurité du pays». Selon lui, le FMI souligne dans ces analyses pour le Maroc, l’accélération du train de réformes. Un point que partage le wali avec le FMI. Car, pour Jouahri, c’est en ces temps de crise que les réformes doivent être accélérées. Il cite ainsi l’exemple de l’élargissement de la protection sociale qui permettra au Maroc de destiner les aides aux populations fragiles à travers un système de ciblage. Ce qui aura la vertu de supprimer le système de compensation à partir de 2024 et, partant, disposer d’une marge de manœuvre budgétaire pour booster l’investissement et le rendre plus efficient. Le gouverneur de BAM précise tout de même que le gouvernement doit, en parallèle à cette réforme, moduler et mettre à niveau l’infrastructure hospitalière suite au basculement des Ramedistes vers le régime de l’assurance maladie obligatoire (AMO). «Ce n’est qu’ainsi que le citoyen gagne davantage de confiance en ces décisions. Donc, conclut le wali, la confiance aux côtés des deux autres facteurs, la stabilité et la sécurité, font l’essentiel de la valeur d’une monnaie d’un pays».
Inflation : Une sortie de BAM sur le marché secondaire est possible
Pour contrer l’inflation, les banques centrales activent deux instruments essentiels : le taux directeur et les réserves obligatoires. Pour Jouahri, si les besoins du Trésor se font sentir, Bank Al-Maghrib pourrait sortir sur le marché secondaire pour acheter des bons du Trésor afin de réguler la liquidité. Jusqu’à présent, le Trésor a utilisé ce dont il dispose, telle la Ligne de précaution et de liquidité (LPL), soit 21 milliards de DH. Pour son financement, le Trésor dispose également du marché des adjudications. «Si l’ensemble de ces fonds ne suffit pas, la Banque centrale ira au marché secondaire pour acheter les obligations de l’État. Le Maroc a jusqu’ici utilisé les réserves obligatoires dans un premier temps et puis a opéré le relèvement du taux directeur dans un deuxième temps pour faire face à l’inflation», précise Jouahri. «Pour le règlement d’une échéance de la LPL, le Trésor a utilisé les réserves de la Banque centrale. Il ne l’a pas fait sur le marché extérieur vu les conditions actuelles de ce dernier, mais je pense que c’est envisageable pour le début de l’année prochaine pourvu que les conditions soient favorables. Si la Banque centrale procède à des achats d’obligations de l’État sur le marché secondaire, ce sera pour la première fois de l’histoire du pays. Cette opération est, d’ailleurs, conforme aux statuts de BAM et à la conduite des politiques monétaires. BAM s’est même bien préparée à ce processus en concoctant le cadre de l’opération et les écritures comptables y afférentes», détaille le gouverneur.
Crypto-monnaie : le projet de loi fin prêt
Pour la crypto-monnaie, Jouahri assure que le projet de réglementation est fin prêt. Ce texte a été structuré en concertation avec la Banque mondiale et le consultant recruté pour cette opération. «Les différents chapitres de cette future loi sont bien remplis. Maintenant, nous allons entamer les consultations avec les différentes parties prenantes. Un processus lourd certes, mais qui est nécessaire. Car, il faut que tous les acteurs concernés adhèrent à ce projet de loi notamment le département des Finances, l’Autorité marocaine des marchés des capitaux et l'Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS)», révèle Jouahri. Dans le cadre de préparation de ce texte, la Banque centrale affirme avoir longuement travaillé sur la définition de ce que c’est que la définition marocaine de la crypto-monnaie. Car, explique le Wali, chaque institution internationale dispose d’une définition différente de la crypto-monnaie. De même, la Banque centrale a mené une enquête auprès du grand public pour analyser ce qu’en pensent les Marocains.
Mobile banking : un coup de fouet est nécessaire !
Le paiement mobile peine à prendre son élan au Maroc. Le tout est à pousser sur ce chantier, selon Jouahri. «Ce qui est invraisemblable c'est que sur un plan technique, ce chantier est très avancé. En effet, nous disposons aujourd’hui de 7,5 millions de M-Wallet. Nous avons des opérations qui s’effectuent certes, mais dont le nombre demeure limité en termes d’interopérabilité. En plus, ces opérations se font essentiellement pour des paiements de factures», constate Jouahri. Pour donner un véritable coup de fouet à ce chantier, la Banque centrale est en discussion avec le ministère de l’Éducation nationale. L’objectif étant que les aides de l’État aux familles dans le cadre du programme «Tayssir» passent essentiellement par le mobile banking. Ce qui permettra, selon Jouahri, de développer ce segment. Aussi, le ciblage des aides sociales en projet devra se faire via le mobile banking pour enclencher une véritable poussée de ces moyens de paiements.