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Cliniques privées : le constat peu reluisant du Conseil de la concurrence

Dans son avis sur le fonctionnement concurrentiel du marché des soins médicaux dispensés par les cliniques privées, le Conseil de la concurrence dresse des constats alarmants. Voici l’essentiel de ce document rendu public vendredi dernier.

Cliniques privées : le constat peu reluisant du Conseil de la concurrence

Les cliniques privées et établissements assimilés sont devenus l’un des acteurs majeurs dans le marché des soins médicaux de façon générale. Toutefois, plusieurs dysfonctionnements persistent, ce qui les empêche de jouer pleinement leur rôle dans le développement du système national de santé. 

Une répartition géographique inégale et déséquilibrée des cliniques privées

Ce rapport révèle qu’à fin juin 2021, le Maroc comptait 613 établissements privés de soins, dont 389 sont des cliniques privées (63%). Ces dernières offrent un tiers (33,6%) de la capacité litière nationale d’hospitalisation, soit 13.603 places. «L’investissement dans le secteur des cliniques privées s’est vu particulièrement accéléré après la publication de la loi n° 131.13 relative à l'exercice de la médecine, ayant permis l’ouverture de leur capital. Sur le plan de la consommation médicale, les cliniques privées constituent le premier poste de dépenses en tiers payants pour l’Assurance Maladie obligatoire (AMO) et le deuxième prestataire de soins dans les dépenses courantes de santé au niveau national, après les pharmaciens et les fournisseurs de dispositifs médicaux», lit-on dans le rapport.

Le Conseil de la concurrence souligne, cependant, que l’évolution de la répartition géographique des cliniques privées au Maroc se trouve rythmée par le développement économique des régions et par le niveau de déploiement des ressources humaines de santé. Cette répartition demeure à ce jour particulièrement inégale et déséquilibrée. «Cinq régions regroupent 79% des cliniques privées et 82% des lits de l’offre en hospitalisation privée. Il s’agit des régions de Casablanca-Settat, Rabat-Salé-Kenitra, Tanger-Tétouan Al-Hoceïma, Fès-Meknès et Marrakech-Safi. Dans ces régions, le secteur privé héberge entre 25 et 50% de la capacité litière du territoire. Nos régions du Sud et du Sud-Est restent, pour leur part, quasiment dépourvues de ces structures de soins», précise la même source.

Absence d’un cadre juridique pour le contrôle des cliniques privées​

Malgré leur poids, aussi bien dans l’offre de soins que dans la consommation médicale, les cliniques privées ne font pas l’objet d’un suivi régulier de la part des pouvoirs publics. Le rapport révèle qu’il n’existe aucune entité ou structure administrative relevant du ministère de la Santé, dédiée au suivi et à la promotion des cliniques privées et à la collecte des informations y afférentes. Le Conseil de la concurrence déplore également l’absence d’un cadre juridique organisant le secteur.

«Les dispositions juridiques actuelles relatives aux cliniques privées sont dispersées dans 6 textes législatifs et réglementaires différents régissant le système de santé national. En effet, les cliniques privées ne sont considérées par les pouvoirs publics que comme une simple composante de ce système. En sus de la dispersion des dispositions relatives aux cliniques privées, les textes législatifs et réglementaires sont datés et leurs textes d’application n’ont, pour la plupart, toujours pas été publiés», précise le rapport.

Le rôle important des cliniques privées à but non lucratif

Le Conseil de la concurrence souligne dans son avis que les cliniques à but non lucratif revêtent une importance majeure au Maroc. Elles ont impulsé une dynamique de développement sur le marché des cliniques privées, qui s’est traduite par la mise en place de polycliniques par la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), des centres d’hémodialyse par les mécènes et des hôpitaux universitaires par les fondations. Elles sont au nombre de 199 établissements, soit 32% de l’ensemble des cliniques privées et établissements assimilés. Le Conseil constate cependant qu’elles restent, à ce jour, peu nombreuses même si elles disposent d’une capacité litière importante. «Les cliniques privées à but non lucratif sont au nombre de 26, avec une taille moyenne de 91 lits. Elles regroupent ainsi 17,4% de la capacité d’hospitalisation du secteur privé (2.730 lits). Pour les établissements assimilés, ils sont au nombre de 173 et sont dominés par les centres d’hémodialyse mis en place par des mécènes», indique le rapport. Et d’ajouter que «les cliniques privées à but non lucratif jouissent, de par leur statut, de certains avantages, notamment fiscaux, qui créent, selon les opérateurs privés à but lucratif, un environnement de concurrence déloyale. Or le réinvestissement de leurs bénéfices dans le maintien et le développement de leurs structures et ainsi que la transparence de leur facturation et les actions de recherche et de formation qu’elles développent, font que les avantages dont elles jouissent se trouvent économiquement justifiés. Par ailleurs, le niveau de tarification pratiquée par ces cliniques, qui est égal, voire supérieur à celui des cliniques privées à but lucratif, n’a pas été de nature à altérer leur attractivité auprès de la patientèle».

Le modèle de «l’hôpital privé» commence à s’imposer

Le marché des soins dispensés par les cliniques privées connaît une diversité de formes organisationnelles des opérateurs. En effet, après le modèle traditionnel de la «clinique-villa» se sont développés les modèles de l’«hôpital privé» et celui de «groupement de cliniques», aussi bien dans le secteur lucratif que non lucratif. «Le besoin de s’adapter à la demande de soins et d’intégrer le progrès technologique a poussé les cliniques privées à faire évoluer leur taille, leur plateau technique et leur offre de soins et services. Des services de gestion administrative, financière et technique ont également vu le jour au sein des cliniques privées. Le modèle de l’hôpital privé s’est ainsi imposé dans le secteur lucratif et non lucratif», souligne-t-on dans le rapport. Le Conseil précise, en outre, que la présence des groupes/holdings financiers et des deux Fondations Cheikh Zaid et Cheikh Khalifa dans l’offre de soins du secteur privé présente un avantage indéniable pour les patients et pour le secteur de la santé globalement. «Elle permet notamment d’avoir des infrastructures hospitalières et des matériels médicaux de dernière génération, ainsi qu’une offre de soins et services relativement complète au sein d’une même structure. La gestion administrative et financière de ces entités, confiée à des managers et à des financiers, permet à la fois de fluidifier la gestion courante, en déchargeant les médecins des tâches administratives, et d’optimiser la gestion financière en mettant en place des procédures et un système de reporting et de contrôle de gestion», indique la même source.

Par ailleurs, le développement du modèle de l’hôpital privé crée une émulation avec l’hôpital public qui est amené, lui aussi, à évoluer pour améliorer son image, son efficience et répondre de façon appropriée aux attentes de la population. Bien que la loi-cadre n° 34.09 relative au système de santé et à l’offre de soins ait prévu une complémentarité entre le secteur public et le secteur privé, et en l’absence de mécanismes concrets de coopération, les cliniques privées et les hôpitaux publics fonctionnent sans aucune complémentarité à ce jour.

Des cliniques privées majoritairement sous-capitalisées

La loi n° 131.13 relative à la pratique de la médecine a consacré l’ouverture du capital des cliniques privées. Toutefois, cette réforme étant relativement récente, de nombreuses cliniques restent sous-capitalisées. Le niveau de leurs capitaux propres demeure très faible et se caractérise par le fait que les capitaux sociaux de la plupart des cliniques privées n’ont pas subi de changement depuis leur création. «Le capital social des cliniques privées et établissements assimilés demeure en deçà de 1 million de dirhams dans 43% des cas et il varie entre 1 et 10 millions de dirhams dans 43% des cas. Ce n’est que dans 13% des cas que le capital est supérieur à 10 millions de dirhams. Pour un secteur réputé particulièrement capitalistique, eu égard aux investissements nécessaires à l’acquisition des équipements lourds, les cliniques privées ressortent comme étant majoritairement sous-capitalisées. Toutefois, le marché connaît une évolution quantitative et qualitative du capital social, en lien avec le passage du financement par fonds propres à un financement plus conséquent par des fonds d’investissement», affirme Le Conseil.

La pénurie des ressources humaines dans le privé aussi

La rareté des ressources humaines, que ce soit le personnel médical ou paramédical, est également considérée par les opérateurs comme une barrière structurelle du marché. La rareté de ces ressources a généré de nombreux maux tels que le manque d’implantation de cliniques privées dans plusieurs régions du Royaume et le détournement du personnel paramédical et des médecins du secteur public en dehors de l’exercice de temps partiel aménagé (TPA)... «Le détournement du personnel médical et paramédical du secteur public biaise non seulement le fonctionnement concurrentiel du marché des soins dispensés par les cliniques privées, mais altère aussi fortement l’efficacité de l’utilisation des infrastructures hospitalières publiques», déplore le Conseil.

Persistance de pratiques frauduleuses dans les cliniques privées

Lors de l’élaboration de son rapport, le Conseil de la concurrence a relevé plusieurs pratiques frauduleuses. Il s’agit principalement des accords de captation de la patientèle comme les accords d’exclusivité et ristournes entre les cliniques et les transporteurs (ambulanciers, taxis, etc.). Il s’agit également des ristournes au profit des médecins des secteurs public et privé. Ces derniers dirigent, voire rabattent des patients au profit des cliniques qui offrent les ristournes les plus élevées sous forme de paiement au noir non déclaré au fisc et supporté par les patients. En outre, les cliniques recourent à la pratique de chèque de garantie, interdite aussi bien par le Code pénal (article 544) que par la loi n° 131.13 relative à l’exercice de la médecine, en cas de tiers payant (article 75). Le motif invoqué par les cliniques privées pour recourir au procédé de chèque de garantie est de sécuriser le paiement des prestations réalisées au profit du patient. Similairement, la pratique d’un paiement «au noir» est souvent objet de doléances de la patientèle, même si elle concerne davantage les médecins que les cliniques. Il a, en outre, été relevé une tendance à la facturation abusive des soins. En effet, la multiplicité d’examens imposés aux patients, la sollicitation abusive d’avis spécialisés de médecins de la part de leurs confrères, des admissions injustifiées en réanimation, la surfacturation de nuitées et autres frais de séjour et la facturation de médicaments non consommés grèvent sévèrement les factures d’hospitalisation. Ces pratiques ont conduit les cliniques privées à mettre en place une double comptabilité.

Les Recommandations du Conseil de la Concurrence

Compte tenu de l’importance et du rôle que les cliniques privées sont appelées à jouer dans le contexte de généralisation de l’AMO, le Conseil de la concurrence a formulé de nombreuses recommandations en vue de remédier aux dysfonctionnements constatés. Ces recommandations visent essentiellement à améliorer et à massifier l’offre de soins médicaux au niveau national, en ouvrant davantage ce marché à une concurrence saine et loyale, seule à même de garantir l’accessibilité des soins aux citoyens, à des coûts raisonnables. Le Conseil appelle ainsi à :

• Réviser et accélérer la formation des ressources humaines médicales et paramédicales.

• Prévoir des incitations significatives à l'exercice de la médecine au Maroc par des médecins étrangers.

• Mettre en place de nouvelles modalités d’exercice au sein des cliniques privées.

• Décloisonner la pratique de la médecine et instaurer une mobilité d’exercice de la médecine au niveau national.

• Développer la Télémédecine comme l’une des solutions à la pénurie de ressources humaines médicales.

• Réviser et actualiser la nomenclature générale des actes professionnels et la tarification nationale de référence tenant compte des coûts réels des prestations des soins.

• Étendre et généraliser la liberté de tarification et la transparence de la facturation des soins dispensés.

• Renforcer le contrôle des cliniques privées, notamment à travers le recours à des prestataires agréés.

• Lutter contre la pratique de chèque de garantie par la mise en place d’un fonds de garantie.

• Appliquer les dispositions légales afférentes aux règles d’affichage des tarifs des prestations des cliniques privées et prévoir des sanctions dissuasives à l’endroit des contrevenants.

• Imposer une facturation claire et détaillée des soins et des médicaments consommés.

• Renforcer les contrôles fiscaux des cliniques privées et les inciter à auditer régulièrement leurs comptes afin de lutter contre le phénomène de sous-déclaration généralisée.

• Renforcer la transparence des actes chirurgicaux pour une meilleure protection des patients et des praticiens.

• Développer et améliorer l’offre hospitalière publique pour augmenter la concurrence sur le marché des soins médicaux.

- Mettre en œuvre un système national d’information sanitaire basé sur les nouvelles technologies de l’information.

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