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Généralisation de la protection sociale : l’enjeu de la viabilité du régime

L’État est en avance dans le processus de construction du nouveau système de protection sociale. Ainsi, 22 millions de bénéficiaires devront intégrer l’Assurance maladie obligatoire d’ici la fin d’année. Et au dernier trimestre de 2023, les familles pauvres de 7 millions d’enfants toucheront des allocations familiales. Même si cette grande réforme va bon train, des risques et défis se posent avec acuité. Il s’agit notamment de la mobilisation des financements du système qui devra engloutir annuellement 51 milliards de DH dans un pays où la société a une faible capacité contributive. Le système de santé, qui devrait connaître une affluence importante de bénéficiaires, devra également monter en capacité et améliorer son offre de soins. À cela s’ajoute le poste «Médicaments» qui pèse pour plus de 70% dans les remboursements de la CNSS et de la CNOPS.

Généralisation de la protection sociale : l’enjeu de la viabilité du régime
Le Forum mondial de la sécurité social a ouvert ses portes le 24 octobre à Marrakech en réunissant plus de 1.200 participants venus de 150 pays. Ph. Sradni

Le projet de Registre social unifié du Maroc creuse son sillon. Son déploiement devra démarrer en 2023 au lieu de 2025, comme initialement prévu. C’est ce qu’a déclaré le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, lors de l’ouverture du Forum mondial de la sécurité sociale organisé, sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, du 24 au 28 octobre à Marrakech par le groupe CDG, en partenariat avec la Caisse nationale de la sécurité sociale (CNSS), la Caisse marocaine des retraites (CMR) et la Caisse interprofessionnelle marocaine de retraite (CIMR). Dans son discours, lu en son nom par le ministre de l’Inclusion économique, Younes Sekkouri, le Chef de l’Exécutif souligne que ce dispositif permettra d’harmoniser et de collecter des données «objectives et précises» sur les populations fragiles économiquement devant bénéficier des programmes de soutien social mis à leur disposition par l’État. Selon Akhannouch, le chantier d’élargissement de la protection sociale est sur le bon chemin.

Concrètement, relève le Chef du gouvernement, les piliers de base de ce nouvel écosystème ont déjà été installés. Il s’agit notamment de l’élargissement de l’Assurance maladie obligatoire (AMO) qui intégrerait 22 millions de bénéficiaires additionnels d’ici la fin de l’année. Viendra une deuxième phase en 2023 qui consistera en la généralisation des allocations familiales. Une opération qui bénéficiera à une population de 7 millions d’enfants issus de familles démunies et 3 millions de familles sans enfants en âge de scolarité. Pour réussir l’aboutissement de la généralisation de la protection sociale, l’Exécutif entend renforcer le système de santé et l’offre de soins. Ainsi, l’infrastructure hospitalière du pays devra faire l’objet d’un redimensionnement substantiel afin de répondre de manière fluide à la montée des besoins en prestations médicales. De même, indique Akhannouch, le projet de loi-cadre portant réforme du système de santé est fin prêt, en plus d’autres projets de textes, notamment celui qui régira la future Agence chargée des médicaments et une autre instance spécialisée dans le sang et ses dérivés.

La compensation, un mal à bannir !

Le ministre délégué en charge du Budget, Fouzi Lekjaâ, qui intervenait lors du Forum, affirme que le chantier de réforme de la protection sociale s’inscrit dans un long processus de construction ayant démarré au début de ce règne. Pour monsieur Budget du gouvernement, ce processus de construction a conduit à une «nette amélioration» de la situation du citoyen. Son argument : le taux de pauvreté absolue est passé de 15% au début des années 2000 à moins de 4% en 2019. Selon lui, la loi-cadre de réforme de la protection sociale adoptée en Conseil des ministres, puis en Conseil de gouvernement, est une feuille de route réelle et stratégique dans ce processus de construction. La réforme a, certes, un coût important (51 milliards de DH annuellement), mais constitue un investissement rentable dans l’élément humain. À ses yeux, ce chantier est très complexe eu égard aux défis et enjeux qui l’entourent. D’où la nécessité, selon lui, d’enclencher d’autres réformes en parallèle afin d’assurer l’équilibre financier de l’ensemble de l’écosystème de protection sociale. «On ne peut pas concevoir une réforme qui met en place un système d’allocations familiales généralisées à toutes les familles ayant des enfants en scolarité et qui sont au nombre de 7 millions en plus d’autres allocations forfaitaires aux familles qui n’ont pas d’enfants ou qui ont des enfants non scolarisés, et en même temps garder un système de compensation des produits alimentaires et énergétiques (gaz butane, ndlr) qui a montré ses limites et son inefficacité», tranche Lekjaâ. Pour le responsable, l’État doit absolument aller vers la décompensation progressive des produits actuellement subventionnés afin de renforcer sa capacité de mobilisation des financements de la protection sociale.

Dans le projet de Budget 2023, l’Exécutif prévoit de miser 9,5 milliards de DH pour intégrer les familles Ramedistes dans le système de l’Assurance maladie obligatoire. 19 milliards de DH devront, par ailleurs, être dédiés aux allocations familiales. L’objectif est qu’à partir du dernier trimestre 2023, les 7 millions d’enfants scolarisés issus de familles démunies en plus des 3 millions de familles qui n’ont pas d’enfants scolarisés reçoivent des allocations régulières vers chaque fin de mois. «À partir de cette date, le gouvernement enclenchera la décompensation progressive des produits aujourd’hui subventionnés», détaille le ministre chargé du Budget. Le temps presse donc pour le gouvernement qui doit parachever la structuration juridique, technique et financière devant régir le nouveau régime de protection sociale. «Après l’adoption de la loi-cadre, il a fallu construire l’arsenal juridique via l’élaboration de nouvelles lois et la révision d’autres. Aujourd’hui, plus d’une vingtaine de décrets qui cadreront la contribution des travailleurs non salariés sont préparés. De même, nous avons procédé à une stratification de cette population de bénéficiaires qui représente à peu près le tiers de la société marocaine», indique Lekjaâ qui révèle, au passage, que la société est donc constituée, en plus des travailleurs non salariés, d’un tiers déjà couvert à travers la CNSS et la CNOPS et un autre composé des Ramedistes.

9,5 milliards pour le basculement des ramedistes vers l’AMO

Pour ces derniers, poursuit le ministre, le problème est résolu. L’État mettra, en effet, dans la caisse de la CNSS près de 9,5 milliards de DH, sur la base d’une cotisation SMIG. Le défi, selon lui, dans les prochaines phases de la réforme, c’est d’assurer le recouvrement des cotisations en déterminant les moyens fluides de proximité pour leur collecte. «C’est extrêmement important, puisque cela va de la pérennité du système. Car, eu égard aux montages financiers conçus, on ne pourra plus admettre un déséquilibre financier qui chamboulera tout, sachant que les Ramedistes, à eux seuls, coûteront plus de 9,5 milliards de dirhams annuellement», explique Lekjaâ. De même, insiste-t-il, l’octroi des subventions surtout aux personnes morales devra être conditionné à la régularisation de leur situation auprès de la CNSS. Ce qui permettra aux gestionnaires du système de s’assurer que les gens inscrits payent leurs cotisations. Autre défi, selon Lekjaâ, l’amélioration de l’offre sanitaire et l’instauration d’un parcours du patient. Ce dernier revêt également une importance majeure aux yeux du responsable puisqu’il permettra de relever les différentes étapes de soin avec la facturation de chaque acte médical pour le remboursement. D’ailleurs, indique le ministre, un système d’information est en cours de construction. «Des efforts indéniables ont été déployés pour la mise en place de ce projet vital dans le futur système de protection sociale», fait valoir Lekjaâ. Le poste «médicaments» est tout aussi important selon lui. «C’est un véritable fardeau. Les médicaments engloutissent plus de 70% des frais de remboursements chez la CNSS et la CNOPS», souligne le ministre délégué. 


 

L’exonération des droits de douane sur certains médicaments arrive

Pour faire face à cette problématique, Lekjaâ affirme que le gouvernement a pris l’initiative, dans le cadre du projet de Budget 2023, de proposer l’exonération des droits de douane sur certains médicaments. À l’en croire, l’Exécutif a la volonté ferme d’aller vers une réduction des prix des médicaments. Un travail minutieux d’analyse est en cours afin de concevoir un nouveau système qui permettra de maîtriser le poste médicaments. Ahmed Réda Chami, président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui était de la partie, a profité de l’occasion pour émettre un certain nombre d’alertes par rapport au déploiement du chantier de la protection sociale. Selon lui, «la protection sociale ne relève pas de la générosité ou de la compassion, c’est un droit constitutionnel. C’est une créance du citoyen vis-à-vis de l’État qui doit lui garantir ce droit», souligne l’ancien ministre de l’Industrie. La protection sociale pourra constituer, d’après lui, non seulement un véritable levier de développement économique, mais aussi un levier de redistribution des richesses et de cohésion sociale, dans un pays où les inégalités se creusent. Pour Chami, sa réussite dépend de la capacité des acteurs à mobiliser les ressources humaines et financières nécessaires, selon un calendrier «très ambitieux». En opérationnalisant l’élargissement de la protection sociale, l’État doit prendre en considération un ensemble de risques, selon le patron du CESE. Il s’agit de celui de la pérennité et de la soutenabilité du futur système. «Il faut déjà entamer la réflexion et faire les projections nécessaires quant à la mobilisation des financements pour la viabilité du système. C’est pour cela que nous appelons à la mise en œuvre d’un certain nombre de réformes, notamment la réorganisation en 2 pôles du secteur des retraites», recommande le président du CESE.

Si le problème de financement se pose, c’est que, selon Chami, la société marocaine dispose d’une faible capacité contributive. En plus, l’État ne peut pas assurer un financement plus conséquent du système installé, puisqu’il a d’autres chantiers sectoriels nécessitant également des ressources financières importantes. «D’où la question : quelle est notre capacité demain à assurer le financement de ce système ?» s’interroge-t-il. Certes, ce n’est pas impossible, mais il faudra étudier dans le moyen et long termes les différentes pistes de financement possibles. Selon Chami, le Maroc pourra, par exemple, mobiliser des ressources indéniables en renforçant sa capacité fiscale à travers la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales. En procédant ainsi, l’État pourrait engranger l’équivalent de 12,5% du PIB, soit 160 milliards de DH. Ce qui représente trois fois le besoin de financement de la protection sociale (51 milliards de DH). Le deuxième risque auquel il faut faire face, selon Chami, est lié à l’iniquité du système. «En d’autres termes, il faut que l’équivalent d’un dirham, contribué par jour, donne lieu au même bénéfice», développe le président du CESE qui souligne que les régimes des retraites au Maroc n’accordent pas les mêmes pensions. Ce qui crée un sentiment d’iniquité. La même configuration est constatée dans le secteur de la santé où des réformes sont nécessaires, selon lui, pour offrir la même qualité de soins pour tous. Il s’agit également de valoriser le capital humain du secteur en réorganisant l’enseignement médical et en élargissant la couverture médicale de l’ensemble des territoires.

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