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Achoura : les pétards et les feux d’artifice réinvestissent les rues

«Chitane», «saroukh», «touma»… ce sont les noms qu'on donne aux pétards de nouvelle génération qui font leur retour à l'approche de l'Achoura. Chaque année en cette période, les marchés croulent sous une offre toujours plus diversifiée et dangereuse de pétards via des canaux de contrebande bien organisés malgré l'interdiction. «Le Matin» s’est rendu à Derb Omar et a constaté sur place l'abondance de l'offre. Les pétards sont vendus de façon très discrète par des enfants en âge de scolarité à des prix variant entre 5 et 600 DH. Un commerce illégal auquel les autorités font face et qu'elles tentent de contenir tout au long de l'année et surtout à l'approche de l'Achoura. Dans les hôpitaux, les médecins craignent une hausse des cas de blessures causées par ces pétards. De leur côté, les associations appellent à la prudence et la sensibilisation.

Il est presque 16 h. L’activité est très perturbée à Derb Omar, ce qui est normal en raison de l’approche des festivités de l’Achoura. Derb Omar est, en effet, considéré comme le plus grand marché de jouets au Maroc. On y trouve des jouets qui se vendent en gros et au détail, mais aussi et essentiellement des pétards et d’autres feux d’artifices que les jeunes et les enfants manipulent par jeu sans en connaître les réels dangers. Ces produits, pourtant interdits à l’importation et à la vente, inondent le marché. Les vendeurs sont des jeunes, mais aussi et surtout des enfants en âge de scolarisation. Leurs regards et leurs gestes en disent long sur leur souffrance.

>>Lire aussi : Casablanca: Saisie de 1.485.340 unités de pétards et feux d’artifice de contrebande

À première vue, on peut facilement constater que ces jeunes consomment régulièrement de la drogue. Ils cherchent à commercialiser les pétards et les feux d’artifice, mais ils n’arrivent tout de même pas à cacher leur peur d’être arrêtés par la police. Ils portent des espadrilles et demeurent prêts à prendre la fuite à tout moment.

Pour avoir plus d’informations sur ce sujet à l’approche de l’Achoura, le seul moyen pour nous était de jouer le rôle des acheteurs et c’est là où on a découvert des pétards qui portent des noms étranges : «batterie», «chitane», «warda», «bouta», «saroukh», «touma», «XD», «cigarre», «mich», «samta», «granada», «malinoua»… Chaque nom renseigne sur les caractéristiques et le degré de gravité du produit. Celui baptisé «batterie» est apparemment le plus cher. Il est vendu à 600 DH le paquet, mais ses effets sont «imaginaires». Celui qu’ils appellent «chitane» est vendu à 170 DH pour un paquet de 36 unités. Après des négociations, le jeune a proposé de nous le vendre à 150 DH. Pour les autres produits, les prix varient entre 5 et 100 DH. Les jeunes exigent que l’on achète tout le paquet et refusent de vendre à l’unité.
Au moment de la négociation avec le vendeur, il est facile d’être traqué. La prudence est de mise ! Un homme assis sur une chaise nous observait alors qu'on était en pleine négociation et a envoyé deux jeunes pour nous suivre afin de nous identifier. Et c’est à ce moment là qu’on a ressenti le danger. Un marchand ambulant nous a mis en garde contre ces jeunes et nous a confirmé que la police intervenait à plusieurs reprises dans la journée pour arrêter ces jeunes et combattre ce fléau.
 

Plus de 1.634.593 unités de pétards et de feux d’artifice de contrebande saisis à Casablanca-Settat

En moins d’un mois, plus de 1.634.593 unités de pétards et de feux d’artifice ont été saisies par les différentes autorisés sécuritaires nationales à Casablanca-Settat. Quelque 1.485.340 unités ont été saisies à Sidi El Bernoussi et Moulay Rachid, 26.234 unités à El Fida, 86.400 unités à Ben Msick et 36.619 à Settat. «Certains de ces produits présentent un extrême danger et sont utilisés pour commettre de graves agressions physiques», a affirmé la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN) dans ses différents communiqués. Effectivement, un adolescent de 13 ans est décédé à cause d’un feu d’artifice qualifié de «dangereux», lancé contre lui par un individu lors d’une bagarre impliquant son frère, dans le quartier Hassania 2 à Mohammedia.

D’après la DGSN, la police judiciaire de Mohammédia a ouvert une enquête dans la soirée du lundi 17 juillet. «Deux individus soupçonnés d’être en relation avec cet homicide ont été arrêtés. Un troisième est activement recherché pour son implication présumée dans cet acte criminel, alors qu’une enquête est toujours en cours pour faire toute la lumière sur les circonstances de cette affaire», a précisé la même source. Il faut dire que les autorités nationales sont mobilisées durant cette période pour faire face à l’utilisation des pétards au Maroc. Les actions déployées s’inscrivent dans le cadre des efforts constants pour lutter contre le trafic de matériaux explosifs, dont l’usage représente un grave danger pour la sécurité des personnes et de leurs biens. Mais il faut admettre que «les vendeurs ne cessent d’innover pour trouver les moyens d’importer et de vendre illicitement les pétards, comme c’est le cas aussi pour la drogue», a expliqué un marchant ambulant à Derb Omar. Visiblement touché de très près par le phénomène, ce dernier a regretté le fait que ces jeunes exploitent leurs compétences dans ce type d’actes et que la fête de l’Achoura soit transformée en période de peur et de tristesse.

Officiellement interdits, les pétards sont extrêmement dangereux

Une dizaine de jeunes ont été admis ces derniers jours au service d’ophtalmologie pédiatrique de l’Hôpital 20 août de Casablanca. L’information nous a été confirmées par une source au sein du Centre hospitalier universitaire Ibn Rochd de Casablanca (CHU). Les médecins joints par «Le Matin» s’attendent à une augmentation des cas dans les prochains jours. C’est le cas de Dr Saïd Afif, président de l'Association casablancaise des pédiatres privés (ACPP). Le spécialiste lance un appel via «Le Matin» aux parents les incitant à plus de vigilance, du fait que les matières utilisées dans la fabrication des pétards sont extrêmement dangereuses et que les utilisateurs sont les personnes les plus à risque. Pour lui, «les enfants subissent les conséquences de leur insouciance et de la non-surveillance des parents».
Ce point de vue est partagé par Dr Tayeb Hamdi, médecin chercheur en politiques et systèmes de santé. Interrogé sur les principales blessures observées, Dr Hamdi cite en premier lieu des atteintes au niveau du visage et particulièrement les yeux. «Ceci pourrait entraîner une perte de la vue, des lésions de la cornée ou encore des hémorragies intra-oculaires», explique-t-il. Et d’ajouter que dans d’autres cas, l’amputation des doigts ou de toute la main devient une urgence quand la personne est touchée au niveau des mains ou de l’avant-bras. À cela s’ajoute, selon l’expert, des brûlures thermiques qui risquent de devenir plus compliquées à cause de la chaleur. Les médecins contactés par «Le Matin» nous ont appris que les composants désormais utilisés pour la fabrication des pétards compliquent très souvent la tâche de la chirurgie.

Utilisation des pétards : ce que dit la loi ?

Nombreux sont ceux qui croient que l’utilisation des pétards n’est pas réglementée par la loi. C’est faux ! «La loi n°22.16 portant sur les substances explosives à usage civil, des artifices de divertissement et des matériels contenant des substances pyrotechniques prévoit une peine d’emprisonnement de 2 à 5 ans, en plus d’une amende oscillant entre 50.000 et 500.000 DH», nous précise maître Saïd Maâch, avocat au barreaux de Casablanca. Et d’ajouter que cette loi, entrée en vigueur en juillet 2018, est venue réformer les anciennes lois du fait qu’elle n’étaient plus adaptées au développement social et économique de notre pays. Notre interlocuteur précise que la peine concerne également les personnes qui importent illégalement les matériaux pyrotechniques. M. Maâch a regretté le fait que cette peine ne soit pas appliquée de façon rigoureuse, sachant que les faits représentent un grand danger public. Effectivement, les pétards constituent une véritable menace, non seulement pour les utilisateurs, mais aussi pour la santé des enfants, des femmes enceintes et de tous les citoyens.

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