Le Matin : Le 27 février 2023, ont été publiées au Bulletin officiel du Royaume deux lois importantes, suite à leur adoption par le Parlement, à savoir la Loi 40.19 amendant et complétant la Loi 13.09 relative aux énergies renouvelables et la loi 82.21 relative à l’autoproduction de l’énergie électrique. Commençons, tout d’abord, par la Loi 40.19, quels sont, à votre avis, ses principaux apports ?
Abdellatif Bardach : Il convient, tout d’abord, de souligner que les deux lois que vous venez de citer constituent un nouveau jalon important dans l’évolution du secteur électrique national sur la voie de la transition énergétique, portée par les Hautes Directives de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste.
Pour répondre à votre question et sans aller dans le détail de l’amendement, je dirai, d’abord, qu’elle réserve, désormais, la possibilité de produire de l’énergie électrique de source renouvelable, dans le cadre de la Loi 13.09, aux seules personnes morales de droit privé et qu’ensuite elle précise que le raccordement des installations de production se fera dans la limite de la capacité d’accueil du réseau électrique. Le nouveau texte donne, en outre, aux distributeurs la possibilité de bénéficier de l’acquisition de l’énergie électrique produite dans le cadre de la Loi 13.09, mais dans des limites bien déterminées, sachant que l’objectif premier de l’institution de cette loi est de favoriser la décarbonation et la compétitivité de l’économie en faisant bénéficier les entreprises, de manière prioritaire, de cette énergie. Cette ambition/objectif s’inscrit pleinement dans les missions que nous remplissions au sein de l’ANRE.Champ d'activité du gestionnaire électrique national de transport
Parmi les apports fondamentaux de cet amendement, figure l’introduction de la notion des «services-système» dont les coûts seront réglés conformément aux dispositions de la loi 48.15 relative à la régulation du secteur électrique et à la création de l’ANRE. Ces services permettent au gestionnaire du réseau électrique national de transport, qui relève aujourd’hui de l’ONEE, de maintenir la fréquence, la tension et les échanges transfrontaliers avec les pays voisins conformes à leurs valeurs de consigne, grâce aux moyens mis à la disposition du système électrique ainsi que la gestion de l’intermittence des énergies renouvelables. Enfin, et pour ne pas trop m’étendre sur des considérations souvent techniques, je précise que la nouvelle Loi 40-19 définit la notion d’écrêtement qui permet au Gestionnaire électrique national de transport d’imposer une réduction de la production d’énergie électrique de source renouvelable, dans une limite bien déterminée, en vue de préserver la sécurité et l’intégrité du réseau électrique et pour tenir compte de l’équilibre entre l’offre et la demande d’énergie électrique.
Je suppose que ces amendements importants entraînent pour le régulateur des responsabilités plus étendues.
Absolument ! Outre les multiples fonctions qu’elle assume actuellement, l’ANRE est appelée à valider et à publier, chaque année, la capacité d’accueil du réseau en énergies renouvelables, une fois qu’elle l’aura reçue du Gestionnaire du réseau de transport de l’électricité qui, lui-même, l’aura mise à jour après l’avoir reçue des gestionnaires des réseaux de distribution. L’ANRE aura également à définir les conditions de la vente de l’excédent d’énergie électrique de sources renouvelables par les producteurs à l’ONEE et aux distributeurs et à prévoir, dans le cadre des modalités de la tarification, le recouvrement des coûts des services système.
La Loi 82.21 institue carrément un nouveau dispositif juridique pour l’autoproduction. Quelles en sont les principales caractéristiques ?
Il convient d’abord de préciser que la notion d’autoproduction de l’énergie électrique n’est pas tout à fait nouvelle dans la législation marocaine, puisque l’article 2 de la Loi instituant l’ONE l’avait déjà prévu. Mais il faut dire que la Loi 82.21 présente, en effet, un dispositif complet et cohérent qui était fortement attendu par les opérateurs et même par les citoyens. Il faut savoir que dans les pays les plus avancés en matière d’énergies renouvelables, l’autoproduction est un vecteur fondamental du développement de ce type d’énergie.
Pour ce qui est des principales caractéristiques et sans vouloir être exhaustif, j’en citerai quatre. Premièrement, le champ d’application est large : l’autoproduction concerne toutes les sources d’énergie disponibles et l’autoproducteur peut être une personne physique ou une personne morale de droit public ou privé. Deuxièmement, l’autoproducteur a le droit d’accéder au réseau dans la limite de la capacité d’accueil de celui-ci et d’être alimenté par le réseau en cas de besoin. Troisièmement, cette loi autorise explicitement l’autoproduction sans propriété de la centrale et donc des montages en «tiers investisseur» permettant ainsi d’externaliser le coût des installations de production, en les faisant porter par des sociétés spécialisées. Et quatrièmement, l’autoproducteur peut vendre l’excédent de son autoproduction au gestionnaire du réseau concerné dans la limite de 20% de sa production d’énergie électrique.Je présume que cette loi assigne, elle aussi, de nouvelles fonctions à l’ANRE...
Bien entendu ! L’ANRE est appelée à fixer le tarif de l’excédent à vendre à l’ONEE, la participation au financement des coûts des services système et de services de distribution rendus par le gestionnaire du réseau concerné ainsi que les conditions minimales de calcul de la quantité d’énergie autoproduite et de l’excédent pour la facturation de cet excédent. Elle est également chargée de valider et de publier la capacité d’accueil du réseau électrique tel que mentionné auparavant.
Dans quelle mesure ces deux lois apportent-elles une vraie valeur ajoutée à l’économie nationale ?
Outre le fait de donner une nouvelle impulsion à l‘accélération de la transition énergétique du Royaume et à la décarbonation de l’économie nationale, il convient de mettre en exergue deux mesures importantes introduites dans le nouveau dispositif : il s’agit de la clause de la préférence nationale censée appuyer l’activité économique marocaine, notamment industrielle, pour la réalisation des projets de production d’énergie électrique, et la possibilité pour les entrepreneurs marocains de bénéficier de certificats d’origine prouvant que l’énergie électrique consommée pour la production de leurs biens et services est de source renouvelable. Cette mesure est de nature à booster les futures exportations d’électricité verte de notre pays.
Peut-on dire, aujourd’hui, que l’arsenal juridique dont nous disposons est, enfin, complet et que la balle est, désormais, dans le camp des investisseurs pour concrétiser les objectifs la stratégie ?
Un dispositif juridique est toujours dynamique. Il se développe en fonction de l’évolution de la réalité sur le terrain et de celle du monde qui nous entoure, surtout dans le domaine énergétique qui connaît des mutations à la fois profondes et rapides. Nous avons énormément fait sur les plans juridique et institutionnel, ce qui fait du Royaume du Maroc un des pays leaders dans le domaine des énergies renouvelables, grâce à la Vision clairvoyante de Sa Majesté le Roi, que Dieu L’assiste. Mais il reste encore beaucoup à faire, d’abord pour produire et publier les nombreux textes réglementaires indispensables pour l’application des anciennes et des nouvelles lois ; ensuite, pour avancer sur les mesures législatives et réglementaires relatives au gaz naturel, à l’hydrogène, au stockage, à la mobilité électrique, etc. Le Maroc n’est pas le seul acteur dans le domaine. Nous devons faire face à une concurrence farouche de la part de plusieurs pays, mais nous avons des atouts majeurs pour figurer parmi les gagnants de la nouvelle révolution énergétique en cours.
La régulation a un rôle capital à jouer. Estimez-vous que l’ANRE soit prête à assumer pleinement son rôle pour la concrétisation de la stratégie marocaine en matière énergétique ?
L’ANRE est une jeune institution : la Loi 48-15 qui l’a instituée est entrée en vigueur il y a, à peine, deux ans. Pourtant, malgré les moyens limités dont nous disposons, puisque nous dépendons toujours des subsides du Budget de l’État, en attendant la publication du décret relatif à nos ressources propres, nous avons pris à bras-le-corps plusieurs problématiques essentielles de la régulation, comme le Code de réseau qui fixe les prescriptions techniques concernant le raccordement et l’accès au réseau électrique de transport ainsi que les règles de planification et de fonctionnement de ce réseau, la tarification de l’utilisation du réseau de transport électrique, la séparation comptable, les indicateurs de qualité, l’examen du programme d’investissement quinquennal du Gestionnaire du réseau électrique national de transport... Plusieurs chantiers sont ouverts et nous y travaillons d’arrache-pied en essayant systématiquement de favoriser la concertation avec les différentes parties prenantes.
Les chantiers relatifs au secteur énergétique doivent avancer au même rythme que les avancées à l'international
La régulation n’est pas l’affaire d’une seule institution. Elle ne peut aboutir et être efficace que si toutes les parties concernées collaborent, de bonne foi, en plaçant l’intérêt supérieur de notre pays au-dessus de toutes les considérations. Nous sommes, quant à nous, disposés à coopérer avec toutes les parties afin de mener les réformes dans lesquelles nous sommes impliqués de manière, certes, progressive, mais qui tienne compte de la nécessité d’avancer aussi rapidement que possible. Le rythme au niveau du secteur énergétique n’est pas uniquement dicté par notre réalité intérieure, mais également par la réalité ambiante au niveau régional et international.
Pour finir, je dirai que l’ANRE est prête à assumer pleinement les missions pour lesquelles elle a été instituée ainsi que celles qui pourraient lui être attribuées à l’avenir, conformément aux recommandations du nouveau modèle de développement. Sachez que malgré son jeune âge, l’ANRE est déjà une institution reconnue au niveau international. Nous assumons actuellement la présidence de l’Association des régulateurs méditerranéens, appelée Medreg et nous assurons la vice-présidence de RégulaE.fr, une association des régulateurs francophones comprenant un grand nombre de pays africains frères. Nous ne manquerons pas d’user de notre position au sein de ces institutions internationales pour servir les intérêts de notre pays ainsi que ceux des pays membres des associations en question.
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