Le système de la santé au Maroc est actuellement en pleine mutation. Et la transformation digitale constitue un pilier incontournable de ce changement, non seulement pour faciliter l’accès des citoyens aux prestations et réduire les disparités sociales, mais aussi pour permettre aux professionnels de santé de sécuriser les données de leurs patients. Mais malgré les multiples initiatives lancées dans ce sens, les spécialistes pensent que le Maroc avance très doucement vers une digitalisation des systèmes de santé.
«Le numérique s’impose aujourd’hui comme un levier de transformation vitale pour le secteur de la santé. Malheureusement, le Maroc accuse un retard énorme dans ce domaine, surtout face à une évolution galopante poussant même certains à demander de ralentir cette progression. Il est urgent de tout mettre en œuvre pour démarrer cette transformation qui est devenue une nécessité au 21e siècle», déclare au «Matin» Pr Amal Bourquia, spécialiste en néphrologie, écrivaine et experte en éthique et communication médicales.
Les acteurs de l’écosystème de la santé doivent suivre la transformation digitale en facilitant les parcours de soins
«L’évolution du numérique dans le secteur de la santé avance très rapidement et bouleverse les relations entre les professionnels et les patients. Les médecins au Maroc ne sont pas encore suffisamment conscients des changements que doit connaître la profession pour s’y préparer. Nous avons besoin d’une prise de conscience des responsables du secteur à laquelle doivent adhérer tous les professionnels pour espérer rattraper le retard. Il est aussi nécessaire d’accompagner les acteurs de l’écosystème de la santé dans leur transformation digitale en facilitant les parcours de soins», alerte la spécialiste.
Pr Bourquia souligne, par ailleurs, que la santé numérique englobe les outils numériques utilisés pour promouvoir, protéger et améliorer la santé, incluant la clinique, la gestion et la recherche. «Le secteur de la santé se trouve profondément marqué par la transformation numérique avec des solutions spécifiques qui lui sont dédiées. En effet, la santé numérique s’intéresse à l’ensemble du cycle de vie du numérique en santé, incluant les développements liés aux données massives, à la gestion des données, ainsi qu’à la transformation du système de santé. Elle inclut le dossier médical électronique, les soins à distance, les applications en santé (mHealth et eHealth), les sciences des données de santé et l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA)», explique-t-elle. Et d’ajouter que «le numérique peut réellement apporter des réponses visant à faciliter la vie des patients, notamment à travers l’accompagnement des personnes âgées, l’amélioration de la médecine ambulatoire, la prise en charge simplifiée des maladies chroniques, faire face au problème des déserts médicaux… Les technologies digitales de l’information permettent d’optimiser les pratiques tout en assurant la qualité et la sécurité des données. Leur rôle est essentiel dans l’amélioration des dispositifs de santé».
La spécialiste indique que la maîtrise de ces évolutions est essentielle pour le milieu médical qui doit opérer rapidement sa transition numérique, afin de mieux comprendre l’univers des objets connectés, percevoir les opportunités d’application et définir des stratégies de protection. «Les méga-données ou big data dans le domaine de la santé ont le potentiel d'améliorer les soins de santé pour le mieux et offrent aux chercheurs médicaux un accès à un grand volume de données et à des méthodes de collecte de données. Les méga-données offrent la possibilité de réduire le coût d'obtention et de prestation des soins de santé en identifiant les plans de traitement appropriés, en allouant intelligemment les ressources et en identifiant les problèmes de santé potentiels avant qu'ils ne surviennent», affirme Pr Bourquia.
Déclaration du Pr Amal Bourquia : L’intelligence artificielle, un outil à maîtriser avec précaution
«L’intelligence artificielle (IA) présente un immense potentiel pour améliorer la santé notamment en organisant les données massives des patients. L’IA prend son essor également dans d’autres domaines comme la santé cardiovasculaire, pour prédire le risque de décès après un infarctus du myocarde ou un accident vasculaire cérébral et le domaine de la transplantation avec la prédiction du risque de perte de rein greffé chez un patient transplanté. Elle permet aussi d’améliorer le suivi des patients et d'optimiser le développement de nouveaux traitements immunosuppresseurs. L’analyse des données d’imagerie médicale fait partie aussi des champs les plus explorés par l’IA», indique-t-elle. Cependant, l’IA reste un outil à maîtriser avec précaution. L’objectif des chercheurs qui travaillent sur des projets d’IA n’est pas de remplacer les médecins, mais de les aider à mieux diagnostiquer, mieux soigner et mieux anticiper les risques. Nul doute donc que l’IA va s’implanter très progressivement dans le domaine de la santé, avec des conséquences sur la relation patient/médecin et l’émergence de nouveaux enjeux éthiques.»Lire aussi : Digitalisation de la santé : difficile de faire changer les mentalités