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Séisme : Depuis Asni, l'ONG «World Central Kitchen» prépare des milliers de repas livrés en montagne

Arrivée au lendemain du séisme du 8 septembre, l'ONG «World Central Kitchen» prépare et livre, chaque jour, des milliers de repas chauds aux habitants des douars touchés de plein fouet par le tremblement de terre. Grâce à une expérience de plus d’une décennie, le nombre de repas servis va crescendo, et devrait atteindre la barre des 30.000 livrés depuis Asni, grâce à une flotte de camions, de véhicules utilitaires et d’hélicoptères. Reportage.

Séisme : Depuis Asni, l'ONG «World Central Kitchen» prépare des milliers de repas livrés en montagne
Phs : Saouri

Quand un désastre s’abat sur une région de la planète, l’urgence absolue est évidemment de retrouver des survivants et de les reloger. Mais depuis 2010, «World Central Kitchen» (WCK) s’assure de colmater une autre brèche, celle de l’urgence alimentaire. Dans les 48 heures ayant suivi le séisme qui a secoué la province d’Al Haouz, WCK a débarqué au seuil des montagnes du Haut Atlas, précisément à Asni. Sur place, les locaux d’une coopérative agricole ont été transformés en une cuisine géante, capable de servir des milliers de repas au quotidien.

>> Lire aussi : Solidarité marocaine : une leçon de courage et des messages d'espoir

Chaque jour, des tonnes de matières premières achetées localement arrivent. Viandes, pommes de terre, oignons, épices… tout l’approvisionnement se fait auprès des agriculteurs et fermiers marocains. À la cuisine, quatre chefs marocains et autant d’étrangers concoctent les repas, dans les nombreuses poêles à paella, arrivées spécialement de Valence. Chacun de ces ustensiles de cuisine permet de préparer 2.000 repas et sont utilisés deux fois par jour.

Organisation internationale à la sauce marocaine

Chef Taki Kabbaj, membre du collectif «Chefs 4 Good», n’a pas hésité à venir depuis Casablanca pour mettre en place l’opération. «Nous avons été contactés pour venir mettre en place le dispositif de WCK au Maroc, nous explique le chef d’un grand restaurant de la capitale économique. Avant-hier, nous avons préparé 9.000 couverts, hier 14.000 et aujourd’hui (dimanche, Ndlr) 17.000.» L’initiative de WCK n’aurait pu fonctionner correctement sans l’aiguillage des Marocains, présents à tous les niveaux. «C’est très important que des Marocains soient sur place, explique Chef Taki.

Ces gens ont d’autres cultures, une autre approche, une autre langue… C’est primordial qu’on soit là pour les aider à mieux communiquer avec tout le monde.» Les recettes sont bien évidemment marocaines et le produit fini est une sauce bien marocaine, fidèle au fameux tagine «Btata o Zitoun» (sauce de pommes de terre aux olives), sur fond de volaille ou de bœuf.

Objectifs : 30.000 repas et une deuxième cuisine à Taroudant

Un travail d’équipe, loin d’être exempt de pression, puisqu’il faut absolument nourrir les gens qui sont dans le besoin le plus urgent. Une fois préparés, les repas sont disposés dans des glacières – également achetées au Maroc – et chargés dans les véhicules qui composent la flotte de WCK à Asni. Et ils sont nombreux : 4 camions venus spécialement d’Espagne, une cinquantaine de véhicules utilitaires et vans, une moto et deux hélicoptères.

Sur une carte que nous avons consultée, une multitude de points bleus désignent les douars desservis. Les points rouges représentent, quant à eux, les douars répertoriés, mais qui attendent leurs livraisons. WCK ne cesse d’élargir la zone où ses repas arrivent. Les objectifs sont clairs : atteindre la barre des 30.000 repas quotidiens, fournir des kits de cuisine pour permettre aux villageois de préparer eux-mêmes leur nourriture et ouvrir une seconde cuisine à Taroudant dans les prochains jours. Un travail de longue haleine, porté par des volontaires désintéressés, qui montre que la solidarité peut parfois prendre la forme d’un repas préparé avec amour, pour nourrir l’espoir.

De Haïti à Marrakech, World Central Kitchen a servi 300 millions de repas

Créée en 2010 par le chef cuisinier José Andrés, World Central Kitchen intervient dans les zones sinistrées par les catastrophes, à la suite de crises humanitaires, climatiques ou de conflits. En 2017, WCK intervient à Porto Rico quand l’ouragan Marie a dévasté le pays situé dans la mer des Caraïbes. L’organisation prend alors une nouvelle dimension, en fournissant 4 millions de repas. Depuis, WCK a gagné en expérience et opère là où séismes, volcans, tsunamis, feux de forêt et autres conflits ne laissent que désolation et désespoir. En mars 2023, l’organisation, qui opère en Ukraine depuis le début du conflit armé, annonce avoir servi 300 millions de repas.

Questions à Erin Gore, PDG de World Central Kitchen

«Pour les communautés, voir que le monde est à leur côté, ça réchauffe le cœur»

Le Matin : Que veut dire «World Central Kitchen» et comment l’idée a-t-elle commencé ?

Erin Gore
: World Central Kitchen est une organisation qui nourrit les gens à travers le monde, là où sont arrivés des désastres, comme les ouragans, les séismes, les feux, les conflits, les pandémies… Nous avons été fondés il y a 13 ans, par le chef José Andrés, qui a initié cette organisation à la suite du tremblement de terre de Haïti en 2010. Quand il est arrivé sur place, il a vu que l’urgence de la faim suit immédiatement un désastre. En tant que chef, il a commencé pour les communautés et avec les communautés.

WCK travaille de près avec les chefs locaux, partout où on va. Des Portoricains nourrissent Porto Rico, les Ukrainiens nourrissent l’Ukraine, et ici au Maroc, nous avons des Marocains qui nourrissent le Maroc. C’est très important pour nous de travailler avec les chefs locaux, parce que nous voulons veut que notre nourriture soit beaucoup plus que de la nourriture. Nous voulons que ce soit de l’amour, de la chaleur humaine, que ce soit délicieux et de montrer de l’espoir pour un lendemain meilleur, quand on rencontre des gens qui vivent peut-être les temps les plus difficiles.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de cette expérience ici au Maroc ?

C’est ma deuxième visite ici au Maroc. J’ai aimé la première fois et j’aime encore plus cette fois-ci. La communauté est belle, l’humanité est belle. Le thé est incroyable et quand on livre les repas, on est souvent accueillis avec le thé et parfois avec du couscous. Je préfère penser que World Central Kitchen nourrit le monde après les désastres, mais ici nous avons des chefs marocains pour distribuer de la nourriture. En outre, le monde est arrivé pour aider le Maroc. Nous avons des chefs venus d’Australie, de Pologne, d’Espagne, des États-Unis, du Guatemala qui distribuent de la nourriture. Pour les communautés, voir que le monde est à leur côté et savoir que c’est mené pour les Marocains, ça réchauffe le cœur. C’est l’Humanité à son meilleur.

Parlons chiffres. Aujourd’hui, vous servez 17.000 repas et vous en visez 30.000…

Oui. Et on ne parle que de cet endroit. Hier, nous avons préparé 14.000 repas chauds ici. Aujourd’hui, on en prépare 17.000. On en prépare chaque jour un peu plus. Nous avons deux autres poêles à paella géantes qui arrivent et on espère en recevoir davantage. Notre objectif est d’arriver à cuisiner 30.000 repas chauds par jour, juste à cet endroit. Je vous ai parlé des zones éloignées auxquelles on arrive. Nous avons une zone d’influence très élargie, d’Asni à Taroudant. Nous livrons grâce aux véhicules, aux hélicoptères et nous rencontrons des communautés qui nous disent «Nous voulons cuisiner ! Nous voulons cuisiner !» Donc, nous leur fournissons des kits de cuisine, pour qu’ils puissent le faire. Nous aurons également une cuisine sur le terrain à Taroudant, pour pouvoir atteindre plus d’endroits. Qui sait combien de repas, nous allons préparer ! Mais ce qui est sûr, c’est que ce sera des milliers et des milliers.

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