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Lundi 20 Mai 2024
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Des victimes de «L’boufa» témoignent : de grosses souffrances à l'issue incertaine

Inquiétant. La moitié des pensionnaires du pavillon d’addictologie de l’hôpital psychiatrique Arrazi de Tit Mellil à Casablanca sont victimes de... «L’boufa». «Le Matin TV» est allé à leur rencontre. Si leur moyenne d'âge est supérieure à celle des consommateurs dans leur globalité, 13-22 ans, leurs souffrances n'en sont pas moins insupportables. Le prix très bas, 10 DH la dose au lieu de 50 selon le directeur de l'établissement, fait que la consommation se répand avec son lot de dégâts physiques et psychiques. Et une issue incertaine.

Hôpital psychiatrique Arrazi de Tit Mellil. Difficile de contenir ses émotions une fois dans l'enceinte du pavillon d’addictologie. C'est que les personnes admises à cause de «L’boufa» sont jeunes, extrêmement jeunes et ont déjà baissé les bras. Leurs témoignages bouleversants au micro de «Matin TV» nous révéleront que ce poison est loin d'être la drogue des pauvres comme le pense l'opinion publique. Familles moyennes ou aisées, l'addiction est là avec ses dégâts et la ferme conviction de ne pas pouvoir s'en sortir !

>>Lire aussi : Vendue à 50 DH, Lboufa est dix fois plus dangereuse que toute autre drogue (Dr Benzakour)


«L’boufa est la drogue la plus dangereuse parmi toutes celles que j’ai connues dans ma vie. Elle m’a détruit et m’a rendu son esclave au vrai sens du terme. J’ai perdu mon travail, ma famille, mon argent et j’étais prêt à tout faire pour avoir une petite dose de cette drogue. Je suis sous traitement et c’est ce qui me permet d’être plus stable, mais je ne pense pas pouvoir retrouver ma vie d’avant». Ce témoignage, livré par un jeune de 30 ans actuellement à l’hôpital psychiatrique Arrazi de Tit Mill, en dit long sur les souffrances endurées.

Les cas d’addiction à L'boufa en hausse

«L'boufa» inquiète de plus en plus. Sa fabrication, à partir d’un mélange de déchets de cocaïne et de résidus de substances chimiques à toxicité très élevée, fait que ses effets sont extrêmement dangereux. Et la hausse de la consommation aidant, les cas d'addiction augmentent. D’ailleurs, la moitié des admis au pavillon d’addictologie de l’hôpital psychiatrique Arrazi de Tit Mill sont des victimes de cette drogue. Le Centre hospitalier universitaire Ibn Rochd de Casablanca (CHU) a, pour sa part, accueilli 15 cas au cours du mois de juillet 2023, dont 5 pour consommation de «L’boufa». «Les 10 autres consomment également cette drogue en plus d’autres substances», selon nos sources au CHU.

Une addiction beaucoup plus rapide

D’après les spécialistes, la dangerosité de cette drogue provient du fait qu’on peut en devenir addict très rapidement. «La première dose m’a fait entrer dans un état très spécial au bout des deux premières minutes et j’en suis vite devenu dépendant. J’en consommais beaucoup dans l’espoir de revivre un jour le premier moment d’extase, mais en vain», nous a confié un autre jeune que nous avons également rencontré à l’hôpital psychiatrique Arrazi de Tit Mill. Âgé de 34 ans, il nous a raconté qu’il était prêt à tout faire pour se procurer sa dose de «L’boufa». «J’ai vendu ma montre, mon téléphone portable, une télévision et le PC portable de ma sœur». L’effet est tellement «incroyable» que certains ont poussé leur femme à la prostitution en contrepartie d’un petit morceau de «L’boufa». Un autre pensionnaire de l’hôpital Arrazi est toujours sous le choc après avoir perdu son ami le plus proche suite à une overdose de «L’boufa». Les larmes aux yeux, il nous lance aussi que «“L’boufa” reste la drogue la plus dangereuse que les jeunes doivent absolument éviter».

Les dealers s'activent pour baisser le prix de l'boufa et la rendre plus accessible 

Le directeur de l’hôpital psychiatrique Arrazi de Tit Mellil, Dr Khalid Ouqezza, est convaincu, lui aussi, que «L’boufa» constitue une menace réelle pour la société. «Elle se propage parmi les jeunes et particulièrement ceux âgés de 13 à 22 ans», a-t-il déclaré. Et d’ajouter que contrairement à ce qui circule sur les réseaux sociaux, cette drogue n’est pas nouvelle. Elle existe au Maroc et dans d’autres pays depuis des années. Le médecin a précisé que si on en parle beaucoup aujourd’hui, c’est parce qu’elle est devenue plus accessible en comparaison avec les autres types de drogues. De même, nous dit-il, les dealers sont parvenus à créer une communauté de consommateurs composée de pauvres et de jeunes issus de la classe moyenne qui ne peuvent pas s’offrir de la cocaïne, vu son prix élevé. «Cette communauté peut acheter une quantité de “L’boufa” à 10 DH, ce qui doit réellement alerter», nous déclare-t-il.

Des dégâts physiques et psychiques irréversibles

«La consommation en inhalation fait que “L’boufa” augmente l’action de la dopamine, ce qui provoque un état d’excitation et une force naturelle», explique Dr Ouqezza. L’effet de cette drogue reste de courte durée et c’est ce qui explique la fréquence de consommation dans la journée. Le médecin note aussi que le manque se fait durement ressentir en comparaison avec d’autres types de drogues. «La disparition de l’effet de cette drogue se traduit généralement par un comportement très agressif envers soi-même et envers les autres avec une forte angoisse et une dépression». Interrogé sur les conséquences sur le corps, le médecin précise que, outre des répercussions purement psychologiques liées à l’addiction, les victimes souffrent de problèmes rénaux, de foie et de poumons. «Des cas de décès ont également été enregistrés l’année dernière». Qu'en est-il du traitement ? Dr Ouqezza regrette que cela ne soit pas facile eu égard à l’effet de «L’boufa» sur le corps, car la personne devient incapable de vivre sans consommer cette drogue.

Pis encore, «le consommateur risque de perdre à vie ses capacités cognitives comme la capacité de réfléchir et de se remémorer», alerte le spécialiste. Les dégâts sont donc incurables et irréversibles. Les cas en traitement à l'hôpital Arrazi sont là depuis au moins quatre mois. Ils seront «libres» de quitter les lieux une fois que le médecin assurera qu'ils ne sont plus violents envers eux-mêmes et envers leur entourage.
Pour notre interlocuteur, «L’boufa» représente un danger public qu’il faut combattre avec la plus grande fermeté. Dr Ouqezza lancera dans ce sens, via le micro de «Matin TV», un appel aux autorités pour redoubler d’efforts afin d'en finir avec cette drogue.

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DGSN : 200 affaires liées à «L'boufa», aucune à proximité des établissements d'enseignement

La stratégie sécuritaire en matière de lutte contre la drogue s'appuie sur une approche globale visant à restreindre l’offre et renforcer la surveillance au niveau des zones frontalières ainsi que sur les routes. Il s'agit également de réduire la demande en prenant des mesures préventives, notamment à travers des campagnes de sensibilisation et l'intensification de la surveillance des lieux publics fréquentés par les jeunes et les mineurs, tels que les cafés, les clubs et les espaces de jeux.

Ainsi, et selon les dernières données fournies par le ministre de l'Intérieur, l’année scolaire 2022-2023 a été marquée par l’organisation de plusieurs campagnes de sensibilisation organisées par les services de la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN). Elles ont touché quelque 713.782 étudiants dans 8.675 établissements d'enseignement, en collaboration avec 2.971 associations.

Durant la même période, les opérations sécuritaires menées aux alentours des établissements d’enseignement ont conduit au traitement de 3.870 affaires, entraînant l’interpellation de 4.286 suspects, a affirmé le ministère.
Par ailleurs, 200 affaires liées à la drogue «L’boufa» ont été enregistrées entre janvier 2020 et mai 2023, a-t-il ajouté, notant qu'aucune de ces affaires n'a été enregistrée à proximité des établissements d’enseignement. Ces opérations ont entraîné la saisie d’environ 3 kg de cette drogue et l'interpellation de 282 personnes, qui ont ensuite été traduites en justice.
 

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