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L’antifragilité ou l’art de se renforcer en temps de crise

Plusieurs approches sont mises à la disposition des chefs d’entreprises leur permettant de se réinventer et de s’améliorer. Celle dont on entend parler de plus en plus récemment est le concept de «l’antifragilité». Sa particularité réside dans le fait qu’elle permet à l’entreprise de se renforcer face à l’échec, au stress, aux chocs, à la volatilité et aux erreurs. Éclairages avec Sanae Hanine, PhD, experte en communication, coach et formatrice en développement personnel.

L’antifragilité ou l’art de se renforcer en temps de crise

Conseil : La gestion des répercussions de la crise sanitaire sur l’entreprise impose aux managers de prendre des risques et de décider dans l’incertitude. Quels moyens se donner pour relever ces grands défis ?
Sanae Hanine : C’est presque une tautologie d’affirmer que les entreprises sont aujourd’hui obligées d’explorer des options pour survivre face à la crise du Covid-19. Force est de reconnaître que les chefs d’entreprises font face désormais à plusieurs dilemmes relatifs à la reconfiguration du travail, notamment la gestion du télétravail et le maintien de la relation avec les clients. Elles doivent ainsi traiter avec les restrictions de déplacements, les investissements retardés, les chaînes d’approvisionnements perturbés, les dettes cumulées ainsi que l’incertitude des marchés financiers. Certaines entreprises sont même obligées de revoir tout leur modèle économique. Je pense aussi que le grand dilemme pour les entreprises face à un contexte de crise reste celui de préparer le futur en prenant des risques. Ainsi, pour permettre aux entreprises de relever tous ces défis, de nouvelles approches ont été développées, notamment celle de l’antifragilité dont le but est de permettre à l’entreprise de se renforcer dans un environnement chaotique plutôt que de s’effondrer. Le concept a été développé par Nassim Nicholas Taleb et implique que les occurrences «des cygnes noirs» ou les incertitudes doivent être intégrées à la vie de l’entreprise. L’approche trouve son intérêt partant du principe que les entreprises antifragiles se nourrissent du chaos et se renforcent lorsqu’elles sont exposées à des facteurs de stress, de chocs, de volatilité ou encore des erreurs, des attaques ou des échecs. En effet, un système fragile risque d’être affaibli ou endommagé face au désordre parce qu’il suppose une protection extérieure tandis qu’un système antifragilité prospère dans des environnements chaotiques, instables et imprévisibles en se basant sur ses propriétés internes.

Concrètement, comment développer l’antifragilité en cette période de crise sanitaire due à la pandémie du Covid-19 ?
La crise sanitaire que nous traversons et qui est due à la pandémie du coronavirus (Covid-19) peut être considérée comme un «cygne noir» c’est-à-dire un événement de très faible probabilité. Les entreprises pourraient ainsi profiter de cette situation pour se développer et se renforcer sur tous les niveaux. En se basant sur ses composantes intrinsèques, l’entreprise pourra épouser le chaos comme une seconde nature. D’ailleurs, soulignons-le, chercher à éliminer le stress lié à l’incertitude finit par la fragiliser encore plus. On peut citer l’exemple des entreprises de textile qui se sont converties pour la production des masques au lieu de fermer boutique ou celles qui ont décidé d’adopter définitivement le télétravail ou encore celles qui sont passées à la distribution de leurs services à travers le digital. L’antifragilité matérialise la célèbre pensée nietzschéenne : «Ce qui ne me tue pas me rend plus fort». Je pense que cette crise sanitaire doit être affrontée à contre-courant pour nous inciter à envisager l’avenir d’une manière antifragile. Comme le bon bois ne pousse pas dans la facilité, un maximum de protection peut fragiliser l’entreprise. Cette crise est donc une occasion pour les dirigeants leur permettant de mieux repenser leurs modèles, de se transformer et s’immuniser contre les erreurs de prédiction. Je pense que la bonne manière pour mettre en place l’antifragilité est de se remettre en question pour trouver la voie à suivre dans un monde surpeuplé de cygnes noire. Il s’agit tout simplement de savoir comment capturer l’abondance dans la rupture.

Quelles sont les compétences à renforcer durant cette période ?
Décider dans l’incertitude, être dans l’action plutôt que dans la déprime, impliquer les autres dans la réflexion sont, entre autres, des compétences à renforcer durant cette période. Il faut savoir que l’antifragilité en tant qu’approche implique plusieurs méthodes pour améliorer la prise de décision face à l’incertitude. La première méthode est d’ordre philosophique. Elle met en avant l’importance de commencer à accepter que la vie soit faite d’incertitudes implacables plutôt que de chercher à exercer un contrôle maladroit pour l’éviter ou l’éliminer. Elle implique également de développer l’amour du risque et du désordre délibéré. La deuxième méthode est dite «l’optionalité» puisqu’elle consiste à garder ses options ouvertes par l’esquisse d’un éventail d’options stratégiques au lieu que de se concentrer sur une seule. Plus l’entreprise a des options, plus elle dispose de la liberté pour réagir à des circonstances imprévues et moins elle est fragile face à des événements soudains. À titre d’exemple, l’entreprise peut augmenter l’antifragilité en créant plusieurs unités commerciales produisant des produits différents en veillant à ce que les marchés de leurs produits ne soient que peu liés. La troisième méthode, c’est l’hormèse qui signifie que c’est la dose qui fait le poison comme cela a été formulé par Paracelse. L’hormèse implique d’intégrer de petits facteurs de stress pour survivre à un événement majeur dévastateur. Cette méthode part du principe que la suppression ou l’absence des facteurs de stress peuvent être préjudiciables, même s’ils semblent bénéfiques à court terme. Dans ce sens, une entreprise pourrait par exemple répartir les investissements dans des expériences à petite échelle avant de s’engager dans des investissements à plus grande échelle. D’autres techniques peuvent renforcer l’antifragilité des entreprises comme les expérimentations à «petite échelle ou l’apprentissage par l’erreur» tel que pratiqué par les lean startups qui gardent toujours leur modèle économique ouvert et l’adaptent à travers la boucle « apprendre, mesurer, construire et réapprendre». Les boucles de rétroactions rapides leur permettent de s’adapter rapidement et les fluctuations fournissent des informations précieuses et améliorent la qualité globale de leur système. In fine, pour devenir antifragile, il vaut mieux être petit et agile pour maintenir une flexibilité durant les temps chaotiques et volatiles.

Partant du principe qu’il est important d’apprendre de ses erreurs, quelles leçons les managers et les collaborateurs doivent-ils tirer du Covid-19 en matière de gestion de crise ?
S’il y a une leçon que l’on doit tirer de la crise sanitaire c’est qu’on ne peut pas tout contrôler et qu’on ne peut pas non plus tout prévoir. La crise sanitaire doit nous apprendre à nous adapter rapidement aux changements et à développer constamment nos compétences. Ainsi, au lieu de perdre le temps, l’énergie et l’argent en devinant ce qui pourrait se produire dans le futur, il vaudrait mieux le créer. L’antifragilité nous apprend d’ailleurs de nous permettre de faire des erreurs et d’apprendre d’elles. Elle nous incite aussi à développer de nouvelles facultés, de nouvelles idées et d’avancer plutôt que de stagner ou de reculer. Au lieu de combattre la volatilité et l’incertitude, il vaut mieux passer à l’action. Dans le contexte organisationnel, une longue période pendant laquelle aucune erreur ne se produit dégradera toute réponse future à une erreur. 

Par quels moyens peut-on y impliquer l’ensemble des collaborateurs ?
Je pense que pour impliquer les collaborateurs, il est important de leur permettre de travailler de manière flexible et instinctive en tolérant leurs erreurs et en les aidant à apprendre de leurs échecs. Il est important aussi de faire en sorte que l’antifragilité devienne une culture d’entreprise. Cela permettra d’aider les collaborateurs à être pugnaces et stoïques, à apprendre à apprivoiser et, même, à dominer l’incertitude plutôt que d’en avoir peur. L’implication des collaborateurs dans cette démarche leur permettra d’avoir confiance en leurs qualités intrinsèques et leur génie en vue de se renforcer dans l’adversité. L’antifragilité signifie également d’encourager les collaborateurs à faire montre de leur créativité et à devenir des preneurs de risques en toutes circonstances. 

Entretien réalisé par Nabila Bakkass

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