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Autonomie des provinces du Sud : l'éclairage d'Abdellatif Komat

La consécration, le 31 octobre 2025, par le Conseil de sécurité des Nations unies, de la marocanité du Sahara a certes clos un long et laborieux cycle diplomatique, mais elle a aussi placé le Maroc devant l’exigence d’articuler, pour ses provinces du Sud, une autonomie pleinement assumée, fidèle à la profondeur pluriséculaire de son État, mais alignée sur les meilleures pratiques internationales. Intervenant lors de «L’Info en Face» du 24 novembre dernier, Abdellatif Komat, directeur du capital humain et des relations institutionnelles à l’ESCA École de management et ancien doyen à Université Hassan II de Casablanca, éclaire ce tournant, dévoilant les impératifs politiques, juridiques et sociétaux d’un modèle de gouvernance appelé à concilier unité souveraine, cohérence institutionnelle et convergence territoriale.

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Ce qui a été scellé le 31 octobre 2025 a porté la question bien au-delà du registre diplomatique pour l’inscrire dans celui, infiniment plus délicat, de l’architecture institutionnelle. Désormais, sur le terrain, dans les arcanes de l’État comme au sein des forces vives de la nation, cette consécration se mue en devoir collectif, celui de mener une réflexion approfondie pour concevoir un modèle de gouvernance pour les provinces du Sud qui rompt avec ceux déjà en place. Car il ne s’agit plus d’établir la souveraineté, mais d’en assurer la traduction concrète, ordonnée et durable.



À écouter Abdellatif Komat dans «L’Info en Face», diffusée le 24 novembre sur Matin TV, se révèle une évidence : l’autonomie des provinces du Sud ne sera ni un simple ajustement administratif ni un prolongement mécanique de la régionalisation avancée. Cette autonomie suppose une refondation méthodique, capable d’intégrer la Constitution de 2011, les politiques territoriales de la dernière décennie et la dynamique de développement qui a transformé le Sahara marocain en moteur économique. Ainsi se dessine un moment rare, où le pays doit simultanément consolider son unité, absorber des mutations internes profondes et traduire, dans le langage du droit et des institutions, un acquis international devenu irréversible. C’est cette articulation entre souveraineté, modernité et cohérence territoriale que met en lumière M. Komat, en rappelant que l’essentiel commence maintenant : bâtir une autonomie exemplaire, fidèle à l’État marocain et ouverte à un espace régional à stabiliser.

Un tournant historique, mais nullement «la fin d’un parcours»

La résolution adoptée le 31 octobre par le Conseil de sécurité marque, certes, une percée diplomatique sans précédent, tant par la clarté de sa formulation que par la concordance des puissances qui l’ont portée. Pourtant, comme le souligne Abdellatif Komat, «c’est une étape très significative, mais ce n’est pas la fin d’un parcours». Autrement dit, si le Maroc voit sa souveraineté consacrée, il hérite simultanément d’un mandat exigeant : celui de conduire la transition d’un acquis international vers un édifice institutionnel maîtrisé.

Mais pour l’ancien doyen de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Casablanca, ce moment de consécration ne saurait être lu hors de l’épaisseur du temps long. «Le processus est passé par plusieurs étapes très difficiles», rappelle-t-il, convoquant une mémoire jalonnée d’affrontements et de ruptures. M. Komat évoque ainsi «les périodes de confrontation militaire entre 1975 et 1981», puis la séquence de négociations conduisant au cessez-le-feu de 1991, avant l’ère des tractations politiques sous l’égide des Nations unies.


De ces mutations successives, le Maroc est sorti, selon lui, avec constance et sérénité, jusqu’à faire advenir ce qui s’est imposé comme une évidence nationale : «Le Maroc est dans son Sahara et le Sahara est dans son Maroc». Une formule désormais partagée, mais que M. Komat appelle à dépasser dans une logique d’appropriation plus profonde encore : celle d’un projet politique, humain et institutionnel pleinement assumé. Ainsi, poursuit-il, «c’est une réussite qui ouvre d’autres voies», des voies qu’il faudra emprunter «avec sagesse, avec sérénité, avec clairvoyance», fidèle autant aux ressorts pluriséculaires de l’État marocain qu’aux dynamiques politiques et territoriales du présent.

Une mobilisation qui dépasse les seules institutions

Il s’agit donc de concevoir une architecture territoriale nouvelle pour prendre en compte le statut spécifique des provinces sahariennes. Si l’impulsion première procède du Souverain, comme en témoignent les rencontres tenues avec les partis politiques et les centrales syndicales, Abdellatif Komat rappelle que l’équation dépasse très largement le périmètre institutionnel. «La mobilisation ne doit pas se limiter à la dimension institutionnelle, c’est un projet de société», affirme-t-il, en insistant sur la nature profondément collective du moment que traverse le Royaume.

Ainsi, au-delà des consultations formelles, prend forme une responsabilité partagée : «Il va falloir continuer, de part et d’autre, à mobiliser les jeunes, leur expliquer, produire et essayer de réfléchir pour que ce soit un projet partagé», insiste cet expert en relations institutionnelles. Car, rappelle-t-il aussitôt, «la cohésion» et «l’unité», élevées au rang de principes cardinaux, supposent que «toutes les composantes de la société» s’engagent dans la même dynamique.

L’actualisation du plan d’autonomie : un engagement international structurant

Dès lors l’actualisation de l’initiative d’autonomie de 2007 s’avère nécessaire. Pour Abdellatif Komat, il ne s’agit nullement d’un simple ajustement technique, mais du respect d’un engagement clairement assumé par le Maroc devant la communauté internationale : proposer «un plan actualisé, tenant compte des évolutions nationales et internationales». En rappelant que «nous nous sommes engagés à proposer un plan actualisé», il souligne que l’enjeu dépasse la stricte ingénierie juridique : il engage la responsabilité de l’État à réarticuler un dispositif devenu, au fil des transformations internes, inadapté au nouveau contexte politique, institutionnel et territorial du Royaume.

Or, rappelle-t-il, depuis avril 2007, le pays n’est plus le même. La Constitution de 2011, en refondant la distribution du pouvoir et en consacrant la régionalisation avancée, a posé les premiers fondements d’un Maroc plus décentralisé. La dynamique de déconcentration administrative, elle-même portée par les discours Royaux successifs, a renforcé la capacité des territoires à assumer des responsabilités différenciées. Le nouveau modèle de développement, enfin, est venu replacer la question territoriale au cœur même de la performance nationale, tandis que le modèle de développement des provinces du Sud, initié en 2015, a démontré la faisabilité d’une gouvernance régionale ambitieuse et cohérente.

Une autonomie inscrite dans une stratégie régionale élargie

Le futur dispositif d’autonomie, et c’est là l’articulation essentielle, ne peut se contenter d’un simple ajustement. Il doit, selon M. Komat, entrer dans la profondeur des mécanismes de mise en œuvre, préciser les attributions législatives, exécutives, judiciaires et fiscales qui définiront la capacité réelle des institutions locales, tout en maintenant la ligne infranchissable de la souveraineté nationale : «Tout ce qui relève de la défense, de la sécurité et de la politique étrangère demeure du ressort du pouvoir central.» Ainsi se dessine une architecture où autonomie et unité ne s’opposent pas, mais se répondent, et où le défi consiste non à fragmenter l’État, mais à en affiner la cohérence, en articulant un niveau régional doté de responsabilités substantielles avec un niveau national garant de l’intégrité et de la continuité étatique.

En effet, aux yeux de Abdellatif Komat, l’autonomie des provinces du Sud ne se conçoit pas comme un simple agencement institutionnel interne. Elle s’inscrit, plus profondément, dans une projection géostratégique où le Maroc entend arrimer sa souveraineté territoriale à une dynamique de stabilité régionale. Le Royaume, rappelle-t-il, aspire à une «cohabitation régionale basée sur le développement commun et le bon voisinage», faisant de l’autonomie un levier de pacification au-delà même de ses frontières.

Dès lors, deux impératifs se précisent. D’abord, celui de l’intégration des populations sahraouies séquestrées dans les camps de Tindouf. «Il faut qu’elles reviennent à leur patrie», insiste M. Komat, qualifiant ce retour d’«étape fondamentale», à conduire «de manière objective et ancrée dans la profondeur historique». Dans cette perspective, le dialogue avec l’Algérie s’impose moins comme une option diplomatique que comme une nécessité technique et politique, notamment pour en définir les modalités concrètes. Ensuite, s’agissant du front polisario, l’intervenant rappelle la ligne constante du Royaume : la patrie est «clémente et miséricordieuse», attachée à l’intégration des populations dans un cadre de valorisation humaine, sociale et économique, tel qu'il est déjà prévu dans l’initiative marocaine d’autonomie.

S’inspirer du monde, mais inventer un modèle marocain

Dans cet exercice politique, technique, juridique et humain, Abdellatif Komat, affirme que l’approche comparative ne saurait être éludée, à condition d’observer le sens de la mesure. Les expériences du Groenland au Danemark, du Tyrol du Sud en Italie ou encore des îles Åland en Finlande offrent, à ses yeux, des référentiels utiles pour penser l’autonomie dans ses dimensions institutionnelles. Mais «il ne s’agit pas de calquer, mais de construire un modèle made in Morocco». L’inspiration, ici, ne vaut jamais imitation.

Car le Maroc, souligne-t-il, relève d’une singularité historique et politique irréductible à tout transfert mécanique. Treize siècles de continuité étatique, une monarchie enracinée dans la durée, une culture politique structurée par l’allégeance, la Beïa comme lien organique entre les tribus sahariennes et l’institution monarchique, ainsi qu’un héritage spirituel et identitaire profondément unifié : autant facteurs qui fondent la matrice propre du Royaume. Dès lors, l’autonomie appelée à voir le jour ne pourra être qu’inspirée par les expériences étrangères, jamais importée. Elle devra procéder, dans sa substance comme dans son esprit, d’une élaboration strictement marocaine, fidèle à l’histoire longue de l’État et à la cohérence de son unité.

Deux systèmes institutionnels sous une seule souveraineté

L’un des chantiers les plus sensibles que soulève la future autonomie tient à la coexistence annoncée de deux niveaux institutionnels : d’un côté, un dispositif propre aux provinces du Sud, de l’autre, l’architecture nationale unifiée de l’État. À cet égard, Abdellatif Komat se veut catégorique : «Il peut y avoir deux systèmes qui cohabitent sous une seule souveraineté», récusant par avance toute lecture séparatiste du projet.

Concrètement, cette articulation se déclinera à travers plusieurs mécanismes convergents : la représentativité des populations sahariennes au sein du Parlement national, leur participation à l’Exécutif central, l’articulation entre des compétences régionales élargies et les prérogatives régaliennes de l’État, enfin, l’instauration d’une fiscalité autonome, mais étroitement connectée aux mécanismes nationaux de solidarité territoriale. Ainsi, loin d’esquisser une dissociation institutionnelle, le futur schéma entend consacrer une coordination organique, où deux niveaux de gouvernance se répondent et s’articulent dans le cadre intangible de la souveraineté du Royaume. Il ne s’agit pas de scinder l’État, mais d’en affiner la mécanique, en conjuguant autonomie territoriale, continuité monarchique et unité institutionnelle.

Gestion territoriale : les provinces du Sud comme locomotive

Au demeurant, au-delà de l’ingénierie institutionnelle et des équilibres de souveraineté, l’autonomie puise aussi sa légitimité dans une réalité tangible : celle d’un territoire déjà profondément transformé par le développement. La crédibilité du futur dispositif d’autonomie s’enracine d’abord dans une réalité économique désormais solidement établie. Selon Abdellatif Komat, les provinces du Sud ont connu en une décennie une mutation structurelle profonde : «elles dépassent aujourd’hui plusieurs régions du Royaume sur les indicateurs sociaux et économiques», fait-il observer. Ce basculement est porté par un effort d’investissement public massif, chiffré à 83 milliards de dirhams, qui a irrigué l’ensemble des infrastructures stratégiques.

Ports, routes, plateformes logistiques, mais aussi énergies renouvelables (solaire, éolien et hydrogène vert), sans oublier l’économie bleue et l’agriculture saharienne, ont progressivement installé la région comme un pôle émergent de croissance à haute valeur stratégique. À cette dynamique matérielle s’ajoute une projection macroéconomique ambitieuse : M. Komat évoque la perspective d’un doublement, voire d’un triplement du PIB régional à l’horizon des quinze prochaines années, signe que l’autonomie ne repose pas sur une promesse théorique, mais sur une trajectoire déjà engagée.

Mais cette transformation ne saurait être uniquement infrastructurelle. Elle s’accompagne d’un investissement soutenu dans le capital humain, que l’invité place au cœur de l’équation de durabilité. «Il y a quelques années, il n’y avait pratiquement pas d’enseignement supérieur dans les provinces du Sud. Aujourd’hui, nous comptons près de 11.000 étudiants», souligne-t-il. Faculté de médecine et de pharmacie à Laâyoune, Centre hospitalier universitaire en cours d’opérationnalisation, écoles de commerce, établissements de technologie et Cités des métiers et des compétences viennent structurer un écosystème de formation destiné à accompagner, sur le long terme, la montée en puissance économique.

Pour Abdellatif Komat, cette harmonie entre investissement productif, infrastructures lourdes et qualification des ressources humaines constitue le socle réel de l’autonomie à venir. Loin de relever du pari, celle-ci s’appuie désormais sur une base économique, sociale et éducative consolidée, capable de soutenir un modèle institutionnel élargi. Et c’est bien à cette aune, rappelle-t-il, que devra être pensée la future gouvernance régionale : non comme une concession politique, mais comme l’aboutissement logique d’un processus de développement déjà enclenché.
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