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Jamal Belahrach : L’accord syndicats-gouvernement est plus politique qu’économique ou social

La hausse des salaires décidée à l’issue du dialogue social entre le gouvernement et les syndicats représente-t-elle un levier pour l’économie nationale ? La question mérite d’être posée dans un contexte marqué par une persistance de l’inflation et elle est au centre des débats au lendemain de la fête du Travail. Jamal Belahrach, CEO de DEO conseil, ancien vice-président de la CGEM & past président de la commission Emploi & Relations sociales-CGEM, apporte son éclairage sur le sujet.

Jamal Belahrach
Jamal Belahrach
Donner un coup de pouce au pouvoir d’achat ne peut que booster l’économie. C’est en somme ce que l’invité de «L’Info en Face» répond à la question de Rachid Hallaouy concernant l’impact de la dernière hausse des salaires décidée dans le cadre du dialogue social. «Clairement, si on fait évoluer le pouvoir d’achat, on touche indirectement à l’économie. Je pense que la crise, dont nous ne sommes toujours pas sortis, l’inflation, etc., fait qu’aujourd’hui, cette hausse vient au bon moment pour les familles et, nécessairement, l’économie va se retrouver un peu gagnante», analyse l’invité.

Mais est-ce suffisant ? Si au niveau de la psychologie des ménages, l’impact de cette hausse est fort, pour booster l’économie, il va falloir agir sur plusieurs plans. «Pour moi, il ne s’agit pas vraiment d’un accord social, c’est plutôt un accord politique qui a été trouvé pour répondre à un momentum dans lequel le pays se trouve, notamment par rapport à toutes ces personnes qui ont des revenus relativement faibles et qui ne peuvent pas vivre avec un SMIG. Mais est-ce que ce sera suffisant pour aboutir à la croissance qui est nécessaire pour créer davantage d’emplois ? Là, le débat doit être lancé », affirme M. Belahrech.



Pour rappel, cette hausse du SMIG est la deuxième en deux ans. Elle intervient suite à l’accord signé dans le cadre du dialogue social. Ce dernier prévoit notamment une hausse, en deux temps, de 10% du salaire minimum dans le secteur privé. La première hausse de 5% est programmée pour janvier 2025 et la deuxième à la même période l’année suivante. Pour le salaire minimum agricole garanti (SMAG), la première tranche entre en vigueur en avril 2025 et la deuxième dès avril 2026. Pour l’expert, il s’agit aussi d’un signal positif à la classe moyenne. «C’est aussi un autre élément pour donner un signal aux classes laborieuses, celles qui travaillent, celles qui créent de la valeur. Aujourd’hui, il faut rappeler que l’une des premières sources d’impôt pour l’État, ce n’est pas l’impôt qui provient de l’entreprise, mais bien l’impôt sur les revenus», note l’invité qui précise qu’à ce niveau, «il y a un équilibre à trouver».

Hausse des salaires, quel impact pour les entreprises ?

Après l’annonce de l’accord social, les experts s’attendaient à une réaction de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) qui avait soulevé un impact probable de la hausse des salaires sur la compétitivité des entreprises. Interrogé à ce sujet, en sa qualité d’ancien vice-président de la CGEM et past-président de la commission Emploi & Relations sociales de la Confédération, Jamal Belahrach a rappelé que le patronat a pu obtenir un certain nombre d’avantages dans la dernière loi de Finances, notamment la révision de l’IS et de la TVA. «Donc aujourd’hui, je pense qu’il y a un équilibre à trouver. Quand je dis que c’est une décision politique, j’entends que si nécessaire, le politique doit donner une direction. Et aujourd’hui, soutenir le pouvoir d’achat des populations les plus vulnérables est une nécessité absolue pour le politique dans un monde où l’inflation a été dévastatrice. Donc, pour moi, c’est une décision politique qui était nécessaire. Le patronat devra effectivement la gérer au mieux en assumant moins de résultats», explique l’invité.

Évoquant l’éventuel impact négatif sur la compétitivité des entreprises, M. Belahrach ne semble pas totalement d’accord ! Selon lui, le problème de la compétitivité date de plusieurs années. «Ce problème est le même partout dans le monde, dès qu’on touche au SMIG. Bien évidemment, ça touche les industries concernées, mais encore une fois, nous sommes dans un momentum où le politique doit reprendre la main sur un certain nombre de sujets. Moi, je soutiens ce type de décisions politiques. Mon combat a toujours été autour des questions sociales. Je vous rappelle que lorsque j’étais à la tête du CJD (Centre des jeunes dirigeants) en 2003, j’avais déjà préconisé et proposé un SMIG à 3.000 dirhams avec zéro charge sociale. Et si à l’époque on avait pris cette décision-là, rien qu’avec l’indexation sur l’inflation à 2% en moyenne par an, sur les 20 dernières années, je pense que le SMIG serait au-delà de sa position actuelle. Donc, ce qui est important, c’est que le politique doit se projeter dans le temps, avoir une vision globale et tout le monde doit l’assumer dans un cadre social. Aujourd’hui, le contrat social marocain est complètement déséquilibré en fonction des populations. Donc aujourd’hui, c’est une décision politique qu’il faut assumer», tranche M. Belahrach. Toutefois, il indique que l’entreprise doit trouver les moyens pour retrouver de la compétitivité.

Salariés du public et du privé, où est l’équilibre ?

Partant du constat que le salaire moyen dans la fonction publique est deux fois et demi supérieur à celui dans le privé, il est légitime de s’interroger sur la situation après cette nouvelle hausse qui va consacrer encore une fois ce déséquilibre entre les deux secteurs. Oui, confirme l’invité, «c’est pour ça que j’ai insisté sur le fait qu’il s’agit d’une décision politique. Or aujourd’hui, quand on voit le niveau de productivité de l’administration qui laisse à désirer, effectivement, ça peut paraître choquant de se dire qu’une hausse de 1.000 dirhams d’un coup pour des fonctionnaires aujourd’hui, c’est un vrai sujet ! Maintenant, si derrière il y a une politique d’amélioration des prestations de services, de numérisation, etc., on verra», lance M. Belahrach. De même, pour la révision de l’IR, notre invité estime que «c’est une bonne chose de donner un peu d’air aux autres tranches de la classe moyenne, d’améliorer leur pouvoir d’achat, parce qu’ils ne sont pas au SMIG. Il faut encore remettre du carburant dans l’économie, dans la consommation, parce qu’encore une fois, on ne semble pas sortir de la crise inflationniste».

Comment créer de l’emploi ?

La question à se poser aussi est comment faire pour que le Maroc crée de la croissance durable et, par conséquent, des emplois. C’est ça le vrai sujet. En guise de réponse, l’invité note que c’est dans ce sens qu’il est utile d’avoir une vision globale de la façon dont on génère plus de croissance pour pouvoir distribuer. Quand je n’ai pas de croissance, je fais des cadeaux, je revalorise le salaire minimum dans le secteur privé et public, c’est beaucoup de dépenses engagées. Et la croissance économique n’est pas au rendez-vous, commente Rachid Hallaouy pour sa part. Justement, répond son invité, «c’est pour ça que je vous dis que c’est une décision politique plus qu’économique. J’ose espérer tout simplement que cette décision politique va être assumée budgétairement parlant. C’est très important, dans la mesure où la croissance marocaine aujourd’hui reste en deçà de ce qui est requis pour pouvoir assumer un développement serein et inclusif. On n’y est absolument pas. Je rappelle qu’il avait été politiquement annoncé qu’on serait à des croissances supérieures à 5% pendant quelques années. Ce qui n’est pas le cas», rappelle l’invité.

Par ailleurs, il faut préciser qu’en plus de cet accord, il y a des dossiers qui doivent être traités en parallèle. «Le Code du travail qui doit être repensé. Le texte sur le droit de grève doit être très vite mis en place. La réforme du schéma de la retraite qui n’est plus gérable aujourd’hui. Rien que ces trois sujets sont d’une importance cruciale, et j’en rajouterai un quatrième qui est la réforme de la loi sur la formation continue qui est un vrai désastre... tout cela est à prévoir ! », souligne l’invité.
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