Où en est la réforme de la Moudawana ? Cette question, Ghizlane Mamouni y répond sans détour : «Officiellement, rien n’a bougé depuis décembre 2024.» Et ce silence prolongé, deux ans après la Lettre Royale d’octobre 2022 appelant à une révision du Code de la famille, suscite plus que de la frustration : il alimente le doute, la méfiance et, surtout, l’attente d’un processus qui aurait dû être balisé, transparent, constitutionnel. Or depuis que les ministres de la Justice et des Affaires islamiques ont présenté en tandem, fait rare, les premières propositions de réforme, l’essentiel du débat semble «confisqué» par le Conseil supérieur des oulémas, dont plusieurs fatwas ont eu pour effet de bloquer certains points clés, estime Me Mamouni. «C’est comme si ces avis religieux avaient plus de poids que la Constitution elle-même», s’interroge l’avocate, en rappelant que l’article 32 de la Constitution garantit une protection égale pour tous les enfants, quelles que soient les circonstances de leur naissance. Une garantie juridique fondamentale, pourtant bafouée dans les textes actuels.
Une réforme piégée par le calendrier électoral ?
À quelques jours de la rentrée parlementaire d’octobre et alors que cette session coïncide avec la Journée nationale des droits des femmes, aucune mention claire d’un dépôt de projet de loi n’a été faite.
Me Mamouni s’inquiète : «En année préélectorale, le débat risque d’être récupéré par certains partis à des fins électoralistes, au détriment du fond.» Elle va plus loin encore : «Quitte à attendre une année de plus, autant éviter que la réforme de la Moudawana devienne un cheval de bataille populiste, manipulé à coups de fake news.» Une position assumée, mais non consensuelle, y compris au sein du mouvement féministe. Le danger ? Un emballement médiatique autour de «fantasmes». «Combien de fois ai-je entendu des hommes venir au cabinet d’avocat et demander : est-ce qu’elle va me prendre la moitié de mes biens ?» raconte-t-elle. Des peurs attisées par une désinformation galopante, sans qu’aucune mise au point officielle ne vienne les démentir.
Me Mamouni s’inquiète : «En année préélectorale, le débat risque d’être récupéré par certains partis à des fins électoralistes, au détriment du fond.» Elle va plus loin encore : «Quitte à attendre une année de plus, autant éviter que la réforme de la Moudawana devienne un cheval de bataille populiste, manipulé à coups de fake news.» Une position assumée, mais non consensuelle, y compris au sein du mouvement féministe. Le danger ? Un emballement médiatique autour de «fantasmes». «Combien de fois ai-je entendu des hommes venir au cabinet d’avocat et demander : est-ce qu’elle va me prendre la moitié de mes biens ?» raconte-t-elle. Des peurs attisées par une désinformation galopante, sans qu’aucune mise au point officielle ne vienne les démentir.
Une réforme captive d’un processus «inconstitutionnel»
Derrière l’immobilisme, Ghizlane Mamouni dénonce surtout un processus opaque et inadapté aux règles d’un État de droit. «Qui pilote la réforme ? Le Chef du gouvernement est aux abonnés absents. Les ministres communiquent par bribes. Et c’est le Conseil des oulémas qui semble trancher in fine. Ce n’est pas seulement confus, c’est anticonstitutionnel !» Et de s’interroger : pourquoi certains domaines (bancaire, fiscal, économique...) échappent-ils à l’arbitrage religieux, quand d’autres, touchant à la famille et aux femmes, y restent assignés ? «Pourquoi tant de pudeur autour des droits des femmes et pas autour des casinos ou des taux d’intérêt bancaires ?», ironise-t-elle.
Une démocratie à géométrie variable
Pour Ghizlane Mamouni, l’affaire dépasse le seul champ juridique. Il s’agit aussi d’un test grandeur nature pour la démocratie marocaine. «Ce qu’on demande, ce n’est pas une faveur. C’est l’application de la Constitution de 2011, adoptée à 99%.» Or 14 ans plus tard, le mécanisme prévu pour permettre à un citoyen de contester un texte de loi inconstitutionnel (le contrôle a posteriori) n’est toujours pas opérationnel. La conséquence est claire : «On continue à appliquer un Code de la famille de 2004, écrit avant la Constitution de 2011, donc par définition, obsolète.»
Quant aux partis politiques progressistes, Me Mamouni cible un paradoxe flagrant. «Que le PJD s’oppose à une réforme égalitaire, ce n’est pas une surprise. Mais que les partis dits progressistes, aujourd’hui au gouvernement, s’alignent sur des positions inconstitutionnelles, là, c’est inquiétant.» Elle se souvient d’une tournée menée en 2021 auprès de formations politiques de tous bords. Question simple : êtes-vous prêts à porter un projet de réforme ? Réponse unanime : «Non, on attend un arbitrage Royal». Une abdication du rôle parlementaire, contraire à l’esprit et à la lettre de la Constitution de 2011.
Libertés individuelles : l’autre angle mort
Pour Me Mamouni, la Moudawana ne peut être réformée sans regarder en face l’autre texte clé : le Code pénal. «La criminalisation des relations sexuelles hors mariage par l’article 490 est une menace directe à la justice et à la protection des femmes.» Elle illustre ce blocage par des situations vécues : jeunes femmes victimes de revenge porn qui n’osent pas porter plainte, de peur d’être elles-mêmes poursuivies. «La loi les terrorise plus qu’elle ne les protège.» Et là encore, l’hypocrisie est dénoncée. «Un étranger homosexuel ou une personnalité politique étrangère mère célibataire est accueillie au Maroc sans encombre. Mais une Marocaine pauvre, seule, est exposée à la prison.» Une justice à deux vitesses, mise à l’épreuve à l’approche des grandes échéances sportives : CAN 2025 et Coupe du monde 2030.
Ainsi, le fond de la question, pour Me Mamouni, est clair : «La Moudawana, ce n’est pas un débat entre femmes et hommes. C’est une question d’égalité, de droits fondamentaux, d’État de droit.» Alors que le Maroc vise l’organisation de grands événements mondiaux et ambitionne d’incarner un modèle régional, l’absence de réforme juridique devient un angle mort stratégique. «On ne peut pas accueillir le monde en 2030, et en même temps maintenir des lois qui violent nos propres engagements constitutionnels.»
L’échange se termine sur un ton grave. Ghizlane Mamouni revient sur l’affaire Ibtissam Lachgar, militante féministe condamnée à 30 mois de prison. Si l’avocate se garde de cautionner la provocation du tee-shirt, elle défend le principe. «On ne peut pas emprisonner une femme pour avoir milité, encore moins quand elle l’a fait depuis l’étranger, dans un pays où le blasphème n’existe pas.» Elle appelle les associations féministes au sursaut : «Aujourd’hui, c’est Ibtissam. Demain, ce sera nous.» In fine, la réforme de la Moudawana n’est pas une question technique. Elle est au cœur du contrat social marocain, estime Me Mamouni. Deux ans après l’appel Royal, la question demeure entière : quand et comment ce projet verra-t-il enfin le jour ? Et surtout, dans quel cadre : transparent, démocratique... ou dicté par des logiques d’arrière-boutique ? Le compte à rebours est lancé.
