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Concurrence : Ahmed Rahhou explique les mécanismes de régulation du marché par des cas concrets

C’est devant un parterre d’acteurs économiques, de juristes et d’universitaires réunis à la Fondation Links que le président du Conseil de la concurrence, Ahmed Rahhou, s’est employé à expliquer le rôle de l’institution et la philosophie qui sous-tend ses interventions. Concentrations, ententes, positions dominantes, monopoles… autant de situations qui ont été abordées, le 28 novembre 2025, à travers des cas concrets. Conscient qu’il n’y a pas de meilleures illustrations que par l’exemple, M. Rahhou s'est essayé, tout au long de cet exercice de communication, à montrer comment le Conseil s’inscrivait dans la recherche constante d’un équilibre entre efficacité économique, sécurité juridique et stabilité des marchés.

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L’intervention d’Ahmed Rahhou s’est construite sur l’examen d’affaires emblématiques, conformément à une conception du droit de la concurrence envisagé avant tout comme un droit de la décision. En s’appuyant sur des cas précis, le président du Conseil a donné à voir la manière dont l’institution articule sanction, encadrement et engagement, dans un contexte économique caractérisé par l’intensification des concentrations et la montée en puissance de nouveaux modèles d’affaires.

Une institution désormais au cœur de l’architecture économique

D’entrée de jeu, M. Rahhou rappelle que le Conseil ne relève plus du seul registre consultatif, mais s’inscrit désormais pleinement dans le champ de la régulation normative et de la sanction. Investi de ses pleines prérogatives depuis 2018, il se conçoit comme un arbitre au sens institutionnel du terme, tenu à la neutralité, à la rationalité et à la crédibilité. «La concurrence est un instrument pour rendre l’économie plus efficace, plus lisible et plus attractive pour l’investissement», a-t-il souligné, précisant que l’institution traitait désormais entre 180 et 200 dossiers par an.

Un volume d’activité dominé par les opérations de concentration

Sur le plan quantitatif, Ahmed Rahhou a indiqué que 162 décisions avaient été rendues par le Conseil de la concurrence au titre de l’année 2024, dont près de 93% concernaient des opérations de concentration. Cette prédominance, a-t-il expliqué, reflète une phase de recomposition soutenue de nombreux secteurs de l’économie nationale. Dans la majorité des cas, l’instruction ne met en évidence aucune atteinte caractérisée au jeu de la concurrence. Lorsque les équilibres de marché apparaissent menacés, le Conseil intervient pour encadrer les opérations par des engagements correctifs, en fixer les paramètres, voire, le cas échéant, en refuser l’autorisation, a souligné M. Rahhou.

Assurance : le précédent Sanlam-Allianz

Le rapprochement entre Sanlam et Allianz a figuré parmi les affaires emblématiques détaillées au cours de cette rencontre aux allures de masterclass. Notifiée en 2022, l’opération laissait apparaître, selon l’analyse menée par le Conseil de la concurrence, des niveaux de concentration élevés dans plusieurs branches, notamment l’assurance automobile, la santé et le transport, avec, dans certaines agglomérations, la perspective d’une position dominante. Afin d’écarter tout risque de dérive monopolistique, l’institution a imposé un mécanisme de type hold separate, maintenant une stricte séparation juridique et commerciale entre les deux entités dans l’attente de la cession de plusieurs dizaines d’agences. Le suivi de ces engagements a été confié à un cabinet indépendant, chargé de veiller au rétablissement effectif des équilibres concurrentiels dans les zones concernées.

Sika–Sodap : la sanction du gun jumping

Dans un tout autre registre, l’affaire impliquant Sika et Sodap a mis en lumière les dérives liées aux opérations de concentration conduites en dehors de toute procédure de notification. Actives sur des segments concurrents, les deux sociétés se sont retrouvées réunies au sein d’un même ensemble, faisant naître, sur un segment déterminé, une situation de quasi-monopole. Privé d’une intervention en amont faute de notification, le Conseil de la concurrence a sanctionné cette infraction par une amende de 11,67 millions de dirhams au titre du gun jumping. Cette décision a, par la suite, ouvert la voie à une vaste opération de mise en conformité, assortie d’un dispositif d’amendes forfaitaires destiné à régulariser les situations similaires.

Le ciment : un encadrement des prix prolongé jusqu’en 2027

Dans le sillage de ces concentrations, le secteur du ciment a, lui aussi, retenu l’attention du Conseil de la concurrence. La réduction du nombre d’opérateurs, consécutive à une opération de rapprochement, a été contrebalancée par l’entrée d’un nouvel acteur, destinée à préserver la dynamique concurrentielle. L’autorisation accordée s’est cependant accompagnée d’un engagement structurant : le gel des prix pour une période de trois ans, courant jusqu’à la fin de 2027. À cette occasion, Ahmed Rahhou a rappelé un principe de rigueur : le paiement d’une amende pour défaut de notification ne saurait tenir lieu de régularisation. Toute opération demeure soumise à une réinstruction complète, susceptible d’aboutir à de nouvelles prescriptions, voire, le cas échéant, à une obligation de désengagement.

Veolia–Suez : l’enjeu des services délégués

Dans une configuration voisine, l’opération associant Veolia et Suez est venue poser, avec acuité, la question des concessions de services publics. Si ces contrats ne relèvent pas d’une concurrence directe, leur concentration au sein d’un même groupe fait néanmoins naître un risque de domination excessive à l’échelle nationale. L’engagement initial de céder Lydec n’ayant pas été honoré dans les délais requis, le processus s’est finalement conclu par le transfert de l’opérateur à la Société régionale multiservices de Casablanca, assorti d’une sanction financière avoisinant 100 millions de dirhams. Le président du Conseil de la concurrence a rappelé, en marge de ce dossier, que l’intégralité des amendes prononcées est versée au Trésor.

Ordres professionnels : la remise en cause des tarifs planchers

Deux dossiers impliquant des ordres professionnels sont également venus illustrer l’action du Conseil de la concurrence contre les pratiques de fixation concertée des honoraires. Les experts-comptables avaient instauré un tarif horaire plancher de 500 dirhams, une initiative jugée contraire au droit de la concurrence, la loi ne conférant pas aux Ordres la faculté de déterminer les prix. La procédure a abouti à une amende de 3 millions de dirhams. Les architectes, pour leur part, avaient arrêté un taux minimal de 5% du montant des travaux. À la suite de l’intervention du Conseil, cette disposition a été abandonnée et l’Ordre concerné s’est vu infliger une sanction réduite à 500.000 dirhams.

Glovo : la première perquisition et l’encadrement des plateformes

Le dossier impliquant Glovo a constitué une inflexion notable dans la pratique du Conseil de la concurrence, avec le recours, pour la première fois, à une perquisition. L’instruction a distingué deux volets : les relations avec les restaurateurs, d’une part, et celles avec les livreurs, d’autre part. Des clauses d’exclusivité, ainsi qu’un déséquilibre marqué dans les rapports contractuels, ont été mis en évidence. L’institution a ainsi redouté l’émergence d’une position de domination de nature à assécher le marché du travail au détriment des autres plateformes. La procédure s’est finalement achevée par la non-contestation des griefs, ouvrant la voie à une série d’engagements structurants : suppression des clauses d’exclusivité, revalorisation de la rémunération des livreurs, plafonnement des commissions et garantie, pour les travailleurs à temps plein, d’un revenu mensuel au moins équivalent au salaire minimum majoré de 20%.

Monétique : le démantèlement du Centre monétique interbancaire

Abordant le dossier du Centre monétique interbancaire, Ahmed Rahhou a exposé les ressorts d’une refonte jugée indispensable du dispositif de l’acquisition monétique. Constatant une position quasi monopolistique durable, il a relevé que, «dix ans après l’ouverture formelle du marché, le CMI détenait encore 99% de part de marché, signe d’un marché manifestement gelé». Le Conseil a dès lors privilégié la voie des engagements à celle de l’affrontement contentieux. «On va démanteler le CMI : au lieu d’un opérateur commun détenu par neuf banques, il y aura neuf opérateurs concurrents ; chaque banque récupérera une partie du fonds de commerce et se fera concurrence avec les autres», a expliqué M. Rahhou. Cette recomposition s’opérera à travers des filiales spécialisées, afin de garantir une concurrence effective, indépendante du lien bancaire du commerçant. Le schéma arrêté prévoit également une baisse progressive des frais d’interchange sous l’accompagnement de Bank Al-Maghrib, ainsi qu’une compensation au profit de NAPS, incluant la cession d’environ un millier de clients. Selon le président du Conseil, les commerçants constatent d’ores et déjà une diminution des commissions comprise entre 10 et 20%.

Médiation économique : facturation et billetterie sportive

Par la voie de la médiation, le Conseil de la concurrence a également obtenu la restitution de 500 millions de dirhams précédemment supportés par les consommateurs au titre des frais de paiement de factures, désormais assumés conjointement par les banques et les facturiers. Saisi par l’opérateur Guichet.ma, le Conseil s’est également penché sur la situation de la Société nationale de réalisation et de gestion des équipements sportifs (Sonarges). Il a été rappelé que le monopole de cette société se limite à l’infrastructure et ne s’étend pas à la vente des billets. Une procédure d’habilitation adossée à un cahier des charges strict a permis l’entrée de trois à quatre plateformes dès le début du championnat.

Hydrocarbures : la sanction sans déstabilisation

Revenant sur le dossier des hydrocarbures, Ahmed Rahhou a défendu la logique de la sanction de 1,8 milliard de dirhams prononcée dans le cadre de la procédure de la non-contestation des griefs. Calculée sur le seul chiffre d’affaires du gasoil et de l’essence, elle a privé les opérateurs de leurs dividendes sans compromettre, selon lui, l’approvisionnement national. Les marges nettes, publiées trimestriellement, s’établissent autour de 45 centimes par litre, sur la base de données certifiées par les commissaires aux comptes et validées par l’administration fiscale via la Direction générale des impôts.

L’article 2 et la fonction consultative

Le président du Conseil de la concurrence a rappelé que l’article 2 de la loi conférait à l’institution un pouvoir d’avis au profit du gouvernement. À ce titre, le Conseil a récemment été saisi du projet de décret relatif à la fixation des prix des médicaments. Il peut également s’autosaisir et formuler des recommandations au Parlement et à l’Exécutif, lesquels sont tenus de justifier tout refus de s’y conformer.
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