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Déclaration du patrimoine : pourquoi le dispositif actuel est à revoir

Le dispositif actuel de déclaration du patrimoine cumule quelques insuffisances qu’il convient de surmonter, estime la Cour des comptes. L’institution relève en effet des lacunes dans le système en vigueur censé garantir la probité des élus et des hauts fonctionnaires. Formulaires inadaptés, contrôlabilité limitée, sanctions peu dissuasives... Pire, des centaines de responsables publics et d’élus n’ont même pas rempli leurs obligations récemment, échappant ainsi à tout contrôle s’agissant de leurs biens. Face à l’ampleur du dysfonctionnement, la juridiction financière préconise une refonte en profondeur du cadre légal, jugé à bout de souffle. Tour d’horizon des lacunes à combler pour un système de contrôle plus performant et plus équitable.

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La probité des élus et hauts fonctionnaires constitue un enjeu majeur, aussi bien du point de vue du renforcement de la gouvernance que de la pratique démocratique. C’est pour prévenir l’enrichissement illicite et potentiellement les conflits d’intérêts que la déclaration de patrimoine a été instituée au Maroc à travers un cadre légal dédié. Mais ce dispositif juridique, censé garantir la transparence, peine quelque peu à remplir pleinement sa mission.

Une campagne de régularisation musclée

Menaces de sanctions à l’appui, la Cour des comptes vient d’obtenir la régularisation de plusieurs centaines de situations concernant le dépôt des déclarations de patrimoine. «Les 1.116 cas de fonctionnaires et agents publics et 899 élus territoriaux assujettis défaillants énoncés dans le dernier rapport annuel de 2022 et 2023 de la Cour des comptes ont déjà régularisé leur situation par le dépôt de la déclaration requise, au risque d’encourir la révocation de la fonction publique ou du mandat d’élu», indique une source autorisée. Un signal fort de l’institution, qui rappelle avec vigueur l’impératif de transparence auquel sont soumis les responsables publics. Mais au-delà de cet épisode, c’est la crédibilité même du dispositif de déclaration du patrimoine qui est remise en cause en raison de certaines défaillances.

Un formulaire opaque

«La conception du formulaire actuel ne se prête pas à un contrôle détaillé et un suivi fiable du patrimoine de l’assujetti», pointe d’emblée la Cour des comptes dans une récente analyse présentée lors des activités de l’institution au Salon du livre 2024. La conception du formulaire actuel, tel qu’il a été fixé par voie réglementaire, à savoir le décret n°2-09-207 du 8 décembre 2009, relatif à la fixation du modèle de la déclaration obligatoire du patrimoine et du récépissé de dépôt ainsi qu’à la valeur minimale des biens devant être déclarés, ne se prête pas à un contrôle détaillé et un suivi fiable du patrimoine de l’assujetti.

Selon la Cour, ce modèle réglementaire désuet ne permet pas de retracer fidèlement les avoirs des déclarants. Sur le plan de la forme, le fait que le modèle soit rempli manuellement, souvent avec négligence et ratures, complique la retranscription et l’exploitation des données, comme relaté par le dernier rapport annuel de la Cour. Un casse-tête pour les équipes de contrôle, se retrouvant ainsi confrontées à des données disparates et peu exploitables, qui grèvent les capacités de vérification.

Autre problème soulevé par le même rapport : l’interprétation aléatoire des catégories de biens à déclarer. «La terminologie adoptée pour rendre compte des différents types de biens meubles et immeubles n’est pas interprétée uniformément par les assujettis, et peut changer d’une déclaration à l’autre pour le même déclarant». Une faille inacceptable pour la traçabilité.

Un seuil de déclaration obsolète

Mais le formulaire de la déclaration n’est pas la seule pierre d’achoppement de l’actuel système. Le seuil de déclaration pour les biens meubles, fixé à 300.000 dirhams par un arrêté de 2010 (l’arrêté du premier ministre n°3-87-du 11 février 2010 précisant la valeur minimale des biens meubles devant être déclarés par les personnes assujetties à la déclaration obligatoire du patrimoine), est également remis en cause. «Ce montant ne reflète pas les indicateurs économiques du niveau de vie national, et permet de ne pas soumettre à la déclaration l’intégralité de son patrimoine en termes de types de biens meubles qui y sont énumérés», relève la juridiction financière.

À titre de comparaison, certains pays économiquement plus développés, comme la France, exigent la déclaration intégrale des valeurs mobilières, quels que soient leurs montants. Pour les autres biens meubles tels que véhicules, œuvres d’art ou bijoux, le seuil tourne autour de 10.000 euros, bien loin du seuil marocain. «En fixant un plancher aussi élevé, le législateur réduit considérablement la portée du dispositif de déclaration», tranche un expert de la question. Une faille de taille, favorable aux manœuvres d’évitement et d’occultation d’une partie substantielle des avoirs.

À souligner que, conformément aux standards internationaux en la matière, beaucoup de pays ayant adopté le système de la déclaration du patrimoine ont également adopté le mode de déclaration électronique, qui présente l’avantage de la célérité, l’exhaustivité et la capacité de traiter des données massives et de procéder aux contrôles et recoupements requis à travers les échanges avec les organismes, dans le respect des prescriptions légales en matière de protection des données privées et de sécurité des systèmes d’information.

Le casse-tête des contrôles

Au-delà de ces lacunes conceptuelles, l’application opérationnelle du dispositif elle-même comporte son lot de défis, au regard du nombre conséquent de personnes assujetties. Quelque 166.000 responsables publics (élus, fonctionnaires, etc.) sont en effet tenus de déclarer leurs biens. La Cour des comptes a mis au centre de ses stratégies la relation avec les parties prenantes. Dans cette perspective, elle a mis l’accent sur l’accompagnement des autorités gouvernementales pour la production des listes d’assujettis pertinentes, actualisées et conformes aux dispositions de la loi, et ce à travers une coordination rapprochée et la mise en place d’outils dédiés.

«La Cour des comptes a dû adopter des stratégies spécifiques pour gérer efficacement et équitablement toutes ces déclarations», explique notre source. Parmi les mesures phares, un accompagnement des départements ministériels pour la production des listes d’assujettis actualisées, mission rendue ardue par la mobilité des agents publics. «La mise à jour des données relatives aux assujettis, en termes de communication des nouveaux entrants et des sortants, est une opération qui relève de la responsabilité des organismes publics», précise notre interlocuteur. Un enjeu de taille pour «travailler sur des données vivantes et assurer un suivi en temps opportun».

Pour faciliter cette tâche, la Cour des comptes a mis en place dès 2019 une plateforme électronique permettant d’identifier les assujettis et le nombre de déclarations déposées. Cette plateforme permet à la Cour des comptes et aux Cours régionales des comptes d’identifier les personnes assujetties, et de réceptionner les déclarations déposées sous pli fermé, conformément au cadrage préétabli. Cette dématérialisation a permis d’appréhender toutes les données relatives aux assujettis en ce qui concerne leurs qualités et fonctions, au vu desquelles ils sont soumis à la déclaration du patrimoine, mais aussi au nombre des déclarations déposées, ce qui a facilité les opérations de suivi de la conformité à l’obligation de déclarer pour tous. «Cette dématérialisation a permis d’appréhender toutes les données, et de veiller aux principes d’équité et d’égalité de tous devant la loi», se félicite-t-on.

Vers une refonte globale

Mais en dépit de ces efforts, le nombre de lacunes reste substantiel. Ainsi, près de 2.000 élus et fonctionnaires n’avaient pas déposé leur déclaration récemment, comme l’attestait le dernier rapport annuel de l’institution. Face à ces multiples «défaillances», la Cour des comptes appelle de ses vœux une réforme d’envergure du système. «Conformément aux standards internationaux, de nombreux pays ont adopté la déclaration électronique, plus efficace, exhaustive et contrôlable», plaide l’institution. Une piste de modernisation également défendue par les magistrats de la Cour. «Le passage à la déclaration numérique permettrait de gagner en célérité, en traitement massif des données et en contrôles croisés», plaide notre spécialiste.

Mais au-delà de cette dématérialisation, c’est une refonte légale complète qui est réclamée, «pour ancrer la culture d’intégrité, de transparence et de reddition des comptes». En ligne de mire, une clarification du cadre juridique. La Cour des comptes émet régulièrement ses recommandations relatives aux axes d’amélioration du dispositif actuel de la déclaration obligatoire du patrimoine, au niveau de ses rapports annuels. L’un de ces axes est la mise en œuvre des apports de la Constitution de 2011 à travers les articles 147 (paragraphe 4) et 158. «Les nouveaux articles 147 et 158 attribuent la mission du contrôle exclusif de la déclaration du patrimoine à la Cour des comptes, pour toutes les catégories d’assujettis», est-il indiqué. Les dispositions de ces articles attribuent la mission de suivi et de contrôle de la déclaration du patrimoine à la Cour des comptes exclusivement, pour toutes les catégories de personnes, élues ou désignées, investies d’une mission publique. À ce titre, il est proposé qu’une loi unifiée puisse préciser les modalités et les conditions de l’exercice de cette attribution et couvrir l’ensemble des personnes assujetties.

Aussi, selon notre interlocuteur, «le passage à la déclaration électronique, dans le cadre des stratégies nationales de dématérialisation et même du recours à l’intelligence artificielle, permettrait d’atteindre l’efficacité, l’efficience et la performance du système, ainsi que les objectifs qui lui sont assignés en termes d’ancrage de la culture d’intégrité, de transparence et de reddition des comptes». Un signal aussi fort sera à même de redonner tout son sens à cet outil indispensable pour la bonne gouvernance et l’exemplarité dans la gestion de la chose publique.
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