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Eau et carrières : un trésor national en péril ?

Dans un rapport adopté à l’unanimité, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) tire la sonnette d’alarme sur l’exploitation des ressources en eau et des carrières. Malgré l’existence de mécanismes d’autorisation et de contrôle, ces richesses naturelles subissent des pressions croissantes, menaçant le développement durable du pays. Lenteur administrative, manque de moyens, secteur informel florissant : les défis sont nombreux. Face à ce constat, le CESE formule des recommandations pour consolider le dispositif actuel et garantir une gestion plus responsable de ces ressources vitales. Un appel à l’action qui interpelle autant les pouvoirs publics que les acteurs privés.

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Le Maroc est assis sur un château de sable. Littéralement. Ses ressources naturelles, en particulier l’eau et les matériaux issus des carrières, s’érodent sous l’effet d’une exploitation parfois anarchique, souvent intensive. Le cri d’alarme vient cette fois du Conseil économique, social et environnemental, qui vient d’adopter un rapport sans concession sur les mécanismes d’autorisation et de contrôle d’exploitation de ces richesses. Le constat est sans appel : malgré l’existence d’un arsenal réglementaire, la gestion de ces ressources reste défaillante, hypothéquant l’avenir du Royaume.

Des lois sur le papier, des lacunes sur le terrain

«Entre 50 et 60% des matériaux extraits des carrières sont commercialisés de manière informelle». Cette statistique, avancée par le CESE, illustre à elle seule l’ampleur du problème. Graviers, sables : ces granulats, indispensables au secteur de la construction, échappent en grande partie au contrôle de l’État. Résultat : une concurrence déloyale s’installe, privant le Trésor et les collectivités territoriales de recettes substantielles.

Mais le rapport pointe aussi du doigt la lenteur de la machine administrative. Les schémas régionaux de gestion des carrières, prévus par la loi 27-13, n’ont toujours pas été publiés au Bulletin officiel. Un retard qui entrave la mise en œuvre effective de cette législation pourtant ambitieuse. «La multiplicité des intervenants ralentit considérablement la procédure d’ouverture des carrières de travaux publics, même pour des exploitations temporaires», déplorent les rédacteurs du rapport. Une situation qui peut «porter préjudice aux investisseurs et nuire à l’exécution des chantiers».

Dans le domaine de l’eau, le bilan n’est guère plus reluisant. Les plans directeurs d’aménagement intégré des ressources en eau (PDAIRE), bien qu’approuvés par les conseils d’administration des Agences de bassins hydrauliques, ne sont pas opposables faute d’adoption par décret. Un vide juridique qui fragilise la planification à long terme de cette ressource vitale.

L’informel prospère, l’environnement subit

Au-delà des lacunes administratives, c’est bien l’ampleur du secteur informel qui inquiète le CESE. Dans le domaine des carrières, cette économie souterraine se manifeste par des sites non déclarés ou des exploitations autorisées mais pratiquant la fraude et la sous-déclaration. Les conséquences sont multiples : concurrence déloyale, manque à gagner fiscal, mais aussi «risques d’exploitation effrénée».

L’environnement est la première victime de ces dérives. «La plupart des exploitants se contentent souvent d’abandonner les sites au terme de leur exploitation, sans effectuer de réaménagement ou en réalisant un réaménagement non conforme», s’alarme le rapport. Ces friches industrielles défigurent les paysages et sont sources de pollutions diverses.

Les conditions de travail ne sont pas épargnées. Dans certaines carrières, elles ne sont pas conformes «aux dispositions du Code du travail et aux principes de la responsabilité sociale de l’entreprise». Une situation d’autant plus préoccupante que les moyens de contrôle font cruellement défaut. Le CESE pointe «l’insuffisance patente des moyens humains et matériels dédiés à la surveillance et au contrôle réguliers des carrières».

Des redevances en eau trouble

La gestion de l’or bleu n’échappe pas aux critiques. Entre 2012 et 2017, les Agences de bassin hydraulique ont recouvré des montants annuels de redevances oscillant entre 187,86 et 186,62 millions de dirhams. Des sommes jugées insuffisantes «par rapport aux différentes utilisations du Domaine public hydraulique».

Le rapport dissèque la répartition de ces recettes. L’extraction de matériaux de construction arrive en tête (40%), suivie par les prélèvements pour l’eau potable (22%), l’irrigation (19%) et la production hydroélectrique (9%). Mais un chiffre interpelle : la redevance sur les déversements d’eaux usées ne représente pas même 1% du total. «Les quantités déclarées sont faibles et les redevances associées dérisoires», relève le CESE. Cette situation n’incite guère à l’optimisme quant à la qualité des eaux marocaines. D’autant que la «police de l’eau», chargée des contrôles, peine à remplir sa mission. Son impact est «encore très limité», faute de ressources humaines suffisantes et de formation adéquate.

Recommandations : cap sur la durabilité

Face à ce sombre tableau, le CESE ne se contente pas de dresser un état des lieux. Il formule des recommandations, avec un maître-mot : durabilité. Pour y parvenir, le Conseil préconise d’agir sur plusieurs leviers.

• Premier chantier : renforcer l’arsenal juridique. Il s’agit de conférer un caractère opposable aux Plans directeurs d’aménagement intégré des ressources en eau (PDAIRE), d’accélérer l’élaboration des schémas régionaux de gestion des carrières et d’adopter les textes d’application de la loi 49-17 sur l’évaluation environnementale.

• Deuxième priorité : responsabiliser les exploitants. Le rapport appelle à leur imposer «l’utilisation de méthodes, pratiques et technologies réduisant les impacts négatifs». Il insiste également sur la nécessité de renforcer les conditions de sécurité lors du transport des matériaux et d’exiger des rapports annuels sur la situation environnementale des sites.

La réhabilitation des carrières fait l’objet d’une attention particulière. Le CESE recommande de définir un «mode opératoire» précis, de s’inspirer des meilleures pratiques internationales et surtout d’obliger les exploitants à restaurer les lieux après usage. Enfin, le contrôle doit être renforcé, avec des sanctions dissuasives à la clé. L’objectif : garantir «la transparence, l’équité et l’égalité entre les soumissionnaires» tout au long du processus d’autorisation et d’exploitation.

L’eau et la pierre, un patrimoine à léguer

Au terme de cette plongée dans les méandres de l’exploitation des ressources naturelles marocaines, une évidence s’impose : l’eau et les carrières constituent un patrimoine irremplaçable, qu’il convient de gérer en bon père de famille. Le rapport du CESE, fruit d’une large consultation incluant une participation citoyenne via la plateforme «ouchariko.ma», rappelle que ces richesses ne sont pas inépuisables. Leur préservation est l’affaire de tous : pouvoirs publics, acteurs économiques et société civile. Les pistes d’amélioration existent. Reste à les mettre en œuvre, sans tarder. Car comme le souligne implicitement ce document, c’est la résilience même du Maroc qui est en jeu. Face aux défis du changement climatique et d’une démographie galopante, la gestion durable des ressources naturelles n’est plus une option, c’est une nécessité vitale. Le rapport du CESE constitue ainsi bien plus qu’un diagnostic. C’est une feuille de route, un appel à la mobilisation générale. Pour que les générations futures puissent, elles aussi, bénéficier de cette eau qui abreuve les champs, de ces pierres qui bâtissent les villes. Pour que le château de sable marocain se transforme en forteresse, capable de résister aux assauts du temps.
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