La prudence des autres formations
Représenter plus, ou représenter mieux ?
Une réforme coûteuse et impopulaire
Entretien avec Dr Othmane Ezzayani, professeur de droit public et de sciences politiques
«Rien ne garantit qu’un plus grand nombre de députés se traduise par une meilleure performance»
Le Matin : D’un point de vue constitutionnel, une augmentation du nombre de députés est-elle justifiée ?
Dr Othmane Ezzayani : Souvent, cette question est défendue pour deux raisons principales. La première tient à la représentativité des citoyens : un Parlement démocratique doit assurer une représentation élargie et équitable, que ce soit en raison de la croissance démographique ou pour intégrer des catégories sociales et des régions jusque-là marginalisées. La seconde justification relève de la promotion du pluralisme politique, en offrant davantage de chances aux petits et moyens partis et en renforçant la participation politique. Cependant, cette démarche soulève des difficultés, notamment en matière de finances publiques. Toute extension du nombre de sièges entraîne une hausse des dépenses, ce qui impose une évaluation sérieuse du coût face à l’efficacité réelle de la Chambre des représentants. Le pari constitutionnel reste celui d’un Parlement fort et efficace, non pas d’une assemblée gonflée numériquement, mais d’une institution qui se distingue par la qualité et la pertinence de son action. Ainsi, une augmentation du nombre de députés ne saurait être recevable que si elle vise des objectifs clairs : élargir la représentativité, renforcer la confiance des citoyens dans le Parlement ou adapter le découpage électoral aux transformations démographiques et régionales. En revanche, si cette réforme répond à de simples calculs partisans, elle risque de contredire l’esprit de la Constitution et le principe de responsabilité.
Quelles seraient ses conséquences sur la représentativité, l’efficacité parlementaire et le fonctionnement institutionnel ?
En théorie, l’élargissement du nombre de sièges peut renforcer la légitimité de la Chambre en élargissant la participation politique et en donnant voix à des groupes sociaux et territoriaux insuffisamment représentés. Cela correspond à la logique démocratique d’égalité électorale. Mais il existe un risque réel que cette réforme se réduise à une dimension purement formelle, sans amélioration de la qualité du travail parlementaire. En termes d’efficacité, rien ne garantit qu’un plus grand nombre de députés se traduise par une meilleure performance. Au contraire, cela pourrait alourdir les procédures, ralentir le processus législatif et compliquer la gestion du temps parlementaire. La véritable efficacité se mesure à la capacité des élus à élaborer des lois pertinentes et à exercer un contrôle rigoureux sur l’Exécutif. Cela suppose de revoir en profondeur le règlement intérieur, l’organisation des commissions et la coordination des travaux.
Sur le plan institutionnel, cette réforme poserait aussi des défis financiers et logistiques : adaptation des infrastructures, recrutement de personnels supplémentaires et augmentation du budget. Elle risquerait également de déséquilibrer les rapports entre les deux Chambres, en renforçant le poids de la Chambre des représentants au détriment de celle des conseillers, ce qui pourrait attiser les tensions plutôt que favoriser la coopération.
Un tel projet est-il réalisable dans le contexte actuel ?
Politiquement, la confiance des citoyens envers le Parlement est faible, et la participation électorale demeure limitée. Dans ce climat, une augmentation du nombre de sièges pourrait être perçue comme une manœuvre opportuniste au profit des partis, renforçant l’image d’une institution déconnectée. Elle risquerait alors de transformer les sièges supplémentaires en rente politique. Techniquement, cette réforme est complexe. Elle nécessiterait un redécoupage électoral, une mise à jour des listes, ainsi qu’une harmonisation des critères démographiques et régionaux. Toute modification du nombre de sièges impliquerait aussi une révision des lois électorales, avec le risque de cristalliser des tensions partisanes. Par ailleurs, la réussite d’un tel chantier supposerait l’implication active du ministère de l’Intérieur et des autorités électorales pour en garantir la transparence. Autant d’éléments qui rendent, dans le contexte actuel, la réforme peu réaliste.
Et la proposition d’une liste nationale dédiée aux «compétences» ?
Cette idée présente des avantages certains. Elle permettrait l’entrée au Parlement de profils qualifiés, économistes, juristes, spécialistes des nouvelles technologies... capables d’élever la qualité du débat législatif et du contrôle parlementaire. Elle favoriserait aussi le renouvellement des élites en donnant accès à des personnalités qui n’empruntent pas nécessairement les canaux électoraux classiques. Mais elle comporte également des risques. En réservant des sièges à des « experts », on réduit le Parlement à une technocratie, au détriment du principe fondamental de représentation populaire. Une telle démarche pourrait fragiliser encore davantage le rôle des partis politiques en tant qu’acteurs de formation et de représentation. Elle instaurerait une tension entre exigence de compétence et légitimité démocratique. La démocratie parlementaire repose avant tout sur la capacité des élus à représenter et défendre les citoyens, pas seulement sur leur expertise technique.
L’alternative consisterait à renforcer la formation des députés et à intégrer des experts comme conseillers ou membres permanents des commissions, sans créer de «liste nationale des élites» qui risquerait de transformer le Parlement en un cercle fermé et technocratique. La véritable réforme devrait prioritairement viser la démocratisation des partis, en instaurant des mécanismes de sélection exigeants qui allient compétence, éthique et engagement citoyen. Augmenter le nombre de sièges, sans réflexion de fond, reviendrait à vider la représentativité de son sens premier.
