Le projet de loi organique n°53.25, adopté lors du Conseil des ministres du 19 octobre 2025, modifie en profondeur les règles encadrant l’élection des membres de la Chambre des représentants. Ce texte n’est pas anodin : il arrive à un moment où la légitimité de l’instance parlementaire est érodée par une série de scandales. Depuis 2021, plus de vingt députés ont perdu leur mandat pour des faits de corruption, de fraude électorale ou de condamnations judiciaires. Dans ce contexte, la réforme entend envoyer un message sans ambiguïté. L’article 6 du projet exclut explicitement toute personne condamnée à une peine privative de liberté pour crime ou délit, même avec sursis, si la condamnation est définitive. Plus encore, les personnes poursuivies en flagrant délit pour des infractions graves affectant le processus électoral deviennent elles aussi inéligibles. Le texte affirme ici une volonté d’assainissement sans concession.
À ce titre, le Pr Bousselham Aissat, professeur et chercheur universitaire spécialisé en droit constitutionnel et en sciences politiques, estime que cette architecture juridique constitue «une réponse claire aux dérives passées» et qu’elle marque une rupture avec les logiques de tolérance institutionnelle qui ont fragilisé la représentation. Pour lui, ces mécanismes sont un écho direct au message Royal de 2023 appelant à «rehausser la qualité des élites» et à ériger des règles éthiques contraignantes dans la vie parlementaire.
Transparence numérique : traçabilité obligatoire, équité incertaine
Parmi les innovations majeures, la dématérialisation complète du processus de candidature. L’article 23 introduit l’obligation de déposer chaque candidature via une plateforme électronique dédiée, assortie d’un formulaire numérique et d’un reçu d’enregistrement à valeur légale. Toute candidature non enregistrée par voie numérique sera désormais considérée comme nulle. Mais si la mesure renforce la traçabilité et limite les fraudes documentaires, elle soulève des enjeux d’accessibilité. Le Pr Aissat y voit une avancée nécessaire, mais assortie d’un impératif : «Cette modernisation impose une montée en compétence administrative, en particulier dans les régions à faible connectivité. Sans accompagnement adapté, le risque est de créer une nouvelle forme d’inégalité d’accès à la représentation.»
Financement public : pari sur la jeunesse, bonus pour les femmes
Autre pilier du texte : le soutien renforcé aux jeunes et aux femmes. L’article 93 prévoit que l’État puisse couvrir jusqu’à 75% des dépenses de campagne des candidats de moins de 35 ans, qu’ils soient affiliés à un parti ou indépendants. De même, les listes régionales exclusivement féminines deviennent obligatoires, afin d’élever mécaniquement la représentation des femmes au Parlement, au-delà des 30%. Cette mesure s’inscrit dans une logique d’inclusion générationnelle et de parité active. Le Pr Aissat y voit une volonté claire d’ouvrir les institutions à une nouvelle dynamique politique : «En ciblant les jeunes et les femmes, le texte dépasse la simple logique réparatrice. Il s’agit d’impliquer des catégories historiquement marginalisées dans la conception des politiques publiques.»
Régulation numérique : encadrer l’intelligence artificielle sans censurer
À l’heure des deepfakes et des campagnes de désinformation virale, la réforme introduit un dispositif inédit de régulation du numérique en période électorale. L’article 58 (nouveau) prévoit des peines de deux à cinq ans de prison pour toute personne diffusant, via des moyens numériques ou l’intelligence artificielle, un contenu mensonger ou manipulé à des fins électorales. Le texte étend aussi les sanctions aux plateformes étrangères, aux campagnes non déclarées et à toute tentative de propagande algorithmique dissimulée. En clair, les outils numériques deviennent surveillés comme des armes électorales potentielles. Pour le Pr Aissat, «ce volet est indispensable pour protéger la sincérité du scrutin face aux technologies manipulatrices». Mais il alerte aussi sur le risque d’ambiguïté : «Il faudra une jurisprudence claire pour distinguer entre régulation légitime et restriction abusive de la critique politique. La vigilance des juges sera déterminante.»
Des institutions mobilisées : le test de l’impartialité
Le texte confère des prérogatives renforcées aux autorités administratives, judiciaires et constitutionnelles. Gouverneurs, Cours régionales et Cour des comptes seront chargées de valider, contrôler et, le cas échéant, sanctionner ou annuler les candidatures et les élections en cas d’irrégularités. L’article 88 offre à la Cour constitutionnelle la possibilité de prononcer la déchéance d’un député ou d’annuler un scrutin à la demande de l’autorité compétente. Mais une question persiste : ces institutions auront-elles les moyens et la neutralité nécessaires pour appliquer ces dispositions sans biais ? C’est là, pour le Pr Aissat, le cœur du problème. «Les textes sont solides. Mais l’histoire politique marocaine montre que la sévérité des lois ne suffit pas si leur application reste sélective ou instrumentalisée.»
Un tournant juridique. Mais un changement de culture ?
Le projet de loi n°53.25 pose les jalons d’un nouveau pacte électoral, plus transparent, plus éthique, plus inclusif. Il répond aux critiques récurrentes sur la qualité de la représentation, la porosité entre politique et argent, et l’inefficacité des sanctions. Mais l’enjeu ne se joue plus dans l’écriture de la norme. Il se déplacera vers la culture politique et les rapports de force institutionnels. In fine, le Pr Aissat résume : «Le risque n’est pas dans la loi. Il est dans le comportement des acteurs. Si les partis n’abandonnent pas leurs logiques claniques, si les institutions ne font pas preuve d’impartialité, cette réforme restera une belle vitrine démocratique... avec vitres teintées.»
