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Lecture de Driss Benhima : Pénurie d'eau, décarbonation, chômage, Casablanca...

Qu’elles soient économiques, sociétales, énergétiques, écologique ou encore numériques, les transitions sont multiples. Elles s’imposent à nous avec une vitesse qui rend leur gestion compliquée. Dans ce monde en mutation, l’anticipation et la planification sont également difficiles. Reste alors à les subir avec toutes les menaces et risques qui s’ensuivent. Des constats que l’invité de L’Info en Face de lundi dernier, Driss Benhima, a tenté d’analyser sur la base d’une expertise acquise au fil des responsabilités qu’il a assumées tout au long de sa carrière.

«Oui, nous sommes en pleine transition. On n'est pas en régime permanent sur beaucoup de sujets. Les choses vont changer, ce pays va changer, et il doit changer. Nous avons des transitions qui sont subies, des transitions qui imposent des feuilles de route, des transitions qu'on doit gérer, voire maîtriser, comme le stress hydrique», explique d’emblée l’ancien ministre et ex-directeur général de l'ONEE et de RAM.

Et d’ajouter que le stress hydrique impose au Maroc d’adapter sa feuille de route en la matière pour répondre à ces changements rapides qui concernent une ressource vitale qui est l’eau. Toutefois, il note que certaines transitions que nous subissons peuvent être bénéfiques. Il cite à ce propos la transition démographique ou encore numérique, c'est un atout, c'est une... Est-ce qu'on la subit, la transition démographique ?

La pénurie d’eau : prévisible ou pas ?

La plus importante transition que le monde subit est celle liée au changement climatique avec toutes les conséquences néfastes qu’elle provoque. Et le stress hydrique est l’une des conséquences qui devient une menace et qui impose des solutions rapides et efficaces. Sur ce sujet, Driss Benhima reprend sa casquette de patron de l’ONEE pour répondre à la question de Rachid Hallaouy : la pénurie d’eau était-elle prévisible ou pas ? En effet, M. Benhima nous ramène aux années 1990, lors d’une visite qu’il avait effectuée à Agadir à la rencontre les producteurs d'agrumes qui se plaignaient d'une augmentation de leurs charges en énergie électrique. «J'étais très surpris quand on m'a dit : “ils vont vous parler de ça”, parce qu'on n'avait pas augmenté l'électricité agricole qui, je le rappelle, encore aujourd'hui, est particulièrement basse et subventionnée. Mais en regardant de près pour préparer cette réunion, je me suis aperçu qu'effectivement leurs factures augmentaient chaque année à cause de la baisse des niveaux des eaux utilisées pour l’irrigation. Ainsi, là où ils étaient auparavant à 60 mètres, ils étaient passés à 90 puis à 120 mètres. Ceci m'a fait prendre conscience que dans cette région, on était en train d'épuiser les nappes fossiles allègrement», souligne l’invité. Il indique en guise de solution, de recourir au repos hydrique, à l’instar du «repos biologique» adopté dans le secteur de la pêche. Tout cela pour dire que sur certaines régions du Maroc, la sècheresse était prévisible. En plus, M. Benhima estime que le réchauffement climatique n’est pas le seul responsable du stress hydrique, «nous aussi, nous avons été des artisans de cette situation que nous vivons aujourd’hui !»

Un autre point évoqué est celui des usages de l’eau. «Le tabou du partage de l'eau entre l'agriculture et l'urbain est un vieux sujet. Je me rappelle, dans les années 1990, il avait été prévu qu'éventuellement les Offices de mise en valeur agricole aient le droit de vendre de l'eau à l’ONEP, et parce que les Offices vendaient l'eau tellement bon marché, ça ne justifiait pas de mettre des rustines pour diminuer les pertes. C’est-à-dire que les investissements pour diminuer les pertes n'étaient pas justifiés par la valeur de l'eau qu'on récupérait. Et à côté de ça, les villes alimentées par l'ONEP avaient un problème pour avoir accès à des ressources bon marché».

L’invité remonte encore plus loin dans sa mémoire pour nous rappeler que déjà dans les année 1970, lorsqu’il était ingénieur à l’OCP, il avait l’occasion de voir des villages, dans la région de Khouribga, Oued Zem, Fquih Ben Saleh, se transformer en «villages fantômes», à cause de la sécheresse, accélérant ainsi le phénomène de l’exode rural. «Aujourd'hui, je pense que la situation est encore pire, et je ne vois personne parler d'exode rural. Je ne vois aucun chiffre qui démontre l'accélération de l'arrivée des ruraux dans les villes qui sont en train d’étouffer, comme c’est le cas de Casablanca», souligne l’invité.

Casablanca : la grande réorganisation

Sur un autre registre, c’est le Driss Benhima, ancien wali du Grand Casablanca, qui réagit à la question relative au grand mouvement des bulldozers dans la capitale économique. Lui qui avait initié une opération de chasse aux terrasses des cafés et de libération des trottoirs, dit saluer ces opérations de démolition des constructions anarchiques dans la ville blanche. «Je pense que le mouvement que nous voyons de désinformalisation de l'habitat à travers l'éradication des bidonvilles, la reconquête du domaine public, va permettre de mettre un peu d'ordre et une certaine logique dans l'espace urbain». Il a dans ce sens expliqué que cela fait partie des missions des autorités locales, et en l’occurrence les walis, «mieux que ça, ils ont des instructions pour faire respecter la loi. Maintenant, pour que ça se passe, il faut une volonté du wali et un environnement politique et administratif propice au niveau de la région». L’invité de L’Info en Face a tenu à ce propos à saluer le travail effectué au niveau de Casablanca-Settat par le wali Mohamed Mhidia.

La création d’emplois, une autre difficulté pour le Maroc

L’autre transition que nous vivons au Maroc est celle de la capacité de croissance du pays en lien avec la création d’emplois. Les derniers chiffres de chômage le démontrent bien ! Le Maroc fait face à un phénomène de chômage de masse avec une destruction massive de l'emploi ces dernières années, soit 157.000 emplois nets détruits en 2023, selon le HCP. Cette situation était-elle prévisible ? Avons-nous manqué d’actions anticipatives pour réactiver la dynamique économique avec un modèle de croissance qui booste l’emploi ? «Je ne pense pas qu'on soit un pays sur lequel on peut calquer les calculs de taux de chômage ou taux d'emploi comme dans un pays où l'emploi informel n'existe pas. Chez nous, l'emploi informel existe, l'économie informelle existe et représente même plusieurs dizaines de pour cent de l'économie. Donc, cette bataille sur les chiffres demanderait, à mon avis, un peu plus de détails», souligne Driss Benhima.



Il évoque dans ce sens la difficulté d’avoir des données précises dans un contexte où l’économie informelle est très présente. Selon lui, ces chiffres sont réels en ce qui concerne les emplois saisis et comptabilisés par le HCP. Et de rajouter : «Je pense que nous n'avons pas les instruments statistiques ou les instruments de mesure qui nous permettent réellement de comptabiliser tous ceux qui ont un emploi dans notre pays, qu'ils soient dans un secteur qui est statistique aujourd'hui ou dans un secteur qui ne l'est pas».

La décarbonation, urgence de la transition énergétique

La transition industrielle, qui a commencé il y a plusieurs années, arrive aujourd’hui face à un défi urgent qui est celui de la maîtrise optimale du coût énergétique et du coût du kilowatt comme facteur de production, pour produire plus et produire mieux. L’autre défi pour le Maroc est celui d’arriver à décarboner 64% de notre énergie, pour être très précis, selon les experts et les spécialistes en énergie, y compris en énergie renouvelable. Selon l’ancien DG de l’Office national de l’électricité et de l'eau potable, ces défis apportent trois éléments positifs : «D'abord, nous sommes un des pays où l'énergie renouvelable est la moins chère, parce qu'on a du vent et du soleil.

L’autre avantage est que nous avons beaucoup de littoral. Or pour l'hydrogène, c'est un atout de taille. Deuxièmement élément, la décision du gouvernement de ne pas augmenter les prix d'électricité, quand ils se sont mis à flamber dans le monde. C’est une excellente décision qui a permis d’éviter de créer un facteur d'inflation supplémentaire. Je pense que si on avait laissé l'électricité augmenter, on serait à 12 ou 15% d'inflation de plus que ce que nous sommes en train de voir.»
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