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Mardi 21 Mai 2024
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Le clonage entre éthique et progrès scientifique. A bâtons rompus avec l’explorateur Luc Hardy

C’est un sujet fascinant qui continue de susciter les débats dans le monde scientifique. Le clonage s’est invité ce mardi 13 février dans la «Semaine de la science» à travers un documentaire que l’on doit à Luc Hardy, explorateur franco-américain et ingénieur diplômé de l’Ecole Centrale de Paris, connu aussi en tant que fervent défenseur de l'environnement, business angel, auteur et cinéaste. Intitulé «Alter Ego : Cloning, the Age of Reason ?», ce film a été diffusé en avant-première à l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P). Il retrace le voyage de l’aventurier à la quête des dernières avancées scientifiques réalisées dans ce domaine dans les quatre coins du monde. Il documente aussi les visions divergentes du clonage ainsi que ses bénéfices pour notre écosystème et l'humanité. Pour en savoir plus sur ce périple, mais aussi sur le clonage entre éthique et progrès scientifique, nous avons rencontré Luc Hardy qui a bien voulu nous accorder cet entretien.

Le Matin : D'où vous est venu cet intérêt pour le domaine du clonage et qu'est-ce qui vous a incité à réaliser un documentaire sur le sujet ? Luc Hardy : En fait, il s’agit d’un concours de circonstances. Je suis à la fois scientifique, très curieux et très impliqué dans la technologie. Je fais également des films documentaires depuis une dizaine d'années et il se trouve que je suis aussi cavalier joueur de polo. Tous les ans, je voyage en Argentine pour assister aux grands matchs de polo, mais aussi pour jouer avec des amis.

L’histoire a commencé il y a une dizaine d'années, quand à l’occasion de l’un de ces grands matchs, j’ai découvert que le meilleur joueur mondial jouait avec des clones de son meilleur cheval. Cela qui a piqué ma curiosité. J'avais bien sûr entendu parler de la brebis Dolly, le premier mammifère cloné au monde et je me suis dit à ce moment-là : on est en 2013, soit presque 20 ans après cette expérience, qu'est ce qui se passe actuellement dans le monde du clonage ? C’est ainsi que l’idée a germé. L’aventure a commencé il y a cinq ans et nous avons filmé dans sept pays, à savoir l'Argentine, les Etats-Unis, la Russie, les Emirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite, la Somalie et l’Italie où a été cloné le premier cheval au monde en 2003. Le projet a pris forme petit à petit, j'ai mené mes recherches et rassemblé une petite équipe, puis nous avons développé ensemble cette histoire.

Justement, de quoi parle cette histoire ? Qu'est-ce que vous avez découvert durant cette aventure ? Comme je le disais, le propos de départ était de découvrir ce qui se passe dans le monde du clonage aujourd'hui. On a ainsi commencé à filmer au fur et à mesure que l'on découvrait l’univers du clonage avec les laboratoires et les chercheurs qu’on interviewait. Nous avons ainsi découvert que le Texas abritait le plus grand centre mondial de clonage animal. On a découvert aussi qu'on clonait des chiens ayant des capacités spécifiques, comme par exemple des chiens de sécurité, des chiens dotés d’un odorat très particulier qui permet de repérer le diabète chez les personnes, des chiens guides de personnes aveugles, des chiens douaniers... Ces clones ont quasiment les mêmes capacités que leur donneur génétique.

Mes recherches m’ont révélé qu’il y a un grand nombre d'espèces animales qui sont clonées : chevaux, chiens, chats, chameaux, entre autres. Nous avons aussi appris que ce process n'était pas uniquement employé à des fins de performance ou pour remplacer son animal adoré qui vient de mourir. La technologie, si on peut l'appeler ainsi, servait aussi à revigorer des espèces en voie de disparition, et même pour faire revenir un jour celles qui ont complètement disparu. C’est le cas pour le cheval de Przewalski dont il ne reste qu'environ un millier d'individus en Mongolie essentiellement. Les scientifiques ont en effet pu récupérer l'ADN d'un spécimen gardé dans le "Frozen Zoo" de San Diego, un zoo où sont gelés de échantillons de chair prélevés sur des individus il y a 30-40 ans. Cet ADN a été mis dans un ovule de cheval, un "quarter horse" américain typique, ensuite cet œuf a été fécondé artificiellement puisqu'il n'y a pas eu d'interaction mâle/femelle. Cet œuf a donné naissance onze mois plus tard à un cheval de Przewalski identique à l'original. Ce jeune cheval va aider à revigorer le pool d'ADN de ce millier de chevaux qui est n'est malheureusement pas assez diversifié pour assurer la continuité de l'espèce. C'était très intéressant pour moi, et j'espère aussi pour le spectateur, de découvrir ces utilisations très intéressantes et utiles du clonage et non simplement des utilisations, on va dire un peu égoïstes et émotionnelles du clonage.

On c'est aussi aperçu que l'on clone aujourd'hui des singes, des macaques plus précisément, qui peuvent être utilisés pour la recherche scientifique, pour tester des médicaments par exemple. Il est possible aujourd’hui de modifier l’ADN d’un singe pour que celui-ci ait une caractéristique de déficience ou de maladie particulière, puis le cloner et ensuite tester des médicaments ou différentes doses d’un médicament sur chaque clone. Cette pratique peut paraître éthiquement questionnable et ça serait effectivement une question légitime. Mais d'un autre côté, souffrance animale mise à part, ne serait-ce pas mieux de mener des tests sur 100 clones que sur 1.000 singes qui ne sont pas assez précis pour tester ces médicaments en particulier ? C'est une question qui prête à réflexion.

Quelles sont les autres applications du clonage que vous avez pu découvrir lors de votre voyage à travers les cinq continents ? Il y a des applications dans le domaine de la performance. Dans les Emirats Arabes Unis, on clone des dromadaires pour des concours de beauté, ainsi que des chameaux pour les courses. Dans ces courses ce sont plusieurs millions de dollars qui sont en jeu. Si on clone un chameau qui vaut sur le marché 5 millions de dollars et qu'il peut vous faire gagner beaucoup plus, c'est tentant de le faire. Il y a également les applications futuristes, comme par exemple ce qui se passe aujourd’hui en Argentine pour le clonage des chevaux pour la performance. En décembre dernier, sept clones ont été créées à partir d'un embryon «augmenté». C’est-à-dire qu'on a cloné un champion et on a fait une modification génétique de la partie du génome qui code pour la force et la vitesse de telle façon que les clones qui vont naître à la fin de l'année, si tout se passe bien et qu'ils arrivent à terme, vont être comme l'original, mais plus forts et plus rapides. C'est comme si on clonait Roger Federer avec ses performances dans le tennis et on lui injectait des gènes de Usain Bolt pour la vitesse, on aura comme résultat des clones de Federer qui courent encore plus vite. C'est juste fascinant !

Personnellement, je n'adhère pas forcément à toutes les possibilités de recherche, de découverte, de technologies... En tout cas, pas quand elles ne sont pas relativement encadrées et régulées. Mais on ne peut pas ne pas être fasciné par ce qui se passe aujourd'hui. On peut aussi cloner par exemple un étalon et faire que le clone soit femelle au lieu de mâle. En tout cas, la recherche sur ce sujet est en cours et va finir par aboutir. On pourra aussi prendre l'ADN d'un super champion étalon, le transformer pour qu'il devienne une femelle et faire une championne qui pourra aussi se reproduire, générer et être croisée.

J'aimerais revenir à cette question d'éthique que vous avez évoquée. Quels sont les arguments et les contre arguments que vous avez pu recueillir durant ce parcours sur la question d'éthique relative au clonage ? Au départ, quand j'ai commencé à développer activement ce film avec notre équipe, j'étais deux tiers contre le clonage et un tiers pour laisser la porte ouverte, ne connaissant pas tout ce que je connais aujourd’hui sur le clonage. Je dois dire qu’après avoir terminé cette enquête et fait ce film, je suis plus positif avec une proportion inverse : deux tiers pour et un tiers contre. Mais il faut comme je l'ai dit un contrôle et une surveillance des règles, autrement tout va pouvoir arriver. J'essaye d'être assez neutre dans ce documentaire, mais en revanche, j'ai interviewé trois personnes : Etienne Klein, philosophe et scientifique très connu en France, Frédéric Worms, ancien directeur de l'Ecole normale supérieure à Paris qui est membre du Comité national d'éthique de France, et puis Alta Charo, professeur de droit et d'éthiques médicales qui avait travaillé avec l’ancien président américain Bill Clinton sur la commission créée au moment du clonage de la brebis Dolly. Il en ressort que l'éthique peut servir à encadrer un côté pragmatique. Je pense pour ma part qu’il y a des choses qu'il ne faut pas faire qu'aujourd'hui comme cloner des humains. D'ailleurs, les Nations-Unies avaient décidé en 2005 d'interdire le clonage humain. Mais peut-être que dans 20 ans ou 50 ans, on trouvera des applications au clonage de l'humain. Des gens voudront peut-être se reproduire par le mode clonage plutôt que par les autres options possibles. Je ne pense pas qu'il faut interdire pour toujours, mais qu’il faut toujours surveiller et encadrer ce domaine.

Est-il techniquement possible aujourd’hui de cloner des humains ? Oui, c'est possible. On clone déjà des primates comme les macaques. C'est moins facile que le clonage du cheval ou du chien, mais les scientifiques savent que si l’on met quelques moyens, on arrivera à cloner des humains très prochainement, dans 10 ou 20 ans. Si l'humain se met à vouloir se cloner, ce sera tout à fait possible.

On sait que le clonage est actuellement un procédé onéreux. Est ce qu'il y a un retour sur investissement pour ceux qui y recourent ? Dans ce volet, il y a deux aspects. Il y a d'abord l'aspect purement économique. Si vous êtes éleveur de chevaux ou de dromadaires et que vous avez un animal qui vaut 1 million de dollars que vous pouvez cloner aujourd'hui pour 50.000 de dollars, c'est très tentant d'investir ce montant pour avoir dans cinq ans ou six ans un individu qui vaut le double du montant investi. Il faut aussi préciser que comme pour toute technologie, les prix baissent avec le temps et avec l'augmentation des volumes. Il y a quelques années, le clonage d'un cheval coûtait 100.000 dollars.

Il y a aussi il y a l’aspect affectif. J'ai interviewé dans l'Illinois, aux États-Unis, une dame âgée, qui tenait absolument à cloner son chien décédé. L'opération lui a coûté autour de 35.000 dollars. Il y a certaines personnes qui sont prêtes à débourser des sommes conséquentes pour leurs animaux de compagnie. La chanteuse Barbra Streisand par exemple a fait plusieurs copies de son chien. Ces gens ont les moyens et ils le font.

Pour revenir à la thématique de la Semaine de la science, qu’évoque pour vous l’association Clonage-Transition ? Je pense que c'est la raison pour laquelle on m'a invité à cet évènement. Ce travail rentre assez bien dans le thème puisque, quand on parle de clonage, on parle d'une "technologie" qui permet de passer d'une génération à une autre mais d'une manière différente. Donc, on parle aujourd'hui de la transition d'une certaine façon de faire qui était plutôt naturelle à une façon de faire qui n'est plus du tout naturelle.

Une transition, ce n'est pas forcément le passage d'un stade à un autre ou d'une technologie à une autre, c'est aussi de changer notre façon de faire et de concevoir des choses aussi fondamentales que la reproduction des mammifères et peut être un jour de l'humain.
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