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Liberté d’expression : nouvelle pomme de discorde entre le CSPJ et le Club des magistrats

Le président du Club des magistrats du Maroc, Abderrazak Jbari, a été convoqué début février par l'Inspection générale des affaires judiciaires suite à sa participation à un colloque portant sur «une lecture croisée du projet de la procédure civile» organisé par les avocats du RNI. Cette convocation a provoqué l'indignation du Club qui y voit une atteinte à la liberté d'expression des magistrats. Cet épisode révèle les tensions croissantes entre la corporation des magistrats et le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire.

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Le bras de fer est engagé entre le Club des magistrats du Maroc et l’Inspection générale des affaires judiciaires, organe disciplinaire dépendant du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ). En cause, la convocation «surprise», le 14 février dernier, du magistrat Abderrazak Jbari, président dudit Club, par l’Inspection générale. Le motif de cette convocation n’est autre que sa participation, le 24 janvier 2024, à un colloque juridique ayant pour thème «Lecture croisée du projet de loi de procédure civile», organisé par l’organisation des avocats du Rassemblement national des indépendants (RNI).



M. Jbari était intervenu pour présenter le point de vue du Club des magistrats «sur l’article 97 du projet de loi de procédure civile et la question de l'indépendance de la magistrature». Le 17 février, le bureau exécutif du Club des magistrats du Maroc s'est réuni en urgence pour examiner la convocation de son président par l'Inspection générale des affaires judiciaires.

Une convocation vécue comme une «intimidation» par les magistrats

Il faut dire que cette convocation a été vécue comme «une intimidation» par le principal concerné et le bureau exécutif du Club qu’il préside. Dans un communiqué au ton ferme, le Club des magistrats a tenu à rappeler le droit constitutionnel des magistrats à la liberté d’expression et la nécessaire implication des juges et de leurs associations dans le débat public. Pour lui, cette démarche est perçue comme une «volonté de museler le Club des magistrats». Ce dernier tient à détailler son argumentaire :

• Premièrement, la Constitution et la loi garantissent aux juges le droit à la liberté d’expression, dans les limites de leurs fonctions judiciaires, certes, mais avec la possibilité de «participer aux débats publics sur la législation, l'administration de la justice et sur des questions connexes», a rappelé le Club, en référence aux recommandations onusiennes en la matière et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. Le Club tient donc à souligner, dans son communiqué, que «le colloque en question avait un caractère purement scientifique, sans connotation politique aucune». D’autant que M. Jbari est intervenu lors de cette rencontre ès qualité de président du Club des magistrats et en tant que représentant de cette association professionnelle, et non en sa qualité personnelle de magistrat.

• Deuxièmement, le Club des magistrats du Maroc rappelle que le débat public sur la réforme de la justice «ne saurait se concevoir sans une implication des juges et de leurs associations». Et de rappeler que le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire lui-même «a participé le 25 janvier 2023 à un colloque sur la réforme de la justice organisé par un groupe parlementaire représentant un parti politique», en référence au Parti authenticité et modernité (PAM).

• Troisièmement, le Club des magistrats dénonce une «volonté de museler le Club» et de «restreindre l’exercice de ses activités en toute liberté», alors que cela est garanti par l’article 12 de la Constitution relatif aux libertés de réunion, de rassemblement, de manifestation pacifique, d’association et d’appartenance syndicale et politique. Une démarche qui serait ainsi perçue comme une réaction aux «positions du Club sur la défense de la sécurité professionnelle des juges», mentionne le communiqué sans plus de détails.

Pour rappel, le Club s’était déjà plaint «du faible niveau de sécurité professionnelle ressenti par l’ensemble des magistrats». Pour cette association professionnelle, la convocation de son président traduit une «volonté délibérée de brider la liberté d'expression des juges et de discréditer une association engagée depuis sa création (NDLR : le Club a été créé en 2011) pour l'indépendance de la justice».

Un épisode révélateur des pressions sur fond de l’article 97 du projet de loi

Mais qu’a dit Abderrazak Jbari lors du colloque sur le projet de loi de procédure civile et qui lui a valu une convocation de l'Inspection générale des affaires judiciaires ? Le Club avait notamment critiqué l'article 97 de ce projet de loi qui menacerait l’indépendance des magistrats. Que dit cet article ? L'article 97 du projet de loi de procédure civile dispose que : «Le président du tribunal de première instance ou son représentant peut changer le juge chargé de l'affaire chaque fois qu'il y a lieu de le faire». Ainsi, selon un expert en droit commentant ces dispositions sur la page Facebook du Club, «il y a un lien logique entre l’article 97 et l'indépendance de la justice», ce qu’avait également défendu M. Jbari le 24 janvier. En effet, estime cet expert, une simple lecture attentive de l'article 97 du projet permet de conclure qu'il prive le juge de son statut judiciaire en le remplaçant par un statut de subordination administrative vis-à-vis du président dans certains cas. «Et si le président intervient en tant qu'autorité administrative, serait-il possible de contester sa décision devant la juridiction administrative ?» se demande-t-il en indiquant que «nous cherchons justement à restaurer la confiance envers l'institution judiciaire».

L'Organisation des avocats du RNI apporte son soutien

En réaction à cette convocation du président du Club des magistrats du Maroc, l'Organisation des avocats du RNI, initiatrice du colloque juridique en question, a tenu à apporter son «soutien absolu» à Abderrazak Jbari. Dans un communiqué rendu public le 17 février, l'association professionnelle des avocats du RNI a fermement condamné cette convocation qu'elle assimile à «une forme de restriction de la liberté d'expression» et à «un obstacle à l'ouverture du corps judiciaire à son environnement professionnel, économique et social». Et l'Organisation des avocats de rappeler, à l'instar du Club des magistrats, que la participation de Abderrazak Jbari audit colloque s'inscrivait dans «la discussion publique sur le projet de loi de procédure, qui constitue par excellence un instrument essentiel pour garantir la sécurité juridique et judiciaire».
À noter par ailleurs que, selon les données du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, le nombre de sanctions disciplinaires infligées aux magistrats a atteint 92 décisions disciplinaires. Ainsi, l’on recense 4 décisions disciplinaires en 2023 et 13 en 2022, contre 28 décisions disciplinaires prononcées en 2021, et seulement 7 en 2020 et 14 en 2019.
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