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Nouzha Guessous : Le Code de la famille actuel est en contradiction avec la Constitution de 2011

«Depuis 2011, le Code de la famille est anticonstitutionnel, donc il est nécessaire de le revoir pour l’harmoniser avec les dispositions de la Constitution» souligne Nouzha Guessous, chercheur-essayiste spécialisée en droits humains et en bioéthique. Et pour étayer son assertion, l’Invitée de «L’Info en Face» évoque le cas d’enfants nés hors mariage qui sont privés de leurs droits, alors que la Loi fondamentale stipule que tous les enfants sont égaux, abstraction faite de leur condition.

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La promotion de la condition de la femme et de l’enfant ne peut pas dépendre de la seule réforme de la Moudawana. C’est un engagement collectif qui doit impliquer toutes les composantes de la société, à commencer par la famille qui doit jouer un rôle primordial en matière de sensibilisation et de diffusion des valeurs d’équité et de justice, estime Nouzha Guessous, chercheur-essayiste spécialisée en droits humains et en bioéthique. Invitée de «L’Info en Face», l’experte a insisté sur la mission qui incombera au gouvernement une fois cette réforme adoptée, en matière de mise en œuvre notamment.

Une gouvernance politique au service de l’égalité

Mme Guessous a ainsi souligné l’importance d’une gouvernance politique plaçant l’égalité et la justice au cœur de ses priorités. Selon cette militante de la société civile, la révision de la Moudawana doit s’accompagner d’un engagement à promouvoir les droits des femmes et l’égalité des genres dans tous les domaines. Cela passe, selon elle, par une éducation citoyenne pour changer les mentalités, et une mobilisation sociétale autour des valeurs de justice et de solidarité.

«Les meilleures lois, les plus égalitaires, les plus justes, ne vont pas nécessairement résoudre tous les problèmes s’il n’y a pas un accompagnement politique, économique, juridique, sociétal et culturel», a-t-elle martelé. Selon elle, la mise en œuvre de la Moudawana ne peut se résumer à l’adoption d’un cadre législatif. Elle doit être soutenue par une gouvernance politique proactive capable de garantir l’application des dispositions égalitaires et de répondre aux attentes des citoyens.

Dans cette logique, Nouzha Guessous a rappelé le rôle central de la famille en tant que cellule de base de la société. «La famille est la cellule de base de la société. La démocratie et la justice commencent au niveau de la famille», a-t-elle souligné en expliquant que l’évaluation de la Moudawana, vingt ans après son adoption, doit tenir compte de l’expérience accumulée. Pour elle, il est essentiel d'analyser les avancées et les limites de cette réforme afin d’identifier les mesures à prendre et les changements à opérer pour répondre aux besoins actuels de la société marocaine.

Une réforme urgente face aux contradictions juridiques

Nouzha Guessous estime qu’au cours des vingt dernières années, la Moudawana a été un instrument de transformation sociale, mais des défis persistent, notamment en ce qui concerne l’égalité des genres, la protection des femmes contre les violences et l’accès à la justice pour les populations vulnérables. «Depuis 2011 le Code de la famille est anticonstitutionnel, donc il est nécessaire de le revoir pour l’harmoniser avec les dispositions de la Constitution» a-t-elle relevé. Un des exemples frappant de ces contradictions selon l’invitée concerne la filiation des enfants nés hors mariage. Nouzha Guessous a évoqué dans ce sens une affaire relevant du tribunal de Tanger, qui a reconnu en première instance le droit à la filiation d’un enfant né hors mariage sur la base d’un test ADN. Le jugement s’appuyait sur l’article 32 de la Constitution, qui garantit l’égalité de tous les enfants, indépendamment de leurs circonstances familiales. «La société civile qui a crié victoire a vite déchanté», a-t-elle regretté, expliquant que ladite décision a été annulée en appel, la Cour s’étant basée sur le Code de la famille qui distingue filiation légitime et illégitime. «Selon ce texte, un enfant né hors mariage n’a aucun droit vis-à-vis de son père biologique, et ce dernier n’a aucune obligation paternelle, même matérielle, à son égard», a-t-elle précisé avant d’ajouter que «Le débat actuel est une opportunité pour tirer les leçons de cette expérience.»
Au-delà de la question de la filiation, la révision de la Moudawana doit selon elle s’inscrire dans une démarche globale de réforme pour renforcer les droits des femmes et promouvoir une gouvernance politique qui place l'égalité au cœur de ses priorités. Pour Nouzha Guessous, cette situation met en exergue les incohérences du cadre juridique marocain : d’un côté, la Constitution prône l’égalité et la protection des droits de l’enfant, et de l’autre, le Code de la famille maintient des dispositions discriminatoires en contradiction avec ces principes. «On est arrivé à une contradiction intrinsèque au corpus juridique marocain. Le Code de la famille disait une chose, la Constitution en disait une autre», a-t-elle déclaré, plutôt amère.

L’article 152 du Code de la famille en question

«Dans ma compréhension de l’Islam, je ne pense pas qu’on puisse faire payer à un enfant une erreur commise par ses parents», a-t-elle analysé en soulignant l’importance d’un cadre juridique qui garantisse à ces enfants leur droit à une identité et à une filiation paternelle. «Or l’article 152 du Code de la famille stipule que la filiation paternelle découle exclusivement du mariage ou de l’aveu du père, ce qui pose un problème majeur de justice et d'égalité», s’est-elle indignée.

Partant de là, la militante associative s’est interrogée sur la capacité de la réforme en cours à répondre aux réalités sociétales actuelles. Si des avancées ont été enregistrées en matière de droits des femmes, elle estime que la Moudawana doit aller plus loin pour répondre aux exigences d’une société en mutation. D’autant, ajoute-t-elle, que les associations féminines et de défense des droits humains ont exprimé leur déception quant aux 17 axes de réforme proposés, jugeant qu’ils ne vont pas assez loin pour assurer une réelle égalité entre les sexes et une meilleure protection des enfants et des femmes. Et de conclure : Face à ces enjeux, la révision de la Moudawana apparaît comme une nécessité impérieuse.
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