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Partis politiques : rajeunir, moraliser, territorialiser, le triple pari du projet de loi n° 54.25

Rajeunir, moraliser, structurer. Voilà le triple pari de la réforme des partis politiques au Maroc. Adopté par la Première Chambre, le projet de loi organique n°54.25, modifiant et complétant la loi organique n°29.11 relative aux partis politiques, entend refonder en profondeur le fonctionnement partisan : encadrement strict du financement, quotas obligatoires dans les instances dirigeantes, nouvelles conditions de création et de gouvernance. L’enjeu in fine est de restaurer la confiance d’une population largement désenchantée par l’offre politique existante.

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Les partis politiques n’ont pas bonne presse. Selon un sondage national de 2025, près de 95% des Marocains déclarent ne pas leur faire confiance, et moins d’un sur dix dit y avoir déjà milité. La majorité des jeunes expriment même un rejet franc : plus de 70% d’entre eux considèrent les partis comme inefficaces ou déconnectés. Ce désamour se reflète aussi dans les urnes : si le taux de participation aux législatives de 2021 a légèrement progressé, atteignant 50,18%, il reste insuffisant pour traduire une adhésion populaire forte. Et pourtant, les partis sont essentiels à la démocratie. Ce sont eux qui investissent les candidats, construisent les programmes, animent les campagnes. C’est pour redonner sens à leur mission et crédibilité à leur action que le gouvernement a présenté le projet de loi organique n°54.25 relatif aux partis politiques, adopté lundi 1er décembre 2025 par la Chambre des représentants. Il ne s’agit pas d’un simple toilettage juridique : c’est une refonte du modèle partisan, dans ses fondements mêmes.

Argent public : plus de rigueur, mais aussi plus d’ouverture

L’argent que l’État verse chaque année aux partis politiques est au cœur de cette réforme. Longtemps critiqué pour son manque de contrôle, le financement public devient désormais une affaire sérieuse, encadrée et, surtout, conditionnée à des règles strictes. Tout parti qui ne présente pas ses comptes annuels pendant trois années d’affilée pourra être dissous par la justice, à la demande du ministère de l’Intérieur. Cette mesure radicale répond à un constat récurrent : selon les derniers rapports de la Cour des comptes, de nombreux partis n’ont pas su justifier l’usage des fonds publics. Quinze d’entre eux ont même été sommés de restituer près de 22 millions de dirhams à la trésorerie, soit des aides perçues à tort, mal utilisées ou jamais documentées.
Mais la réforme ne se veut pas uniquement punitive. Elle ouvre aussi la voie à de nouvelles sources de financement, plus diversifiées, plus modernes. Le plafond annuel des dons privés est relevé à 800.000 dirhams par donateur, contre 600.000 auparavant. Mieux encore : les partis pourront désormais créer leurs propres sociétés, à condition qu’elles se consacrent exclusivement à des activités liées à leur mission, comme l’édition de journaux, la production de contenus numériques ou l’impression de documents politiques. Ces structures devront être déclarées au ministère de l’Intérieur et leurs résultats financiers intégrés aux comptes annuels du parti. En cas d’irrégularité, leur dissolution pourra être prononcée par la justice.
Enfin, le projet de loi introduit une série d’incitations financières pour encourager une représentation plus juste au Parlement. Désormais, chaque siège remporté par un jeune de moins de 35 ans, une femme ou un Marocain résidant à l’étranger donnera droit à un soutien public multiplié par six. Cette mesure s’étendra aussi aux personnes en situation de handicap. Et pour les petits partis qui peinent à remplir tous les critères malgré une présence sur le terrain, l’État prévoit un minimum de moyens pour les aider à couvrir leurs frais de fonctionnement. L’idée est simple : rendre les règles plus exigeantes, mais aussi plus équitables.

La création des partis soumise à des conditions plus strictes

Le projet de loi organique 54.25 ne se limite pas à réformer les partis existants : il redéfinit également les conditions de création des nouvelles formations politiques, dans un souci affiché de sérieux et de représentativité nationale. Désormais, la fondation d’un parti devra être portée par douze membres fondateurs, issus chacun d’une région différente du Royaume, contre trois personnes sans condition géographique auparavant. De même, le nombre de soutiens exigés passe de 300 à 2.000 déclarations individuelles, réparties sur l’ensemble des douze régions, avec un minimum de 100 signataires par région. La tenue du congrès constitutif est elle aussi encadrée de manière plus stricte : elle devra rassembler au moins 1.500 participants, avec une représentation équilibrée des régions, et la présence obligatoire d’au moins 20% de femmes et de jeunes. En outre, le dépôt de création ne sera valide que si tous les douze fondateurs signent la déclaration. À travers ces nouvelles règles, le gouvernement entend limiter les initiatives de circonstance et garantir, dès leur création, l’ancrage national et la diversité des partis politiques.

Rajeunir, féminiser, territorialiser

L’un des axes forts du projet de loi 54.25 concerne la représentativité au sein des partis politiques. Le texte impose désormais des quotas clairs : au moins 30% de femmes et 10% de jeunes de moins de 40 ans devront siéger dans les instances dirigeantes. Une mesure pensée pour rompre avec la reproduction des mêmes profils masculins et vieillissants, et favoriser l’émergence d’une génération politique plus jeune, plus diverse et plus connectée aux enjeux contemporains. Au-delà des structures internes, le texte introduit aussi des critères précis pour l’accès au financement public, conditionné à des engagements concrets en matière de candidatures. Pour bénéficier du soutien de l’État, un parti devra désormais présenter un jeune de moins de 35 ans en tête ou en deuxième position dans au moins un tiers des circonscriptions locales couvertes. Il devra également placer une femme jeune et une Marocaine résidant à l’étranger à la tête d’au moins une liste régionale.
Pour appuyer ces efforts de diversification, le projet instaure un dispositif d’incitation inédit : chaque siège remporté dans une circonscription conduite par un jeune, une femme MRE ou une personne en situation de handicap ouvrira droit à une aide publique multipliée par six. Ce mécanisme vise à encourager les partis à investir pleinement dans des profils jusqu’ici sous-représentés, et à élargir le vivier des élites politiques. D’ailleurs, parmi les mesures phares du texte, l’abaissement du seuil requis pour bénéficier du soutien de l’État constitue un tournant symbolique. Désormais, les candidats indépendants n’auront plus besoin de recueillir 5% des voix dans leur circonscription, mais seulement 2%. En parallèle, la condition de recueillir au moins 200 signatures d’électeurs reste maintenue. Cette ouverture, saluée par certains et critiquée par d’autres, reflète une volonté politique claire : donner plus de chances aux jeunes Marocains de s’engager en dehors des cadres partisans classiques, souvent jugés verrouillés. L’État ambitionne ainsi de couvrir jusqu’à 75% des frais de campagne des jeunes candidats, une démarche audacieuse dans un contexte marqué par la désaffection des urnes.

Gouvernance et discipline interne

Mieux encore, le projet de loi organique 54.25 encadre plus strictement le fonctionnement des partis. Il impose la tenue régulière des congrès, la publication des règlements intérieurs, l’organisation d’élections internes et la mise à jour des registres des adhérents. Tout cela dans un souci de démocratie interne, sans laquelle la démocratie nationale elle-même reste fragile. Ceux qui contreviennent aux nouvelles règles s’exposent à des sanctions financières pouvant aller jusqu’à 100.000 dirhams, voire à des poursuites judiciaires en cas de fraude manifeste. L’État entend envoyer un signal fort : les partis ne peuvent plus fonctionner en toute impunité. Par ailleurs, les fusions et alliances entre partis devront désormais respecter des procédures formelles : déclaration officielle, compatibilité des programmes, respect du calendrier. Finies les coalitions de circonstance nouées à la veille des scrutins sans ligne claire. Cette régulation vise à renforcer la lisibilité de l’offre politique, en évitant la confusion chez les électeurs.

Une réforme qui s’impose... mais à concrétiser

La réforme, bien que portée par le gouvernement, n’a pas fait l’unanimité. Si, en commission, 164 députés l’ont approuvée, 9 s’y sont opposés et 41 se sont abstenus. Le débat a été animé, notamment autour de questions sensibles comme l’éligibilité des candidats ou la lutte contre la désinformation électorale. Le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, est resté ferme, refusant la plupart des amendements de l’opposition. Il a insisté sur la nécessité d’un cadre clair, sans ambiguïtés ni fragilité juridique. Le projet de loi s’inscrit d’ailleurs dans un trio de réformes, aux côtés des projets de loi 55.25 (sur les listes électorales et la régulation numérique) et 53.25 (sur l’organisation de la Chambre des représentants). Ensemble, ils dessinent un nouveau paysage électoral, où le numérique, la transparence et l’éthique sont appelés à jouer un rôle central.
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