Le Matin : Depuis maintenant six ans, la situation hydrique est très critique. Cette année l’est encore davantage. Comment comptez-vous réagir ?
Nizar Baraka : Le Maroc a connu durant les 5 dernières années des déficits pluviométriques accentués qui ont engendré de faibles écoulements et une réduction du potentiel hydrique du Royaume. La succession des années déficitaires en eau s’est répercutée négativement sur les réserves d’eau dans les retenues de barrages, ainsi que sur l’état des ressources en eau souterraine et sur les débits des sources.
Les précipitations moyennes enregistrées durant le début de la sixième année hydrologique 2023-2024 (1er septembre 2023 au 29 janvier 2024), sur l’ensemble du Royaume, sont évaluées à près de 35 mm avec un écart par rapport à la normale à l’échelle nationale de l’ordre de -67%. Les réserves disponibles au niveau des retenues des barrages en date du 5 février 2024 sont de l’ordre de 3,72 milliards de m³, soit un taux de remplissage de 23,1%, contre 31,9% l’année dernière.
Devant cette situation, et suite aux orientations de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, les projets de mobilisations des ressources en eau conventionnelles et non conventionnelles se réalisent avec une cadence accélérée et des mesures d’urgence ont été entreprises pour faire face à la pénurie de l’eau tant en milieu urbain qu’en milieu rural, pour assurer l’approvisionnement de la population et pour irriguer les terres selon un programme arrêté avec le ministère de l’Agriculture.
Trois ans après le lancement du Programme national pour l’approvisionnement en eau potable et d’irrigation, un budget de 143 milliards de dirhams a été alloué pour les infrastructures de stockage. Est-ce que dans le contexte actuel on va garder la même approche ?
Le Programme national pour l’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020-2027 (PNAEPI 20-27) a été préparé, suite aux Hautes Instructions Royales de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, en vue d’accélérer les investissements dans le secteur de l’eau à travers la réalisation de projets structurants, notamment par la mobilisation des ressources en eau conventionnelles et non conventionnelles afin de garantir le développement du secteur de l’eau et l’approvisionnement en eau du pays de manière durable. Le coût global du programme, qui était initialement de 115,4 milliards de dirhams, a été revu à la hausse pour atteindre le montant de 143 milliards de dirhams. La révision du PNAEPI 20-27 a été présentée à Sa Majesté le Roi Mohammed VI le 9 mai 2023.
Il est à rappeler que le coût ajusté, mentionné auparavant, est un coût relatif à l’ensemble des composantes du programme, qui est décliné en cinq axes comme suit :
Quel a été l’impact des opérations de transfert des eaux de certains bassins vers d’autres ?
En ce qui concerne l’interconnexion entre les bassins hydrauliques, cette démarche s’inscrit dans le cadre de la solidarité régionale et concerne le transfert des eaux inexploitées des régions excédentaires vers les régions connaissant une pénurie de ressources hydriques pour divers usages, tels que l’eau potable, l’industrie et l’irrigation. Actuellement, le Maroc dispose de 16 infrastructures de transfert d’eau couvrant diverses régions du pays. Il est envisageable d’entreprendre ces projets à l’avenir pour répondre aux besoins des régions confrontées à des déficits en ressources hydriques.
Il est important de rappeler que le projet d’interconnexion des bassins hydrauliques entre le Nord et le Sud remonte à la période d’élaboration de la Stratégie nationale de l’eau, présentée devant Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, à Fès en 2009. Et suite à l’évolution de la situation hydrologique au niveau des bassins hydrauliques et des données relatives à la demande en eau, d’une part, et à l’avancement des études techniques liées au projet ainsi qu’à d’autres projets connexes, d’autre part, la formulation initiale du projet a été révisée. Le projet de la tranche urgente du transfert de l’eau du bassin du Sebou vers le bassin du Bouregreg (entre le barrage de garde Sebou et le barrage Sidi Mohammed Ben Abdallah) constitue la première opération d’envergure au Maroc, visant à valoriser de manière optimale les ressources hydriques et à promouvoir la solidarité entre les bassins excédentaires et ceux déficitaires en ressources hydriques. Cette tranche a été achevée et permet de transférer l’eau avec un débit de 15 m³/s, et sera suivie d’une tranche complémentaire faisant augmenter le débit transféré à 45 m³/s. Une autre phase prévoit l’interconnexion entre Lao, oued Al Makhazine et le bassin du Sebou. Cette deuxième phase du projet d’interconnexion a été intégrée dans le Programme national pour l’approvisionnement en eau potable et l’irrigation 2020-2027.
Parmi les raisons justifiant le transfert de l’excédent d’eau du Sebou et Lao vers le bassin de Bouregreg et ensuite Oum Er-Rabia au niveau du barrage Al Massira, la garantie de l’approvisionnement en eau potable à long terme ainsi que la fourniture d’eau d’irrigation pour les périmètres des Doukkala et la sauvegarde de la nappe de Berrechid. Ce projet de transfert de l’eau des bassins Nord vers les bassins Sud vise également à répondre aux besoins des secteurs de l’industrie et du tourisme, ce qui va permettre d’alléger la pression d’eau sur le système hydraulique du bassin de l’Oum Er-Rabia. De plus, des efforts sont actuellement déployés pour démarrer les travaux relatifs à la réalisation du projet d’interconnexion entre les barrages d’Oued Al-Makhazine et Dar Khrofa, visant à assurer l’approvisionnement en eau potable, industrielle et touristique pour le pôle de Tanger, prévu dans le cadre du Programme national pour l’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020-2027.
En ce qui concerne les projets de transfert et d’interconnexion dont les travaux ont été lancés dans le cadre du programme d’urgence visant à assurer l’approvisionnement en eau potable des grandes villes, ils se présentent comme suit :
• Assurer l’approvisionnement en eau potable de Tanger à travers la réalisation du projet de renforcement du système d’approvisionnement en eau potable de cette ville en le reliant au barrage Dar Khrofa. L’exploitation de cette canalisation a débuté en octobre 2020.
• Assurer l’approvisionnement en eau potable du Grand Agadir par la réalisation d’une canalisation reliant la zone d’El Guerdane à la station de traitement de l’ONEE. L’exploitation de cette canalisation a débuté en octobre 2020.
• Assurer de manière structurée l’approvisionnement en eau potable de la ville de Targuist en la reliant au système d’approvisionnement de la ville d’Al Hoceïma.
• Assurer l’approvisionnement en eau potable du Grande Casablanca et alléger la pression sur le bassin d’Oum Er-Rabia en augmentant l’approvisionnement en eau à partir du bassin du Bouregreg (barrage Sidi Mohammed Ben Abdallah-SMBA) renforcé par le transfert d’eau du Sebou, par la réalisation d’une canalisation pour relier les systèmes d’approvisionnement en eau potable du nord et du sud de la ville de Casablanca.
Aujourd’hui, il y a des régions plus impactées par le stress hydrique que d’autres. Lesquelles sont les plus touchées et quelles sont les mesures qui ont été prises pour leur venir en aide ?
La succession des années déficitaires en eau s’est répercutée négativement sur les réserves d’eau dans les retenues des barrages ainsi que sur l’état des ressources en eau souterraines et sur les débits des sources. Les régions qui ont été les plus touchées par le stress hydrique sont Tanger, Assilah et les centres liés, Souss-Massa ainsi que le sud de Casablanca, et le bassin de l’Oum Er-Rabia. Les mesures entreprises sont :
Le secteur de l’agriculture est le secteur le plus utilisateur et consommateur d’eau. Cependant dans l’approche planification et gestion des ressources en eau, la priorité est donnée à la satisfaction des besoins en eau potable, en second lieu aux besoins en eau d’irrigation qui sont satisfaits par rapport à des niveaux de garantie coordonnés avec le département de l’Agriculture, selon l’hydraulicité de l’année et la disponibilité des ressources et, en troisième lieu, à l’hydroélectricité. La situation des apports en eau a eu un impact direct sur le taux de remplissage national des barrages. Il est important de souligner que la période 2018-2023 a été parmi les plus sévères en termes de sécheresse, avec un faible apport estimé à 15,3 milliards de mètres cubes. L’année 2021-2022 a enregistré le plus faible apport annuel jamais enregistré, ne dépassant pas 2 milliards de mètres cubes. Cette baisse a eu des répercussions négatives sur les réserves d’eau des barrages, contribuant à la diminution des taux de remplissage. En conséquence, afin d’assurer un approvisionnement en eau potable adéquat pour les villes et les centres urbains, les allocations destinées à l’irrigation ont été réduites, en concertation avec le département de l’Agriculture. Depuis septembre 2021, 3,5 milliards de mètres cubes ont été alloués à l’irrigation à partir des barrages, alors que le total des apports pour la même période n’a pas dépassé 6,5 milliards de mètres cubes, soit plus de 54% des apports allouées à l’irrigation.
• Au cours de l’année hydrologique 2021-2022, bien que le volume des apports n’ait pas dépassé 2 milliards de mètres cubes, 1,78 milliard de mètres cubes ont été alloués à l’irrigation, représentant plus de 60% du total des quotas d’eau accordés par les barrages, contre 40% destinés à répondre aux besoins en eau potable, estimés à 954 millions de mètres cubes.
• Pour l’année hydrologique 2022-2023, bien que le volume des apports n’ait pas dépassé 3,9 milliards de mètres cubes, 1,39 milliard de mètres cubes ont été alloués à l’irrigation, représentant plus de 58% du total des quotas d’eau accordés par les barrages, contre 42% destinés à répondre aux besoins en eau potable, estimés à 998 millions de mètres cubes.
• Pour l’année hydrologique actuelle jusqu’au 22 janvier 2024, bien que le volume des apports soit de près de 642 millions de mètres cubes, 300 millions de mètres cubes ont été alloués à l’irrigation à partir des retenues des barrages.
Pour l’année en cours, le secteur de l’agriculture n’a pas de visibilité que pour 683 millions de m³ d’eau. Ce volume ne risque-t-il pas d’être revu si la situation hydrique ne s’améliore pas ?
Le volume à fournir pour l’irrigation est concerté avec toutes les parties prenantes, notamment les services régionaux de l’agriculture, et ceci après évaluation des bilans hydriques au niveau de chaque système hydraulique, tout en respectant les priorités en matière de gestion de l’eau. Le volume restant à fournir pour le reste de l’année hydrologique dépend des apports d’eau. Cependant, ce volume peut être revu en fonction de l’amélioration de la situation hydrologique nationale.
Tout récemment vous avez annoncé que de nouveaux périmètres d’irrigation seraient créés. Quels sont ces périmètres ? Où en est ce projet et comment sera-t-il réalisé ?
Afin d’assurer la pérennité de l’irrigation dans certains bassins agricoles et d’en développer de nouveaux, le gouvernement a opté pour le dessalement de l’eau de mer à des fins d’irrigation. Cette initiative a pris forme avec le projet de dessalement de Chtouka, qui permet l’irrigation d’une superficie agricole de 15.000 hectares. De plus, le projet de dessalement de Dakhla, actuellement en construction et qui sera alimenté par l’énergie éolienne, devrait être opérationnel en juin 2025, irriguant ainsi une nouvelle superficie de 5.200 hectares et fournissant également de l’eau à la ville de Dakhla. La plupart des nouveaux projets des périmètres irrigués à mettre en place sont liés principalement aux projets de dessalement de l’eau de mer, notamment les nouveaux périmètres liés aux stations de dessalement de Casablanca, de l’Oriental, de Oualidia, etc. Le programme définitif sera arrêté d’un commun accord avec le département de l’Agriculture. Le Royaume devra tripler ses capacités à l’horizon 2030 avec plus d’une vingtaine de stations de dessalement de l’eau de mer permettant de produire près de 1,4 milliard de m³ d’eau par an, destinés à différents usages. Où en est ce projet aujourd’hui ? Selon la programmation récente des stations de dessalement, l’inventaire des stations de dessalement existantes, en cours de construction et programmés se présente comme suit :
• Aujourd’hui, le Maroc dispose de 15 stations de dessalement existantes d’une capacité de 192 millions de m³/an, dont 61,2 millions de m³/an produits par l’OCP.
• Les 5 stations qui sont en cours de construction auront une capacité de production additionnelle de 138,3 millions de m³/an, dont 98 millions de m³/an produits par l’OCP.
• Les 16 stations programmées entre 2024 et 2045, d’une capacité de production additionnelle de 1.490 millions de m³/an, dont 410 millions de m³/an produits par l’OCP. L’initiation de ce programme ambitieux de dessalement de l’eau de mer est déjà en cours, comprenant plusieurs projets majeurs. Parmi eux, le projet de dessalement de Casablanca-Settat se distingue, avec une capacité de production de 300 millions de m³/an, dont 250 millions de m³/an seront dédiés à l’approvisionnement en eau potable et 50 millions de m³/an à l’irrigation.
Le contrat de partenariat public-privé pour ce projet a déjà été signé et le démarrage des travaux est prévu durant le début de cette année. Parallèlement, le Plan d’urgence entre le gouvernement et le groupe OCP vise à produire de l’eau dessalée à travers des projets de dessalement de l’eau de mer à Safi et El Jadida, ce qui contribuera de manière significative à soulager la pression sur les ressources en eau du bassin Oum ErRabia. La ville d’El Jadida est totalement alimentée aujourd’hui à partir de l’eau dessalée et la ville de Safi alimentée partiellement par l’eau dessalée et le sera incessamment en totalité par les eaux de mer dessalée.
Comment votre département aborde-t-il la question des ressources en eau souterraines qui, comme chacun le sait, ne sont pas intarissables ?
Les eaux souterraines jouent un rôle important pour le développement économique et social du pays. Elles constituent la principale source d’eau potable pour la plus grande partie du monde rural, et elles contribuent également à la sécurisation de l’approvisionnement en eau de nombreuses villes. Cependant, la demande croissante en eau, ainsi que la succession d’années sèches qu’a connue le Maroc, surtout ces dernières années, ont conduit à une exploitation excessive des aquifères, qui dépasse largement le volume d’eau renouvelable annuellement. Cette situation a entraîné une baisse du niveau d’eau dans ces nappes et une diminution de leurs réserves en eau. Dans certains cas, cette su rexploitation s’est également traduite par la diminution du débit des eaux des sources, l’assèchement de quelques sources et lacs naturels, ainsi que la détérioration de la qualité des eaux souterraines, comme pour le cas des aquifères côtiers s’étendant de Casablanca à Safi. Face à cette situation préoccupante, qui peut être exacerbée par le changement climatique et la forte demande en eau, le ministère a élaboré un programme de préservation des ressources en eau souterraine qui repose sur un ensemble de mécanismes efficaces et durables permettant la participation des usagers de l’eau souterraine dans la gestion et l’exploitation de ces ressources. Il s’agit notamment de :
• Le développement d’un cadre organisationnel pour la gestion participative des nappes à travers l’élaboration du projet de décret relatif à la gestion participative des nappes qui est en cours de signature.
• L’établissement des périmètres de sauvegarde et d’interdiction pour les zones dont les ressources en eau souterraine sont menacées du fait de leur surexploitation.
• La soumission des opérations de réalisation des forages et puits aux fins de recherche et/ ou d’amenée et d’utilisation des ressources en eau souterraine (article 114 de la loi n°36.15 relative à l’eau) au régime d’autorisation, quelle que soit la profondeur, et la suppression du système de seuil qui était en vigueur dans la loi n°10.95 sur l’eau.
• L’obligation de se conformer aux orientations et objectifs des plans et schémas directeurs d’aménagement intégré des ressources en eau lors de l’autorisation d’exploitation du domaine public hydraulique.
• Le renforcement des sanctions liées à la réalisation de forages et puits sans autorisation. Là où la loi sur l’eau a institué une amende égale au dixième du montant des travaux estimés par l’Agence de bassin hydraulique. Cette dernière peut également suspendre les travaux en cours d’achèvement ou les arrêter définitivement sans préjudice des procédures de protection des ressources en eau qu’elle peut ordonner.
• La mise en œuvre des comités de vigilance pour la gestion de la pénurie d’eau potable au niveau des préfectures et provinces afin d’empêcher autant que possible l’irrigation des espaces verts et des terrains de golf à partir des eaux souterraines et l’utilisation des eaux usées traitées à cette fin.
• L’élaboration de contrats de nappes avec l’ensemble des utilisateurs et consommateurs des eaux souterraines pour une gestion rationnelle de ces ressources en eau qui sont considérées comme des ressources en eau stratégiques.
Quel bilan faites-vous aujourd’hui du programme national de l’eau potable et de l’irrigation ?
Le bilan du Programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation se révèle extrêmement positif. Grâce à cette initiative, notre pays a réussi à surmonter efficacement, après son réajustement, les défis complexes liés à la gestion de l’eau jusqu’à présent. Le programme s’est principalement orienté vers des solutions novatrices en favorisant la diversification des ressources en eau. Cette approche a été marquée par une augmentation significative du recours aux ressources en eau non conventionnelles, notamment le dessalement de l’eau de mer et la réutilisation des eaux usées épurées. En parallèle, le transfert interbassins et la mise en œuvre de projets axés sur la gestion de la demande en eau ont été privilégiés. Ces mesures ont été mises en complément aux solutions traditionnelles de développement de l’offre en eaux conventionnelles. Le résultat, l’ensemble de ces actions a abouti à la satisfaction des besoins en eau potable de la population et à l’irrigation des parcelles qui ont nécessité un apport d’eau pour les productions agricoles.
Nizar Baraka : Le Maroc a connu durant les 5 dernières années des déficits pluviométriques accentués qui ont engendré de faibles écoulements et une réduction du potentiel hydrique du Royaume. La succession des années déficitaires en eau s’est répercutée négativement sur les réserves d’eau dans les retenues de barrages, ainsi que sur l’état des ressources en eau souterraine et sur les débits des sources.
Les précipitations moyennes enregistrées durant le début de la sixième année hydrologique 2023-2024 (1er septembre 2023 au 29 janvier 2024), sur l’ensemble du Royaume, sont évaluées à près de 35 mm avec un écart par rapport à la normale à l’échelle nationale de l’ordre de -67%. Les réserves disponibles au niveau des retenues des barrages en date du 5 février 2024 sont de l’ordre de 3,72 milliards de m³, soit un taux de remplissage de 23,1%, contre 31,9% l’année dernière.
Devant cette situation, et suite aux orientations de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, les projets de mobilisations des ressources en eau conventionnelles et non conventionnelles se réalisent avec une cadence accélérée et des mesures d’urgence ont été entreprises pour faire face à la pénurie de l’eau tant en milieu urbain qu’en milieu rural, pour assurer l’approvisionnement de la population et pour irriguer les terres selon un programme arrêté avec le ministère de l’Agriculture.
Trois ans après le lancement du Programme national pour l’approvisionnement en eau potable et d’irrigation, un budget de 143 milliards de dirhams a été alloué pour les infrastructures de stockage. Est-ce que dans le contexte actuel on va garder la même approche ?
Le Programme national pour l’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020-2027 (PNAEPI 20-27) a été préparé, suite aux Hautes Instructions Royales de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, en vue d’accélérer les investissements dans le secteur de l’eau à travers la réalisation de projets structurants, notamment par la mobilisation des ressources en eau conventionnelles et non conventionnelles afin de garantir le développement du secteur de l’eau et l’approvisionnement en eau du pays de manière durable. Le coût global du programme, qui était initialement de 115,4 milliards de dirhams, a été revu à la hausse pour atteindre le montant de 143 milliards de dirhams. La révision du PNAEPI 20-27 a été présentée à Sa Majesté le Roi Mohammed VI le 9 mai 2023.
Il est à rappeler que le coût ajusté, mentionné auparavant, est un coût relatif à l’ensemble des composantes du programme, qui est décliné en cinq axes comme suit :
- Le développement de l’offre, notamment par la poursuite de la construction et/ou la surélévation de grands barrages, la construction des petits barrages pour le développement local, le développement des projets de dessalement de l’eau de mer et le renforcement et sécurisation de l’alimentation en eau potable.
- La gestion de la demande, l’économie et la valorisation de l’eau aussi bien l’eau potable, industrielle, touristique que l’eau d’irrigation.
- La réutilisation des eaux usées, notamment pour l’arrosage des golfs et des espaces verts.
- Le renforcement de l’approvisionnement en eau potable en milieu rural.
- L’adoption d’une stratégie de communication et de sensibilisation.
Quel a été l’impact des opérations de transfert des eaux de certains bassins vers d’autres ?
En ce qui concerne l’interconnexion entre les bassins hydrauliques, cette démarche s’inscrit dans le cadre de la solidarité régionale et concerne le transfert des eaux inexploitées des régions excédentaires vers les régions connaissant une pénurie de ressources hydriques pour divers usages, tels que l’eau potable, l’industrie et l’irrigation. Actuellement, le Maroc dispose de 16 infrastructures de transfert d’eau couvrant diverses régions du pays. Il est envisageable d’entreprendre ces projets à l’avenir pour répondre aux besoins des régions confrontées à des déficits en ressources hydriques.
Il est important de rappeler que le projet d’interconnexion des bassins hydrauliques entre le Nord et le Sud remonte à la période d’élaboration de la Stratégie nationale de l’eau, présentée devant Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, à Fès en 2009. Et suite à l’évolution de la situation hydrologique au niveau des bassins hydrauliques et des données relatives à la demande en eau, d’une part, et à l’avancement des études techniques liées au projet ainsi qu’à d’autres projets connexes, d’autre part, la formulation initiale du projet a été révisée. Le projet de la tranche urgente du transfert de l’eau du bassin du Sebou vers le bassin du Bouregreg (entre le barrage de garde Sebou et le barrage Sidi Mohammed Ben Abdallah) constitue la première opération d’envergure au Maroc, visant à valoriser de manière optimale les ressources hydriques et à promouvoir la solidarité entre les bassins excédentaires et ceux déficitaires en ressources hydriques. Cette tranche a été achevée et permet de transférer l’eau avec un débit de 15 m³/s, et sera suivie d’une tranche complémentaire faisant augmenter le débit transféré à 45 m³/s. Une autre phase prévoit l’interconnexion entre Lao, oued Al Makhazine et le bassin du Sebou. Cette deuxième phase du projet d’interconnexion a été intégrée dans le Programme national pour l’approvisionnement en eau potable et l’irrigation 2020-2027.
Parmi les raisons justifiant le transfert de l’excédent d’eau du Sebou et Lao vers le bassin de Bouregreg et ensuite Oum Er-Rabia au niveau du barrage Al Massira, la garantie de l’approvisionnement en eau potable à long terme ainsi que la fourniture d’eau d’irrigation pour les périmètres des Doukkala et la sauvegarde de la nappe de Berrechid. Ce projet de transfert de l’eau des bassins Nord vers les bassins Sud vise également à répondre aux besoins des secteurs de l’industrie et du tourisme, ce qui va permettre d’alléger la pression d’eau sur le système hydraulique du bassin de l’Oum Er-Rabia. De plus, des efforts sont actuellement déployés pour démarrer les travaux relatifs à la réalisation du projet d’interconnexion entre les barrages d’Oued Al-Makhazine et Dar Khrofa, visant à assurer l’approvisionnement en eau potable, industrielle et touristique pour le pôle de Tanger, prévu dans le cadre du Programme national pour l’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020-2027.
En ce qui concerne les projets de transfert et d’interconnexion dont les travaux ont été lancés dans le cadre du programme d’urgence visant à assurer l’approvisionnement en eau potable des grandes villes, ils se présentent comme suit :
• Assurer l’approvisionnement en eau potable de Tanger à travers la réalisation du projet de renforcement du système d’approvisionnement en eau potable de cette ville en le reliant au barrage Dar Khrofa. L’exploitation de cette canalisation a débuté en octobre 2020.
• Assurer l’approvisionnement en eau potable du Grand Agadir par la réalisation d’une canalisation reliant la zone d’El Guerdane à la station de traitement de l’ONEE. L’exploitation de cette canalisation a débuté en octobre 2020.
• Assurer de manière structurée l’approvisionnement en eau potable de la ville de Targuist en la reliant au système d’approvisionnement de la ville d’Al Hoceïma.
• Assurer l’approvisionnement en eau potable du Grande Casablanca et alléger la pression sur le bassin d’Oum Er-Rabia en augmentant l’approvisionnement en eau à partir du bassin du Bouregreg (barrage Sidi Mohammed Ben Abdallah-SMBA) renforcé par le transfert d’eau du Sebou, par la réalisation d’une canalisation pour relier les systèmes d’approvisionnement en eau potable du nord et du sud de la ville de Casablanca.
Aujourd’hui, il y a des régions plus impactées par le stress hydrique que d’autres. Lesquelles sont les plus touchées et quelles sont les mesures qui ont été prises pour leur venir en aide ?
La succession des années déficitaires en eau s’est répercutée négativement sur les réserves d’eau dans les retenues des barrages ainsi que sur l’état des ressources en eau souterraines et sur les débits des sources. Les régions qui ont été les plus touchées par le stress hydrique sont Tanger, Assilah et les centres liés, Souss-Massa ainsi que le sud de Casablanca, et le bassin de l’Oum Er-Rabia. Les mesures entreprises sont :
- L’installation de barges flottantes au niveau des barrages.
- La réalisation des projets de transfert des eaux brutes : interconnexion entre bassins.
- L’équipement des nouveaux forages.
- Le diagnostic des forages opérationnels en vue de leur réhabilitation et de l’amélioration de leur productivité.
- La mise en place d’unités monoblocs de dessalement de l’eau de mer et de déminéralisation des eaux saumâtres.
- La réalisation des prises directes sur l’oued pour alimenter les stations en eau brute (cas de Guercif).
- Le réajustement des modalités de gestion des barrages et leurs gestions intégrées.
- La réalisation de nouvelles adductions.
Le secteur de l’agriculture est le secteur le plus utilisateur et consommateur d’eau. Cependant dans l’approche planification et gestion des ressources en eau, la priorité est donnée à la satisfaction des besoins en eau potable, en second lieu aux besoins en eau d’irrigation qui sont satisfaits par rapport à des niveaux de garantie coordonnés avec le département de l’Agriculture, selon l’hydraulicité de l’année et la disponibilité des ressources et, en troisième lieu, à l’hydroélectricité. La situation des apports en eau a eu un impact direct sur le taux de remplissage national des barrages. Il est important de souligner que la période 2018-2023 a été parmi les plus sévères en termes de sécheresse, avec un faible apport estimé à 15,3 milliards de mètres cubes. L’année 2021-2022 a enregistré le plus faible apport annuel jamais enregistré, ne dépassant pas 2 milliards de mètres cubes. Cette baisse a eu des répercussions négatives sur les réserves d’eau des barrages, contribuant à la diminution des taux de remplissage. En conséquence, afin d’assurer un approvisionnement en eau potable adéquat pour les villes et les centres urbains, les allocations destinées à l’irrigation ont été réduites, en concertation avec le département de l’Agriculture. Depuis septembre 2021, 3,5 milliards de mètres cubes ont été alloués à l’irrigation à partir des barrages, alors que le total des apports pour la même période n’a pas dépassé 6,5 milliards de mètres cubes, soit plus de 54% des apports allouées à l’irrigation.
• Au cours de l’année hydrologique 2021-2022, bien que le volume des apports n’ait pas dépassé 2 milliards de mètres cubes, 1,78 milliard de mètres cubes ont été alloués à l’irrigation, représentant plus de 60% du total des quotas d’eau accordés par les barrages, contre 40% destinés à répondre aux besoins en eau potable, estimés à 954 millions de mètres cubes.
• Pour l’année hydrologique 2022-2023, bien que le volume des apports n’ait pas dépassé 3,9 milliards de mètres cubes, 1,39 milliard de mètres cubes ont été alloués à l’irrigation, représentant plus de 58% du total des quotas d’eau accordés par les barrages, contre 42% destinés à répondre aux besoins en eau potable, estimés à 998 millions de mètres cubes.
• Pour l’année hydrologique actuelle jusqu’au 22 janvier 2024, bien que le volume des apports soit de près de 642 millions de mètres cubes, 300 millions de mètres cubes ont été alloués à l’irrigation à partir des retenues des barrages.
Pour l’année en cours, le secteur de l’agriculture n’a pas de visibilité que pour 683 millions de m³ d’eau. Ce volume ne risque-t-il pas d’être revu si la situation hydrique ne s’améliore pas ?
Le volume à fournir pour l’irrigation est concerté avec toutes les parties prenantes, notamment les services régionaux de l’agriculture, et ceci après évaluation des bilans hydriques au niveau de chaque système hydraulique, tout en respectant les priorités en matière de gestion de l’eau. Le volume restant à fournir pour le reste de l’année hydrologique dépend des apports d’eau. Cependant, ce volume peut être revu en fonction de l’amélioration de la situation hydrologique nationale.
Tout récemment vous avez annoncé que de nouveaux périmètres d’irrigation seraient créés. Quels sont ces périmètres ? Où en est ce projet et comment sera-t-il réalisé ?
Afin d’assurer la pérennité de l’irrigation dans certains bassins agricoles et d’en développer de nouveaux, le gouvernement a opté pour le dessalement de l’eau de mer à des fins d’irrigation. Cette initiative a pris forme avec le projet de dessalement de Chtouka, qui permet l’irrigation d’une superficie agricole de 15.000 hectares. De plus, le projet de dessalement de Dakhla, actuellement en construction et qui sera alimenté par l’énergie éolienne, devrait être opérationnel en juin 2025, irriguant ainsi une nouvelle superficie de 5.200 hectares et fournissant également de l’eau à la ville de Dakhla. La plupart des nouveaux projets des périmètres irrigués à mettre en place sont liés principalement aux projets de dessalement de l’eau de mer, notamment les nouveaux périmètres liés aux stations de dessalement de Casablanca, de l’Oriental, de Oualidia, etc. Le programme définitif sera arrêté d’un commun accord avec le département de l’Agriculture. Le Royaume devra tripler ses capacités à l’horizon 2030 avec plus d’une vingtaine de stations de dessalement de l’eau de mer permettant de produire près de 1,4 milliard de m³ d’eau par an, destinés à différents usages. Où en est ce projet aujourd’hui ? Selon la programmation récente des stations de dessalement, l’inventaire des stations de dessalement existantes, en cours de construction et programmés se présente comme suit :
• Aujourd’hui, le Maroc dispose de 15 stations de dessalement existantes d’une capacité de 192 millions de m³/an, dont 61,2 millions de m³/an produits par l’OCP.
• Les 5 stations qui sont en cours de construction auront une capacité de production additionnelle de 138,3 millions de m³/an, dont 98 millions de m³/an produits par l’OCP.
• Les 16 stations programmées entre 2024 et 2045, d’une capacité de production additionnelle de 1.490 millions de m³/an, dont 410 millions de m³/an produits par l’OCP. L’initiation de ce programme ambitieux de dessalement de l’eau de mer est déjà en cours, comprenant plusieurs projets majeurs. Parmi eux, le projet de dessalement de Casablanca-Settat se distingue, avec une capacité de production de 300 millions de m³/an, dont 250 millions de m³/an seront dédiés à l’approvisionnement en eau potable et 50 millions de m³/an à l’irrigation.
Le contrat de partenariat public-privé pour ce projet a déjà été signé et le démarrage des travaux est prévu durant le début de cette année. Parallèlement, le Plan d’urgence entre le gouvernement et le groupe OCP vise à produire de l’eau dessalée à travers des projets de dessalement de l’eau de mer à Safi et El Jadida, ce qui contribuera de manière significative à soulager la pression sur les ressources en eau du bassin Oum ErRabia. La ville d’El Jadida est totalement alimentée aujourd’hui à partir de l’eau dessalée et la ville de Safi alimentée partiellement par l’eau dessalée et le sera incessamment en totalité par les eaux de mer dessalée.
Comment votre département aborde-t-il la question des ressources en eau souterraines qui, comme chacun le sait, ne sont pas intarissables ?
Les eaux souterraines jouent un rôle important pour le développement économique et social du pays. Elles constituent la principale source d’eau potable pour la plus grande partie du monde rural, et elles contribuent également à la sécurisation de l’approvisionnement en eau de nombreuses villes. Cependant, la demande croissante en eau, ainsi que la succession d’années sèches qu’a connue le Maroc, surtout ces dernières années, ont conduit à une exploitation excessive des aquifères, qui dépasse largement le volume d’eau renouvelable annuellement. Cette situation a entraîné une baisse du niveau d’eau dans ces nappes et une diminution de leurs réserves en eau. Dans certains cas, cette su rexploitation s’est également traduite par la diminution du débit des eaux des sources, l’assèchement de quelques sources et lacs naturels, ainsi que la détérioration de la qualité des eaux souterraines, comme pour le cas des aquifères côtiers s’étendant de Casablanca à Safi. Face à cette situation préoccupante, qui peut être exacerbée par le changement climatique et la forte demande en eau, le ministère a élaboré un programme de préservation des ressources en eau souterraine qui repose sur un ensemble de mécanismes efficaces et durables permettant la participation des usagers de l’eau souterraine dans la gestion et l’exploitation de ces ressources. Il s’agit notamment de :
• Le développement d’un cadre organisationnel pour la gestion participative des nappes à travers l’élaboration du projet de décret relatif à la gestion participative des nappes qui est en cours de signature.
• L’établissement des périmètres de sauvegarde et d’interdiction pour les zones dont les ressources en eau souterraine sont menacées du fait de leur surexploitation.
• La soumission des opérations de réalisation des forages et puits aux fins de recherche et/ ou d’amenée et d’utilisation des ressources en eau souterraine (article 114 de la loi n°36.15 relative à l’eau) au régime d’autorisation, quelle que soit la profondeur, et la suppression du système de seuil qui était en vigueur dans la loi n°10.95 sur l’eau.
• L’obligation de se conformer aux orientations et objectifs des plans et schémas directeurs d’aménagement intégré des ressources en eau lors de l’autorisation d’exploitation du domaine public hydraulique.
• Le renforcement des sanctions liées à la réalisation de forages et puits sans autorisation. Là où la loi sur l’eau a institué une amende égale au dixième du montant des travaux estimés par l’Agence de bassin hydraulique. Cette dernière peut également suspendre les travaux en cours d’achèvement ou les arrêter définitivement sans préjudice des procédures de protection des ressources en eau qu’elle peut ordonner.
• La mise en œuvre des comités de vigilance pour la gestion de la pénurie d’eau potable au niveau des préfectures et provinces afin d’empêcher autant que possible l’irrigation des espaces verts et des terrains de golf à partir des eaux souterraines et l’utilisation des eaux usées traitées à cette fin.
• L’élaboration de contrats de nappes avec l’ensemble des utilisateurs et consommateurs des eaux souterraines pour une gestion rationnelle de ces ressources en eau qui sont considérées comme des ressources en eau stratégiques.
Quel bilan faites-vous aujourd’hui du programme national de l’eau potable et de l’irrigation ?
Le bilan du Programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation se révèle extrêmement positif. Grâce à cette initiative, notre pays a réussi à surmonter efficacement, après son réajustement, les défis complexes liés à la gestion de l’eau jusqu’à présent. Le programme s’est principalement orienté vers des solutions novatrices en favorisant la diversification des ressources en eau. Cette approche a été marquée par une augmentation significative du recours aux ressources en eau non conventionnelles, notamment le dessalement de l’eau de mer et la réutilisation des eaux usées épurées. En parallèle, le transfert interbassins et la mise en œuvre de projets axés sur la gestion de la demande en eau ont été privilégiés. Ces mesures ont été mises en complément aux solutions traditionnelles de développement de l’offre en eaux conventionnelles. Le résultat, l’ensemble de ces actions a abouti à la satisfaction des besoins en eau potable de la population et à l’irrigation des parcelles qui ont nécessité un apport d’eau pour les productions agricoles.