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Sahara marocain : l’axe Paris-Rabat, plus stratégique que jamais

Comme pour marquer une nouvelle progression dans le réchauffement des relations entre Paris et Rabat, le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, s’est rendu mardi dernier à Paris où il a été reçu par son homologue français, Stéphane Séjourné, au Quai d’Orsay. Dans un post publié sur X, le chef de la diplomatie française a déclaré, dans le sillage de cette visite, que «la relation entre la France et le Maroc est unique». Au fond, Paris se fait toujours attendre sur une reconnaissance claire de la marocanité du Sahara.

Le bal diplomatique franco-marocain annonce de nouvelles perspectives pour les relations bilatérales entre les deux pays. Avec la visite du chef de la diplomatie marocaine à Paris et les visites récentes ou à venir de ministres français au Maroc, la dynamique de ces relations connaît un nouvel élan. Quant à la question de la reconnaissance de la marocanité du Sahara, une position claire de Paris se fait toujours attendre. Le soutien du Quai d’Orsay aux projets d’investissement dans les provinces du Sud, synonyme de reconnaissance économique, laisse-t-il augurer une reconnaissance politique ?

La reconnaissance de la marocanité du Sahara reste la grande question en suspens

Pour le professeur d’études stratégiques au Collège de défense nationale des Émirats arabes unis à Abou Dhabi, Mohamed Badine El Yattioui, «ce qui est intéressant, ce sont les réactions et les commentaires de la diplomatie française. En revanche, il n’y a eu aucun commentaire ou réaction officielle de la part de Nasser Bourita ou de ses services du ministère des Affaires étrangères concernant son récent déplacement à Paris». Il est intéressant aussi de voir cette dynamique du côté français, avec un certain nombre de ministres qui se sont rendus ou se rendront au Maroc dans les prochaines semaines, notamment le ministre de la Culture, le ministre de l’Agriculture et le ministre de l’Intérieur, ce qui témoigne d’une volonté française de sortir de la froideur qui marque les relations entre Rabat et Paris depuis plus de deux ans, souligne également au «Matin» M. Badine El Yattioui.



«Nous avons eu des annonces intéressantes de la part de Franck Riester, confirmées du côté français avec la volonté de participer au développement économique des provinces du Sud et la volonté d’y investir via Proparco, qui est une filiale de l’Agence française de développement (rattachée au Quai d’Orsay)», indique le professeur d’études stratégiques, ajoutant qu’«on a donc cette volonté d’agents publics et privés de participer au développement du Sahara marocain, ce qui marque une dynamique nouvelle».

En revanche, fait-il observer, «il n’y a rien sur la reconnaissance diplomatique de la marocanité du Sahara par le gouvernement français, ce qui représente la grande question en suspens, puisque d’autres partenaires comme les États-Unis, l’Espagne et d’autres pays européens comme l’Allemagne et la Belgique ont franchi ce pas, sans parler d’Israël, qui a reconnu la marocanité du Sahara en juillet 2023».

Et de poursuivre que «du côté français, on a l’impression qu’il y a une volonté de substituer la participation et la coopération économique dans cette région marocaine à la reconnaissance claire de sa marocanité sur le plan diplomatique dans le cadre de la relation bilatérale, et aussi au-delà au niveau du soutien au Plan d’autonomie aux Nations unies, chose qui serait très importante et très positive pour le Royaume, étant donné que la France est l’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité».

«On a vu que le chef de la diplomatie française, Stéphane Séjourné, a clairement repoussé cette question dans son interview à France 24, en disant que c’était au chef de l’État français, Emmanuel Macron, d’en discuter avec Sa Majesté pour avancer sur ce dossier. Il n’a pas souhaité prendre position», rappelle M. Badine El Yattioui, faisant remarquer que «l’Algérie, principal soutien du Polisario, pourrait avoir une réaction très négative à l’égard de la France et aussi, d’une certaine manière, créer une crise avec Paris, et c’est ce que la France veut éviter».

Et d’affirmer «que les Français veulent avancer avec le Maroc. Ils se rendent compte que le Maroc en général, et les provinces du Sud en particulier, sont en train de se développer avec une prolifération des projets et une volonté de développer tout un tas de secteurs comme les infrastructures ou les énergies (secteur dans lequel la France veut se positionner pour le projet de nucléaire civil marocain pour la production d’électricité ou le dessalement). Il y a une volonté française de ne pas perdre pied au Maroc, car l’Espagne, depuis le changement de sa position concernant le Sahara marocain, a intensifié ses relations économiques, commerciales et ses investissements au Maroc. La France ne veut pas être larguée. On sait aussi que les États-Unis veulent investir dans les provinces du Sud, tout comme les Émirats arabes unis. La France sait que les deux ans de relations diplomatiques froides lui ont fait perdre de l’influence et une capacité à discuter avec les interlocuteurs publics et privés marocains et que cela nuit aussi bien à l’État français en termes d’influence qu’aux entreprises françaises qui ont besoin de ces parts de marché à l’international».

Et le professeur d’études stratégiques de conclure qu’«il y a une dynamique claire du côté français qui vient très certainement du Président Macron, puisque ce sont ses ministres qui interviennent à chaque fois ou qui vont intervenir, et on voit que ce qui est la clé pour le Maroc, à savoir la reconnaissance diplomatique claire de la marocanité du Sahara, se fait attendre. Est-ce que cette reconnaissance se fera dans un second temps ou est-ce qu’il y a une volonté de gagner du temps et de continuer à entretenir cette ambiguïté ? Seul l’avenir nous le dira».

Les relations franco-marocaines entrent dans une phase cruciale

De son côté, le professeur de sciences économiques, sociales et politiques à l’Université Mohammed V de Rabat et ancien économiste chez Bank Al-Maghrib, Dr Talal Cherkaoui, indique au «Matin» que «la relation entre la France et le Maroc est en train d’entrer dans une phase cruciale, marquée par des engagements économiques profonds et des discussions politiques stratégiques». Les investissements français dans les provinces du sud du Maroc ne sont pas seulement des projets de développement, «ils symbolisent une avancée significative vers une reconnaissance implicite de la marocanité du Sahara. Cette implication économique pourrait potentiellement se transformer en un appui politique plus explicite dans les années ou les mois à venir», estime Dr Talal Cherkaoui.

De l’avis du professeur de Sciences économiques, sociales et politiques, «les investissements français dans le Sahara marocain, tels que le projet de ligne haute tension entre Dakhla et Casablanca, sont des indicateurs clairs d’un soutien non seulement économique mais également politique». «Proparco, filiale du groupe Agence française de développement (AFD), spécialisée dans le soutien au secteur privé, ne se contente pas de financer une infrastructure essentielle en participant à ce projet, elle investit dans la stabilité et le développement des provinces du Sud. Ce type d’engagement suggère une reconnaissance de facto de la gouvernance marocaine sur son territoire, précédant souvent les reconnaissances diplomatiques formelles», souligne Dr Talal Cherkaoui.

Par ailleurs, ce rapprochement entre la France et le Maroc suscite des jalousies, et la réaction algérienne aux démarches françaises envers le Maroc révèle une tension accrue, fait remarquer le professeur. «L’Algérie, qui supporte le Polisario, voit dans l’engagement français une menace directe de sa position sur le dossier du Sahara marocain. Les médias algériens, souvent en écho aux positions officielles, ont vivement critiqué la France, interprétant son soutien au développement économique du Sahara marocain comme un soutien politique au Maroc. Cette réaction illustre le rôle que la France joue désormais dans le dossier du Sahara marocain, où son influence pourrait contribuer à redéfinir les alliances et les oppositions régionales», explique-t-il.

Et de dire que les rencontres de haut niveau, comme celle entre Stéphane Séjourné et Nasser Bourita, ne se limitent pas à des discussions politiques superficielles. Elles couvrent des domaines aussi divers que la sécurité, la culture et l’économie, signe d’une relation bilatérale qui se densifie. L’approfondissement de ce dialogue est crucial : il prépare le terrain pour des accords plus formels et pourrait même influencer la politique internationale envers le dossier du Sahara marocain. Le rôle de médiateur que la France semble adopter renforce sa position en tant que puissance influente en Méditerranée et en Afrique du Nord.

Ainsi, poursuit Dr Talal Cherkaoui, si les actions économiques sont souvent les précurseurs des décisions politiques, l’engagement de la France dans le Sahara marocain pourrait bien être le prélude à une reconnaissance officielle de la marocanité du Sahara. Un tel développement serait historique, redéfinissant non seulement les relations franco-marocaines, mais influençant également la dynamique du Maghreb et la politique des puissances mondiales vis-à-vis du dossier du Sahara marocain.

La progression de la France dans la reconnaissance de la marocanité du Sahara, observe le professeur, peut avoir des implications profondes pour la région. «Un soutien européen accru au Maroc dans ce dossier pourrait encourager d’autres nations à reconsidérer leur position, aboutissant potentiellement à une solution plus stable et pacifique pour la région. De plus, cela pourrait renforcer le Maroc dans son rôle de puissance régionale, capable de négocier sur des bases plus solides avec ses voisins et au sein des forums internationaux».

Et Dr Talal Cherkaoui de souligner que «le rapprochement économique et politique entre la France et le Maroc sur la question du Sahara marocain n’est pas juste une série d’accords bilatéraux. C’est l’indicateur d’un changement géopolitique potentiel qui pourrait affecter positivement la stabilité et l’ordre politique de toute la région du Maghreb. La suite des événements dépendra de la manière dont ces engagements seront perçus et gérés tant au niveau régional qu’international, mais une chose est certaine : l’axe Paris-Rabat est plus stratégique que jamais».
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