Alors que le gouvernement essuie des critiques de plus en plus virulentes quant à son bilan,
l’opposition parlementaire envisage de recourir à l’un des instruments les plus redoutables de la Constitution : la
motion de censure. Loin d’être un simple outil symbolique, ce mécanisme permet de remettre en cause la responsabilité de l’Exécutif devant les représentants de la nation. Le
professeur Ahmed Bouz, spécialiste en droit constitutionnel, en décrypte les ressorts juridiques, la portée politique et les enjeux stratégiques.
Une arme constitutionnelle encadrée par l’article 105
La motion de censure est régie par l’article 105 de la
Constitution marocaine. Elle ne peut être introduite qu’avec la signature d’au moins un cinquième des députés de la Chambre des représentants. Une fois déposée, elle doit être débattue dans un délai d’une semaine, puis soumise au vote. Son adoption requiert la majorité absolue, soit au moins 198 voix sur 395. Un tel seuil traduit la gravité de la procédure et en fait un outil exceptionnel.
«Elle permet d’exprimer un désaccord profond et de dénoncer l’échec d’une politique gouvernementale, même si sa réussite demeure peu probable dans un contexte de majorité stable», explique
Ahmed Bouz. Ce mécanisme ne saurait être confondu avec une simple déclaration politique. Il engage la responsabilité de
l’Exécutif et, potentiellement, peut entraîner la chute du gouvernement. Dans ce cadre, il devient un outil fondamental du contrôle parlementaire et un baromètre du
degré de maturité de la démocratie.
Un acte politique plus que délibératif
Avec une majorité composée du RNI, du PAM et de l’Istiqlal, le
gouvernement bénéficie d’une assise parlementaire solide. Face à cela, les partis d’opposition (
MP, USFP, PPS, PJD) peinent à franchir le seuil de 198 voix. La motion devient alors plus un acte politique qu’une réelle tentative de renversement. «Comme dans d’autres systèmes parlementaires, la motion de censure est souvent un
signal politique, un appel à la responsabilité, un avertissement symbolique adressé au gouvernement», souligne M. Bouz. C’est aussi l’occasion pour l’opposition de détailler ses griefs, notamment sur le non-respect du programme gouvernemental, la dégradation des conditions de vie ou encore la gestion opaque de certains dossiers sensibles. Cela permet aussi d’exercer une
pression politique susceptible de provoquer un recalibrage de certaines priorités ou une réorientation de
l’agenda législatif.
Le PJD se mobilise
Dans ce contexte, l’ancien chef du
gouvernement Abdelilah Benkirane a exprimé le soutien de son parti à une motion de censure. Le
secrétariat général du PJD y voit un «exercice politique et démocratique», susceptible de relancer un débat politique jugé stagnant. Le parti dénonce notamment le
recul de la gouvernance, l’absence de concertation, les conflits d’intérêts et les retards dans la réforme de lois essentielles. Une critique est également formulée quant à la gestion des subventions à l’importation de bétail, sujet faisant l’objet d’une
commission d’enquête parlementaire boycottée par la majorité. Ce positionnement du PJD, à la fois critique et constructif, vise à reconquérir un espace politique où il est en perte d’influence, tout en participant au redéploiement d’une opposition plus audible.
Des résonances historiques
Le
professeur Bouz rappelle que la motion de censure a été envisagée ou utilisée à des moments politiques clés au Maroc, notamment en 1960, 1968 et 1992. «Chaque fois, elle a incarné une volonté de rupture avec une situation de blocage, d’essoufflement politique ou de défiance sociale», explique-t-il. En ce sens, la démarche actuelle de l’opposition n’est pas un acte isolé, mais s’inscrit dans une tradition de contestation. Elle témoigne d’un besoin de renouveau et d’un désir de remettre sur la table des questions jugées évacuées du débat politique. Ces
précédents historiques illustrent aussi les difficultés structurelles d’un régime parlementaire en construction, oscillant entre volonté de contrôle et logique de consensus permanent.
Un test de cohésion pour l’opposition
Malgré leur volonté de convergence, les
partis d’opposition souffrent d’un déficit de coordination. «Le succès politique d’une motion de censure repose d’abord sur la capacité des
forces opposées à l’Exécutif à s’entendre sur une lecture commune de la situation et à proposer une alternative crédible», rappelle Ahmed Bouz. Les exemples passés de coalitions fragiles, à l’image du
Bloc démocratique, montrent que sans stratégie unifiée, la
motion pourrait rester sans suite. La motion de censure est donc autant un test de solidité institutionnelle qu’une épreuve de maturité pour l’opposition, qui devra convaincre au-delà des simples postures.
Une interpellation du système
Plus qu’une contestation ponctuelle, la motion de censure renvoie à une crise plus large de la
représentation politique. «L’opposition tente de traduire une insatisfaction populaire croissante, mais aussi de réaffirmer le rôle du
Parlement comme espace de reddition des comptes», affirme M. Bouz. Elle soulève la question de la confiance citoyenne, de la transparence des
politiques publiques et de la capacité du système à se réformer de l’intérieur. La motion devient alors un outil pour raviver un débat démocratique en sommeil, réinterroger les pratiques de gouvernance et poser les jalons d’un
renouvellement du contrat politique.
Une majorité appelée à réagir
Face à ce coup de semonce, le gouvernement est appelé à clarifier ses priorités, à accélérer les réformes visibles et à renouer le dialogue avec la société civile. «Ce n’est pas seulement la stabilité gouvernementale qui est en jeu, mais la crédibilité d’un projet politique à l’horizon 2026», conclut Ahmed Bouz. La motion de censure, qu’elle aboutisse ou non, aura ainsi permis de poser les bases d’un débat essentiel sur la
nature du contrat politique entre gouvernants et gouvernés au Maroc.