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Au cœur du business des cours de soutien scolaire privés

Les cours de soutien scolaire privés, censés être un complément des apprentissages à l’école, semblent prendre du galon ! À cause des grèves répétitives des enseignants, ils sont pour les parents la seule garantie pour permettre à leurs enfants de récupérer les cours perdus. Mais à quel prix, dans quelles conditions, avec quelle méthodologie et pour quelle qualité ? «Lkassa ou mafiha» a mené l’enquête.

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La demande pour les cours de soutien scolaire privés est montée en flèche cette année à cause de la grève des enseignants. Après plus de quatre mois de suspension des classes dans la majorité des établissements d'enseignement publics, les cours ont repris mais avec beaucoup de retard sur le programme scolaire habituel. Les centres privés qui se disent spécialisés dans ce type de prestations le confirment. «C’est une année exceptionnelle. La demande a largement dépassé l’offre pour les cours de soutien scolaire privé», déclare un spécialiste des cours de soutien scolaire privés ayant requis l’anonymat. Il explique que la grève des enseignants a eu des répercussions néfastes sur le déroulement et la qualité des apprentissages en classe et c’est ce qui a poussé les élèves à recourir en masse aux cours privés. D'autant plus qu'à l'approche des examens, cette demande se fait plus pressante et les quelques parents hésitants se retrouvent dans l'obligation de recourir à ces centres pour combler les lacunes.



Ce même constat est également partagé par des parents pour qui cela constitue une charge financière supplémentaire considérable. «La grève des enseignants nous a coûté très cher cette année. Cela me prend presque la moitié de mon salaire. On se prive des vacances et de sorties en famille, mais je n’ai pas le choix», raconte Ahmed, père de trois enfants dont l’aîné est en deuxième année du baccalauréat. Notre témoin est d’ailleurs convaincu que les cours privés restent le seul moyen pour rattraper le temps perdu et se remettre sur les rails. «Nos enfants n’ont rien appris à l’école cette année. Les cours de rattrapage fixés par le ministère de l’Éducation nationale ne sont pas suffisants pour rectifier le tir, d’où l’intérêt du privé». Cette croyance semble d’ailleurs régner dans notre société. Il suffit de se rendre sur les groupes Facebook des parents d’élèves pour constater à quel point ce phénomène prend de l’ampleur, alourdissant le fardeau des familles qui se voient obligées de payer des prix hors normes.

Prix, qualité, conditions d’apprentissage... difficile de se procurer l’information

Les organismes spécialisés dans les cours de soutien que nous avons contactés ont refusé de nous accorder une déclaration sur le sujet. Nous nous sommes donc fait passer pour des parents qui cherchent un professeur pour leurs enfants. Une jeune fille, très connue sur les réseaux sociaux, nous a donné rendez-vous dans un café dans un quartier populaire où elle a l’habitude de rencontrer ses élèves. Pour vous rapprocher davantage du phénomène, nous avons utilisé la technique de la caméra cachée.



La jeune fille est titulaire d'une licence en mathématiques et cela fait des années qu’elle dispense des cours particuliers aux enfants dans toutes les matières et pour tous les niveaux. En arrivant à l’adresse indiquée, la jeune fille n’était pas seule. Elle donnait déjà cours à trois enfants qui n’ont visiblement pas le même âge. Eh oui ! L’expression «le temps c’est de l’argent» semble fonctionner à merveille chez les spécialistes dans les cours de soutien. D’ailleurs, elle nous a fait comprendre qu’elle n’avait pas le temps à perdre et qu’elle refuse toute négociation sur ses tarifs : 300 DH par séance pour l’élève en troisième année du collège et 500 DH pour celui en deuxième année du baccalauréat. La séance ne dépasse pas une heure et demie et elle est assurée en petit-groupes. Pour les cours à domicile, elle demande 800 DH par séance sous prétexte que cela demande plus d’efforts. D’après la jeune fille, les prix ont augmenté cette année à cause de la grève des enseignants. «Les enfants n’ont rien appris à l’école et nous sommes obligés de faire plus d’efforts avec eux. En tout cas, c’est à prendre ou à laisser !», souligne-t-elle d’un ton très fort. Nous nous sommes dirigés par la suite vers un lycée public où nous avons rencontré des élèves très en colère à cause de ce sujet. «Mes parents n’ont pas les moyens pour payer les frais des cours de soutien privés. Je suis conscient de la situation, mais c’est ma dernière chance pour réussir l’année», crie haut et fort un lycéen soutenu par ses collègues.

Entre 300 et 800 DH par heure, c’est trop pour les parents !

«Les cours de soutien scolaire sont un investissement qui pèse lourd dans les budgets des familles», note le président de la Fédération nationale des associations des parents d’élèves du Maroc, Noureddine Akkouri. L’enquête menée par «Lkessa ou mafiha» auprès des organismes de soutien scolaire privés, des élèves et des parents nous a permis de comprendre qu’il existe deux types de cours de soutien privés : les cours dispensés en groupes avec des tarifs variant entre 300 et 1.500 DH par mois. Ce tarif comprend entre deux et trois séances. Les cours en tête à tête ou en petits groupes sont plus chers puisqu’ils sont plus personnalisés. Les parents sont obligés de payer entre 300 et 800 DH par séance. Choquant ! D’après les spécialistes que nous avons rencontrés, les prix ont augmenté cette année et ceci s’explique par la loi de l’offre et de la demande. Il faut aussi souligner que dans ce marché, chacun fixe ses propres tarifs, mais en général, il existe trois facteurs clés qui sont pris en compte par celui qui donne les cours : d’abord, la matière enseignée, car des matières comme les mathématiques ou la physique-chimie demandent plus d’efforts en termes d’explication et, par conséquent, restent plus chers. Ensuite, le niveau scolaire de l’élève. À titre d’exemple, un élève en deuxième année du baccalauréat va payer plus qu’un élève en première année du collège. Et enfin, la zone géographique, les prix dans les quartiers populaires sont relativement moins chers que ceux dispensés dans les quartiers des «bourgeois». Pour cette enquête, nous nous sommes focalisés sur la situation pour la classe moyenne qui représente la plus grande tranche de la société. Certes, les prix dévoilés peuvent ne pas être les mêmes, mais c’est la moyenne au niveau de Casablanca où nous avons mené l’enquête. Certains estiment que c’est de l’arnaque ! C’est le cas de Mohamed Chahine, professeur, chercheur en éducation et acteur syndical. Ce dernier regrette, en effet, une telle pratique qui ne prend pas en considération les contraintes des parents. Il tient, toutefois, à attirer l’attention sur le fait que ce phénomène ne date pas d’hier et qu’il reflète beaucoup de réalités et à leur tête le rapport de défiance qui a été développé par les parents avec l’école. «Les parents sont soucieux de l’avenir de leurs enfants, mais ils ne font plus confiance dans l’école publique, raison pour laquelle ils se dirigent, coûte que coûte, vers le soutien en privé», précise-t-il. Sur ce volet, Noureddine Akkouri précise que les élèves ne peuvent plus s’empêcher des cours payants. «Le ministère de l’Éducation nationale a renforcé le soutien scolaire, mais les élèves n’y adhèrent pas. Ils recourent au privé en poussant leurs parents à payer des sommes importantes même s’ils n’ont pas les moyens», précise-t-il. Et d’ajouter que les cours de soutien payants sont devenus comme un cancer dans le sang de l’élève. De son côté, Mustapha El Bouzidi, enseignant et père d’un enfant, estime que les cours de soutien doivent être un renfort et non pas un enseignement de base. «On remarque de plus en plus que les parents délèguent l’accompagnement de leurs enfants dès le petit âge aux organismes de cours de soutien, ce qui est alarmant», note-t-il. Et de noter que le recours à ce type de prestation ne doit avoir lieu que si l’enfant en a réellement besoin. Ceci suppose, insiste-t-il, que d’une part, les parents jouent leur rôle dans l’écoute et l’accompagnement de l’enfant et d’autre part, que ce dernier prenne le temps de faire l’effort lui-même avant de demander de renfort. Mustapha El Bouzidi alerte aussi sur la pression que subissent les enfants. «Passer 8 heures de cours par jour à l’école puis deux heurs le soir, c’est épuisant pour l’enfant», avertit notre interlocuteur.

Cours de soutien payants : plus d’inconvénients que d’avantages ?

Les experts que nous avons interrogés sont convaincus que les cours privés, tels qu’ils se présentent aujourd’hui, ont plus d’inconvénients que d’avantages notamment par rapport au prix, aux conditions et au niveau des encadrants. «Dans certains cas, les cours sont dispensés dans des milieux non éducatifs comme les cafés et les garages ou encore les toits des maisons ne prenant pas en considération les besoins de l’élève d’apprendre dans un environnement sain», note M. Chahine. De même, ajoute-t-il, la méthode adoptée laisse à désirer puisque dans la majorité des cas, les personnes qui donnent les cours de soutien ne sont pas des spécialistes de l’enseignement et non forcément les compétences pour accompagner les élèves. M. Akkouri confirme ce constat. «La méthode appliquée dans ces certains centres consiste à pousser l’élève à répéter les exercices plusieurs fois au point de les apprendre par cœur», détaille-t-il tout en précisant que cette méthode ne permet pas à l’élève de développer ses compétences d’analyse. Interrogés sur les solutions, nos interlocuteurs appellent à la réglementation et au contrôle permanent de manière à garantir le droit aux élèves à avoir un vrai soutien scolaire de qualité pour une montée en compétences sans ruiner les parents.
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