Le Matin : Quelles étaient les ambitions de cette 4e édition des CoDays ?
Dr Mounir Bachouchi : Cette 4e édition visait à franchir un cap. Nous voulions dépasser le cadre purement scientifique pour ouvrir un espace de dialogue sur les pratiques, les arbitrages et, surtout, sur l’humanisation des soins en cancérologie. L’objectif était double : proposer un contenu scientifique rigoureux et à jour, tout en créant une dynamique de réflexion collective autour des parcours de soins, de l’accessibilité et de la qualité de vie du patient. Il s’agissait de placer le patient non plus au bout de la chaîne, mais au centre du processus thérapeutique.
Pourquoi avoir choisi d’aborder le thème «Les soins en cancérologie : entre médecine de précision et médecine intégrative» ?
Parce que c’est une tension fertile, qui traverse aujourd’hui toute la cancérologie contemporaine. D’un côté, nous disposons d’outils de plus en plus puissants pour cibler, modéliser et anticiper. De l’autre, les patients expriment une exigence croissante pour une prise en charge plus globale, plus humaine. Ce thème nous permettait de mettre en lumière cette nécessaire articulation entre deux logiques qui, loin de s’opposer, doivent s’enrichir mutuellement pour construire une médecine plus juste, plus personnalisée et plus durable.
En quoi ces deux approches – la précision scientifique et la médecine intégrative – peuvent-elles se compléter ?
La médecine de précision nous aide à mieux comprendre la maladie et à cibler les mécanismes biologiques avec une grande finesse. Mais elle ne dit rien, ou très peu, du vécu du patient. C’est là qu’intervient la médecine intégrative : elle replace l’individu dans sa globalité, en tenant compte de ses émotions, de son environnement et de sa capacité à supporter les traitements. En combinant les deux, on obtient un soin plus intelligent, plus ajusté, qui vise non seulement à traiter le cancer, mais aussi à préserver l’équilibre de la personne qui le combat.
Comment percevez-vous l’évolution de la cancérologie au Maroc ces dernières années ?
L’évolution de la cancérologie au Maroc est indéniablement dynamique. Nous avons assisté à une montée en compétence des équipes médicales, à un meilleur maillage territorial et à une adoption croissante des technologies les plus avancées. Cela dit, des disparités subsistent, notamment en matière d’accès équitable aux traitements innovants. Le défi, aujourd’hui, n’est plus seulement technique : il est organisationnel, structurel et humain. Il nous faut penser un système capable d’absorber l’innovation sans creuser les écarts entre les patients ni saturer les professionnels.
La médecine de précision est-elle, aujourd’hui, réellement accessible à tous les patients au Maroc ?
Pas encore, et c’est une réalité que nous devons regarder en face. Certains examens génétiques, certaines molécules ciblées ou certaines modalités thérapeutiques sont encore réservés à des segments restreints de patients. Il y a une vraie réflexion à avoir sur le financement, l’évaluation médico-économique et la structuration des filières de recours. Mais ce que nous avons constaté, c’est une volonté partagée d’aller dans le bon sens, à travers une meilleure mutualisation des ressources, un accompagnement réglementaire et une montée en puissance des expertises locales.
Quelle place accordez-vous à l’innovation et à la prévention dans la lutte contre le cancer ?
L’innovation et la prévention sont indissociables. L’innovation permet de traiter mieux, plus tôt et avec moins d’effets indésirables. Mais la prévention reste notre levier le plus puissant. Agir sur les facteurs de risque, éduquer, sensibiliser, généraliser le dépistage, c’est éviter des parcours lourds et coûteux : un dirham investi dans la prévention équivaut à quatre dirhams économisés dans les soins futurs ! Il ne faut pas penser l’innovation uniquement comme une prouesse technique ou médicamenteuse. C’est aussi repenser les trajectoires de soins, anticiper, personnaliser les suivis et faire en sorte que le patient ne soit jamais seul face à la complexité du système.
