Le Matin : Qu’est-ce que le burn-out et en quoi diffère-t-il d’une dépression ?
Sahar Hadri : Le burn-out est un état d’épuisement physique, émotionnel et mental causé par une exposition prolongée à un stress professionnel intense. Il se manifeste par une fatigue extrême, une perte de motivation et un sentiment d’inefficacité au travail. Contrairement à la dépression, qui peut toucher tous les aspects de la vie et avoir des origines multiples (facteurs biologiques, génétiques, personnels), le burn-out est spécifiquement lié au contexte professionnel.
Un point clé : si le burn-out peut mener à une dépression lorsqu’il n’est pas pris en charge, il reste réversible en s’attaquant aux causes professionnelles du stress et en instaurant un équilibre de vie plus sain.
Quels sont les principaux facteurs favorisant le burn-out en entreprise ?
Le burn-out est souvent le résultat d’une accumulation de stress et d’une pression prolongée au travail. Plusieurs éléments peuvent le favoriser, notamment une surcharge de travail avec des objectifs irréalistes, un manque d’autonomie ou de reconnaissance, ainsi qu’un climat de travail toxique marqué par des relations conflictuelles. La pression constante à la performance et l’absence de frontières claires entre vie professionnelle et personnelle, notamment avec le développement du télétravail, sont également des facteurs aggravants.
Au Maroc, ces risques sont particulièrement présents dans les secteurs très exigeants comme la finance et l’industrie. J’ai pu observer, en tant que psychologue du travail, des cadres supérieurs confrontés à une pression intense, jonglant entre des impératifs financiers et des délais serrés, ce qui les conduit souvent à l’épuisement. Dans certains environnements, la culture du «toujours plus» pousse les salariés à ignorer les signaux d’alerte jusqu’à ce que le burn-out soit inévitable.
Quels sont les signes avant-coureurs du burn-out ?
Les premiers signes du burn-out sont souvent subtils et peuvent être confondus avec une simple fatigue passagère. Parmi eux, une fatigue persistante qui ne disparaît pas malgré le repos, une irritabilité accrue, une perte de motivation et des difficultés de concentration. Certains développent aussi des troubles du sommeil et un sentiment de détachement vis-à-vis de leur travail, qui peut se traduire par du cynisme ou une impression de vide.
J’ai accompagné plusieurs professionnels qui, au départ, mettaient ces symptômes sur le compte d’une charge de travail temporaire. Mais avec le temps, leur état s’aggravait, les empêchant de fonctionner normalement. Plus le burn-out est détecté tôt, plus il est facile d’agir pour éviter des conséquences lourdes.
Certains secteurs sont-ils plus touchés que d’autres ?
Certains domaines sont particulièrement touchés par le burn-out. Dans le secteur de la santé, par exemple, les médecins, infirmiers et autres professionnels de santé font face à une charge de travail intense, des horaires irréguliers et une pression émotionnelle forte. Les hôpitaux publics, en particulier, souffrent d’un sous-effectif chronique et de conditions de travail difficiles, ce qui accentue le risque d’épuisement professionnel.
Les travailleurs du secteur industriel, notamment dans le textile, sont soumis à des cadences de production élevées et à une forte pression pour respecter des délais serrés. Dans la grande distribution, les employés doivent gérer des horaires décalés, des objectifs de vente ambitieux et parfois un climat de travail tendu
Dans les secteurs de la finance, de l’assurance et du conseil, les exigences de performance et les rythmes de travail soutenus peuvent représenter un défi pour les collaborateurs. L'engagement nécessaire pour atteindre des objectifs ambitieux et répondre aux attentes des clients implique souvent une forte mobilisation. Afin de préserver la motivation et l’efficacité des équipes sur le long terme, il est essentiel de mettre en place des dispositifs favorisant l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle et la gestion du stress.
Les jeunes travailleurs sont-ils plus vulnérables au burn-out ?
Les jeunes actifs sont particulièrement exposés au burn-out, notamment parce qu’ils ressentent une forte pression pour faire leurs preuves. Beaucoup acceptent des charges de travail excessives par peur de paraître incompétents ou par crainte de l’instabilité du marché de l’emploi. Leur manque d’expérience en gestion du stress peut également jouer en leur défaveur.
Dans mes consultations, j’ai rencontré de nombreux jeunes diplômés évoluant dans des environnements très compétitifs. Certains finissent par s’épuiser, tandis que d’autres développent des formes de mal-être professionnel comme le bore-out (l’ennui extrême au travail) ou le brown-out (une perte de sens et de motivation). Ces phénomènes, bien que moins visibles que le burn-out, peuvent mener à une profonde détresse psychologique.
Quelles peuvent être les conséquences d’un burn-out ?
Un burn-out non pris en charge peut avoir de graves répercussions. Sur le plan physique, il se traduit par une fatigue chronique, des douleurs musculaires et parfois des troubles cardiovasculaires. Sur le plan psychologique, il peut entraîner de l’anxiété, une dépression et une perte de confiance en soi. Enfin, il a un impact majeur sur la vie sociale et personnelle : isolement, tensions familiales et difficulté à retrouver un équilibre.
J’ai accompagné des salariés qui, après un burn-out, avaient du mal à se réinsérer professionnellement. Certains hésitent à reprendre le travail par peur de revivre la même situation, tandis que d’autres développent un sentiment d’échec. C’est pourquoi il est crucial d’agir en amont, avant que l’épuisement ne devienne irrémédiable.
Comment prévenir efficacement le burn-out en entreprise ?
La prévention du burn-out repose sur plusieurs niveaux d’action. À titre individuel, il est essentiel d’apprendre à reconnaître ses limites, de pratiquer la déconnexion numérique et de s’accorder des moments de récupération, que ce soit à travers le sport, les loisirs ou la relaxation.
Du côté des managers, il est important de valoriser le travail accompli, d’instaurer une culture du feed-back et d’encourager un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Enfin, les entreprises ont un rôle clé à jouer en mettant en place des dispositifs d’écoute, des formations à la gestion du stress et des aménagements adaptés, comme des horaires flexibles ou un télétravail encadré.
Certaines entreprises marocaines commencent à intégrer des mesures de bien-être au travail, mais il reste encore du chemin à parcourir. Lors de mes interventions en entreprise, j’ai pu observer le fait que les initiatives les plus efficaces sont celles qui impliquent une véritable transformation de la culture managériale. Ce n’est qu’en reconnaissant le burn-out comme un risque réel et en agissant en amont que l’on pourra protéger durablement les travailleurs.
