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Stress au travail au Maroc : facteurs, signes, conséquences et solutions

Le stress au travail est devenu une réalité quotidienne pour de nombreux Marocains, exacerbée par les exigences croissantes et le manque de soutien dans certains environnements professionnels. Dans cet entretien, Sahar Hadri, psychologue du travail et psychothérapeute, spécialisée en thérapies cognitives et comportementales et thérapie des schémas, décrypte les causes et conséquences de ce phénomène et propose des solutions pour mieux y faire face.

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Le Matin : Quels sont les facteurs les plus fréquents de stress au travail ?

Sahar Hadri :
Face à la montée des risques psychosociaux (RPS) dans le monde du travail, le rapport du Collège d’expertise présidé par Michel Gollac a identifié six grandes familles de facteurs de stress. Ces catégories regroupent les causes principales des tensions que rencontrent les travailleurs, mettant en lumière des aspects parfois invisibles, mais cruciaux pour la santé mentale et physique. Il s’agit de l’intensité et du rythme de travail, les exigences émotionnelles, le manque d’autonomie, la dégradation des relations sociales au travail, les conflits de valeurs et l’insécurité de l’emploi.

Au Maroc, les facteurs de stress les plus présents incluent souvent la surcharge de travail, en particulier dans des secteurs en forte croissance où les employés doivent constamment s’adapter aux exigences du marché, et l’instabilité de l’emploi, un souci récurrent en raison de l’évolution économique et des restructurations fréquentes. Le manque de soutien managérial est également courant, surtout dans les structures où les pratiques de gestion modernes peinent encore à se généraliser, ce qui laisse de nombreux employés sans accompagnement adéquat dans la gestion de leurs tâches et de leur bien-être.



Comment le marché de l’emploi marocain contribue-t-il à l’augmentation du stress au travail ?

Plusieurs facteurs structurels et culturels amplifient le stress au travail au Maroc impactant tant la santé des travailleurs que leur productivité. En raison du taux de chômage élevé, beaucoup acceptent des conditions précaires pour rester employés. Cet environnement de forte compétition est propice au développement de l’anxiété et du stress, d’autant plus que les attentes de performance sont élevées, souvent sans ressources suffisantes pour y répondre. Aussi, les entreprises, en particulier les PME, fonctionnent avec des ressources limitées, ce qui entraîne souvent une surcharge de travail pour les employés. Les conditions de sécurité et de confort ne sont pas toujours optimales, et les espaces de repos ou d’accompagnement psychologique restent rares, créant un environnement peu propice au bien-être.

D’un autre côté, il ne faut pas oublier non plus que l’équilibre entre la vie professionnelle et personnelle est souvent compromis. Les longues heures, l’accessibilité permanente intensifiée par les outils numériques, alourdissent le quotidien des travailleurs, ce qui rend difficile la gestion des obligations familiales.

Enfin, les pratiques de reconnaissance qui restent limitées dans de nombreuses entreprises marocaines, accentuant le sentiment d’épuisement professionnel. Cette absence de valorisation alimente un stress chronique qui pousse certains à un surinvestissement, tandis que d’autres perdent progressivement leur motivation.



Quels signes avant-coureurs de stress chronique devraient alerter les employés et leurs managers au Maroc ?

Les signes avant-coureurs de stress chronique chez les employés peuvent varier, et certains indicateurs clés méritent l’attention des employés et des managers au Maroc. Bien que les manifestations du stress soient similaires dans le monde entier, certaines spécificités culturelles et contextuelles peuvent influencer la façon dont il se manifeste et est perçu au Maroc.

Tout d’abord, les changements émotionnels peuvent être révélateurs. Une irritabilité accrue ou des sautes d’humeur fréquentes peuvent signaler un stress excessif. Les employés peuvent ressentir des émotions négatives, telles que l’anxiété ou la tristesse persistante, accompagnées d’un sentiment de débordement ou d’impuissance face aux exigences du travail. Au Maroc, où les normes culturelles valorisent souvent la résilience et la gestion des émotions, ces signes peuvent parfois être minimisés ou mal interprétés.

Par ailleurs, des problèmes de concentration et de mémoire peuvent également apparaître. Les employés peuvent éprouver des difficultés à se concentrer, à prendre des décisions ou à se souvenir des tâches à accomplir, ce qui se traduit souvent par une baisse de la productivité et une qualité de travail déclinante.

Les symptômes physiques ne doivent pas non plus être négligés. Un épuisement constant, des maux de tête fréquents, des douleurs musculaires ou encore des troubles gastro-intestinaux peuvent être des manifestations du stress. De plus, des changements dans l’appétit, qu’il s’agisse d’une augmentation ou d’une diminution, ainsi que des troubles du sommeil, sont des signes à surveiller, surtout dans un contexte où la vie quotidienne est déjà stressante. Un changement de comportement peut également indiquer un stress chronique. Les employés peuvent s’isoler socialement, se retirer de leurs collègues ou montrer une augmentation de la consommation d’alcool, de tabac ou d’autres substances. Une augmentation des absences au travail ou des retards répétés peut aussi être révélatrice, particulièrement dans un environnement où le respect des horaires est valorisé.

La baisse de performance est un autre indicateur important. Une diminution de la qualité du travail et des retards fréquents dans l’accomplissement des tâches ou des projets peuvent indiquer que l’employé est submergé par le stress. Au Maroc, où le marché du travail est souvent compétitif, ces signes peuvent également générer des craintes de stigmatisation ou de jugement.

Enfin, le sentiment de déconnexion est à prendre en compte. Les employés peuvent ressentir un manque d’engagement ou de motivation, se sentant comme s’ils n’avaient pas d’impact ou de valeur au sein de leur équipe.

Quelles sont les conséquences les plus courantes du stress au travail sur la santé mentale des employés marocains ?

Le stress au travail peut avoir des conséquences significatives sur la santé mentale des employés marocains, impactant à la fois leur bien-être personnel et la dynamique des organisations. Parmi les effets les plus courants, on retrouve l’anxiété et la dépression. Le stress chronique peut engendrer des troubles anxieux, caractérisés par une inquiétude persistante et des symptômes physiques tels que des palpitations ou des tensions musculaires. Parallèlement, la dépression peut se manifester par une perte d’intérêt pour le travail, des sentiments de désespoir et des difficultés à accomplir les tâches quotidiennes.

Un autre effet notable du stress au travail est l’épuisement professionnel, ou burn-out. Cela se traduit souvent par une diminution de l’engagement, une réduction de la productivité et un sentiment d’accomplissement insuffisant. De plus, le stress peut perturber le sommeil, entraînant des insomnies, des réveils fréquents ou des nuits agitées, ce qui affecte encore plus la performance au travail.

Les problèmes relationnels sont une autre conséquence du stress au travail. Les tensions entre collègues peuvent augmenter, affectant la dynamique de l’équipe et rendant la collaboration plus difficile.

Est-ce que vous notez dans votre travail des augmentations dans des troubles comme l’anxiété, la dépression ou les burn-out ?

J’observe effectivement une augmentation préoccupante de troubles liés à la santé mentale, notamment l’anxiété, la dépression et les cas de burn-out. Ce phénomène est multifactoriel : les pressions économiques, l’instabilité du marché de l’emploi, et l’accroissement des exigences en milieu professionnel créent un climat propice à l’émergence de ces troubles.

Il est à noter que la pandémie a accentué la pression financière sur les entreprises qui ont cherché à rattraper leur retard ou leur manque à gagner sans investir davantage, ce qui a impliqué une pression supérieure pour les collaborateurs. Au Maroc, ces troubles sont parfois sous-estimés ou stigmatisés, ce qui limite l’accès aux soins et retarde la prise en charge.

Trouvez-vous que les jeunes diplômés marocains sont préparés à gérer le stress en entrant dans le monde du travail ?

Dans l’ensemble, bien que les jeunes diplômés marocains possèdent des compétences académiques, ils ne sont pas toujours bien préparés à gérer le stress en entrant sur le marché du travail. Il est essentiel que les établissements d’enseignement supérieur intègrent des formations sur la gestion du stress et le développement des compétences psychosociales dans leurs programmes pour mieux préparer les étudiants à cette transition cruciale. De plus, le soutien des employeurs et des structures de mentorat peut jouer un rôle clé dans l’aide à ces jeunes professionnels pour naviguer dans les défis du monde du travail.

Pensez-vous que les entreprises marocaines soient suffisamment conscientes des enjeux liés au stress professionnel ?

Le stress au travail a des conséquences significatives sur la productivité des entreprises marocaines. Les environnements de travail stressants peuvent également entraîner un turnover important, ce qui génère des coûts liés au recrutement et à la formation des nouveaux employés. Ce phénomène affecte la cohésion des équipes et peut réduire l’engagement des employés, qui, en conséquence, se désinvestissent de leurs tâches.

En ce qui concerne la prise de conscience des entreprises marocaines face aux enjeux du stress professionnel, on observe une sensibilisation croissante, surtout dans les grandes entreprises et les secteurs compétitifs. Cependant, cette prise de conscience reste inégale, car de nombreuses petites et moyennes entreprises ne sont pas encore pleinement engagées dans la gestion du stress au travail.

Bien que certaines initiatives, comme des formations sur la gestion du stress et des programmes de bien-être, commencent à émerger, elles manquent souvent d’une approche systémique intégrée dans la culture organisationnelle. Cela souligne un besoin d’éducation et de formation, car les dirigeants et les managers doivent apprendre à reconnaître les signes de stress chez leurs employés et à mettre en place des mesures appropriées pour y remédier. En somme, bien que des progrès aient été réalisés, il reste encore beaucoup à faire pour que la gestion du stress devienne une priorité au sein des entreprises marocaines.

Le cadre législatif marocain prend-il en compte les risques psychosociaux au travail ?

Le cadre législatif marocain reconnaît les droits fondamentaux en matière de conditions de travail, mais il reste assez limité lorsqu’il s’agit de risques psychosociaux. Le Code du travail marocain encadre principalement la sécurité physique des travailleurs, la durée de travail, les congés, et les droits fondamentaux au sein de l’entreprise.

Toutefois, il n’existe pas encore de disposition spécifique visant directement les risques psychosociaux, tels que le stress, le harcèlement moral ou l’épuisement professionnel.

Bien que le harcèlement moral soit mentionné dans le Code du travail (article 40), la loi ne précise pas de mesures concrètes pour la prévention et la gestion des autres risques psychosociaux, comme le stress chronique lié à la surcharge de travail ou l’épuisement professionnel. En l’absence de directives nationales spécifiques, certaines entreprises tentent d’implémenter des politiques internes pour soutenir le bien-être psychologique, mais ces initiatives restent disparates et souvent limitées.

En revanche, au niveau international, des organismes comme l’Organisation internationale du travail (OIT) préconisent la prise en compte des RPS dans les réglementations nationales pour garantir la santé mentale des travailleurs. Ainsi, la réglementation marocaine pourrait bénéficier de l’intégration de normes internationales et de la mise en place de mécanismes de prévention des RPS dans ses politiques de santé au travail, pour mieux protéger les travailleurs et promouvoir un environnement professionnel plus sain.

Enfin quels conseils donneriez-vous aux travailleurs marocains pour mieux gérer leur stress au quotidien et pour les entreprises pour préserver la santé mentale de leurs employés ?

Je recommande aux travailleurs marocains de prendre des mesures concrètes pour réduire et mieux gérer leur stress au quotidien. Il est prouvé que des pauses régulières permettent de recharger mentalement et de maintenir un niveau de concentration optimal. Il faut aussi préserver un équilibre vie professionnelle/vie personnelle, surtout en télétravail, où les frontières peuvent facilement s’estomper. Les techniques de relaxation, comme la méditation ou le sport, jouent un rôle fondamental pour atténuer le stress en renforçant le bien-être global, de même que le partage de ses préoccupations avec des collègues ou des proches, qui apporte un soutien émotionnel précieux. Une planification intelligente, avec des priorités bien définies, aide également les employés à maîtriser leur charge de travail sans se sentir dépassés.

Pour les entreprises marocaines, la prise en compte des enjeux de santé mentale est un levier stratégique, non seulement pour le bien-être de leurs employés, mais aussi pour leur productivité, mais aussi pour renforcer l’attractivité de la marque employeur. Il faut instaurer une culture d’écoute et de bienveillance en adoptant des actions concrètes telles que la mise en place de programmes de soutien psychologique, incluant des sessions de partage avec des professionnels de la santé mentale, qui aident les employés à gérer leur stress et les tensions professionnelles. Il faut aussi encourager une bonne hygiène de vie professionnelle, avec des horaires raisonnables et des temps de déconnexion respectés, sans oublier de valoriser l’engagement et les efforts des employés, plutôt que de se concentrer uniquement sur les résultats. Les entreprises doivent aussi former leurs managers pour qu’ils soient capables d’identifier les risques psychosociaux et d’intervenir de manière constructive. n
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