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L’étonnante résilience des cultivateurs des pastèques à Zagora face à la sécheresse

Le changement climatique et son corollaire, le stress hydrique, frappent de plein fouet le secteur agricole au Maroc. L’exemple de la culture de la pastèque dans la province de Zagora est très significatif à cet égard. Face à la raréfaction des ressources en eau, cette culture est soumise à rude épreuve. Entre l’impératif de préserver les nappes phréatiques et la nécessité de maintenir cette activité primordiale pour l’économie locale, il est difficile de trouver le juste équilibre. Pour y voir plus clair et comprendre comment les agriculteurs et les autorités locales parviennent à gérer cette situation, «Le Matin» s’est rendu dans cette région. À Douar El Faija, nous avons pu rencontrer les habitants et leurs représentants pour essayer de répondre à nombre de questions : comment vivent-ils cette réduction drastique des ressources hydriques allouées à leurs cultures ? Comment font-ils pour compenser cette baisse et gérer ses conséquences ? Comment se présente l’avenir de la culture de la pastèque ? Les informations que nous avons pu recueillir montrent une incroyable résilience et une volonté farouche de faire face aux défis imposés par le changement climatique.

Dans le village de Douar El Faija, au cœur de la province de Zagora, Saïd, agriculteur depuis des années, vit de la culture de la pastèque. Jadis, il cultivait jusqu’à 10 hectares de ce fruit juteux et fort prisé partout au Maroc, et même à l’étranger, pour sa qualité. Mais aujourd’hui, il ne peut consacrer plus d’un seul hectare à son activité. Cette réduction drastique est le résultat d’une décision du gouverneur de la province visant à rationaliser l’utilisation des ressources hydriques dans cette zone en proie à une sécheresse endémique qui s’est accentuée ces dernières années.

Les autorités locales, conformément aux orientations du gouvernement, ont été enjointes de prendre des mesures draconiennes pour limiter le recours immodéré à l’irrigation dans le but de protéger les nappes phréatiques. Cette limitation a été perçue comme une contrainte par beaucoup d’agriculteurs, qui ont fini par l’accepter, étant donné qu’elle vise à préserver l’équilibre écologique de la région qui repose sur des ressources en eau peu abondantes. Pour Saïd, comme pour d’autres agriculteurs de la région, cette décision est certes un obstacle pour le développement de leur culture, mais elle est nécessaire pour une gestion durable qui préserve les droits des générations futures.

«Cela marque un tournant dans notre manière d’exercer cette activité. Nous n’avons pas le choix !», confie Youssef, cultivateur de pastèque lui aussi, tout en soulignant que bien que la décision soit difficile, elle est compréhensible. «Limiter le recours aux nappes souterraines permettra de protéger nos ressources, et sur le long terme c’est bénéfique pour notre pays et pour les générations à venir». Le témoignage de Youssef reflète non pas une résignation face à la décision de l’autorité locale, mais une prise de conscience d’une nouvelle réalité : un stress hydrique qui s’accentue d’année en années et qui oblige les agriculteurs à s’adapter pour préserver leurs ressources en eau et, partant, leur activité agricole.



Une reconversion nécessaire mais salutaire C’est pourquoi la décision du gouverneur de la province, en dépit de son impact sur les superficies irriguées, a été accueillie avec beaucoup de lucidité. Et dès lors, les agriculteurs ont commencé à chercher des alternatives. À l’instar de Saïd et Youssef, plusieurs exploitants ont décidé de diversifier leurs cultures pour compenser les pertes économiques causées par la réduction de la surface cultivée en pastèques. Luzerne, henné, haricots... autant de nouvelles cultures ont fait leur apparition, offrant des sources de revenus supplémentaires tout en permettant aux exploitations de mieux s’adapter aux contraintes climatiques. Ce changement de cap a été rendu possible grâce à l’état d’esprit positif qui a toujours animé les habitants de la région, mais aussi à leur souplesse et leur capacité de s’adapter aux nouvelles circonstances. «Les agriculteurs ont toujours cherché à diversifier leurs sources de revenus, en intégrant d’autres cultures ou des activités comme l’élevage», explique Mohammed Mnasfi, président de la Fédération des associations des utilisateurs de l’eau à usage agricole. «Cette flexibilité est essentielle pour la survie et pour le maintien de l’activité dans des zones comme Zagora où l’environnement est parfois peu clément», explique-t-il.

Pastèque : le coupable idéal ?

Mais si la décision d’imposer un usage modéré de l’eau a été acceptée comme nécessaire pour la durabilité de la ressource dans région, elle a ouvert un autre débat : la culture de la pastèque est-elle aussi gourmande en eau qu’on le dit ? Car si beaucoup d’associations présentent cette culture comme étant grande consommatrice d’eau, certains experts tiennent à nuancer cette idée. C’est le cas de Mohamed Mnasfi, qui estime que «contrairement aux idées reçues, ce n’est pas vrai. Ce fruit ne consomme pas autant d’eau qu’on le prétend». Selon lui, les pastèques ne sont pas les principales responsables de la surexploitation des nappes phréatiques. En se basant sur des études techniques, il démontre qu’il faut environ 100 litres d’eau pour produire un kilo de pastèque, alors qu’un kilo de luzerne nécessite 200 litres, et un kilo de henné, 500 litres. Même les dattes, culture phare de la région, nécessitent 1.500 litres d’eau par kilo, car les palmiers doivent être irrigués tout au long de l’année. Ces chiffres, s’ils devaient être avérés, battraient en brèche l’idée selon laquelle la pastèque serait la principale responsable de l’exploitation abusive de l’eau dans la région. Quoi qu’il en soit, la décision restera en vigueur et, de toutes façons, la rationalisation des ressources ne peut être que bénéfique pour la collectivité. D’autant plus que depuis la mise en place des nouvelles restrictions, tous les puits et forages sont désormais équipés de compteurs d’eau, permettant à la commission locale de suivre la consommation et d’ajuster les quotas si nécessaire. L’exploitation rationnelle de l’eau n’est plus un luxe. C’est un impératif dicté par le changement climatique et la nécessité de développer des cultures durables. L’enjeu est de taille.

Un équilibre fragile à préserver

Malgré cet effort d’adaptation et les sacrifices consentis par les agriculteurs, de voix s’élèvent pour demander une interdiction totale de la culture de la pastèque. C’est le cas de certaines associations qui estiment que l’équilibre écologiques est si fragile qu’il faut prendre des décisions sans compromis. Sauf que des solutions aussi radicales signifieraient la disparition d’une culture historique et essentielle pour l’économie de la région. Ce débat sur l’avenir de la pastèque et la place de cette culture dans l’économie locale était impensable il y a quelques années de cela. Aujourd’hui, il fait partie des discussions quotidiennes. C’est une des facettes de l’impact inexorable de la sécheresse et du changement climatique sur la vie des gens. À Zagora, zone semi-aride, les populations tentent de préserver cet équilibre délicat entre l’exploitation des ressources et leur gestion durable. C’est un combat de tous les jours. Leurs seules armes pour le gagner est leur résilience, leur intelligence collective et leur attachement viscéral à leur terre.
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