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«Lkessa ou mafiha» : Derrière les barreaux de Oukacha, le récit poignant de trois détenus

Incarcérés à la prison de Oukacha à Casablanca pour des crimes liés au vol et à la falsification de documents, trois détenus racontent à «Lkessa ou mafiha» leurs histoires. Entre angoisse et espoir, ces prisonniers passent le plus clair de leur temps entre activités sportives, culturelles et spirituelles. Cela permet de les occuper et de préparer leur réinsertion une fois libérés. C’est aussi et surtout une manière de vaincre la souffrance de l’abandon par leurs familles qui semblent les avoir oubliés dès leur mise sous les verrous. Récits.

« À l’âge de 44 ans, je me suis retrouvé en prison et abandonné par ma famille. Je ne pense avoir ni le temps ni l’énergie nécessaires pour reprendre ma vie une fois libéré». C’est ainsi que Aziz*, ce détenu quadragénaire, décrit sa situation à la prison locale Aïn Sebaa 1-Oukacha. Se confiant à l’émission «Lkessa ou mafiha», il revient sur les circonstances de son implication dans une affaire qui a changé le cours de sa vie. Comme lui, quelque 10.000 prisonniers cohabitent aujourd’hui dans la prison de Oukacha pour différents crimes, en particulier pour vol et falsification de documents. D’après les responsables de cet établissement carcéral, ces deux types de crime ont connu une augmentation significative durant ces dernières années. Chose qui corrobore les déclarations du préfet de la police de Casablanca qui avait affirmé auparavant à «Lkessa ou mafiha» que le vol à l’arraché et la cybercriminalité étaient en évolution ces dernières années. D’ailleurs, Aziz avait été arrêté puis condamné à un an de prison pour vol d’objets à l’intérieur des véhicules.



Le condamné plaide non coupable, et pourtant c’est la cinquième fois qu’il est admis à Oukacha pour le même crime. Il a déjà été condamné à 6 mois d’emprisonnement, puis à un an, ensuite à 5 ans et enfin à 3 ans. Tout en reconnaissant les crimes derrière ses quatre dernières arrestations, il nie complètement son implication dans l’affaire pour laquelle il est en prison actuellement. «J’avais décidé de changer complètement. J’ai frappé à toutes les portes et j’ai milité pour trouver un travail, mais en vain. Les temps sont durs et les répercussions de la crise de la Covid-19 n’arrangent pas les choses», se désole-t-il. Et de poursuivre : «Lorsqu’on m’a arrêté, j’étais en train de discuter avec un ami qui était recherché par la police, mais je ne le savais pas. Mes antécédents judiciaires ont joué contre moi. Ma femme m’a quitté et tous les membres de la famille m’ont reje té, mais ce qui me fait le plus souffrir, c’est l’incapacité de voir mon fils», ajoute-il les yeux embués de larmes.

Son visage pâle et son regard sombre et hagard en disent long sur se détresse. Sa seule et maigre consolation dans cet univers froid et morose, c’est la présence d’un autre détendu, Ali*, avec qui il semble bien s’entendre. Ce dernier a été condamné à 10 ans de prison pour son implication dans la formation d’une bande criminelle et possession d’arme blanche au sein d’un moyen de transport public (un bus). Ces faits d’une gravité extrême expliquent sans doute la lourdeur du jugement. Et Pourtant, Ali a une autre version des faits. «Je travaillais dans le domaine du commerce avant que ma vie et celle de ma famille ne soient chamboulées», se remémore-t-il avec amertume. Et d’ajouter : «J’ai pris le bus pour rentrer chez moi après une longue journée de travail et c’est là où j’ai rencontré des amis que je n’avais pas vus depuis longtemps. Je les ai salués rapidement puisque je devais descendre. Quelques jours après, j’ai été arrêté, car il y avait une peine prononcée contre moi. L’information est tombée comme un couperet pour mes parents qui ne savaient pas quoi faire», raconte-t-il tout en plaidant énergiquement son innocence.



Le cœur gros, Ali a souhaité profiter de son passage à «Lkessa ou mafiha» pour s’excuser auprès de ses parents. Malheureusement, ces derniers ne vont pas pouvoir le reconnaître puisque, par respect pour sa personne, nous n’avons pas le droit de montrer son visage ni de divulguer son identité. Son message pourrait toutefois être destiné aux parents des détenus pour qu’ils fassent montre de plus de clémence et de compréhension.

La confiance aveugle peut meneren prison

L’histoire du troisième détenu, Khalid*, que nous avons interrogé est totalement différente. Condamné à 4 ans de prison pour falsification de documents, il culpabilise au quotidien et reconnaît sa responsabilité dans cette affaire, même s’il n’a pas commis le crime qu’on lui reproche. «D’une certaine manière, je ne peux pas dire que je n’ai pas commis ce crime, car j’ai fait confiance à une personne que je ne connaissais pas assez», explique-t-il. Rongé par le remords, il ajoute :

«Dans le cadre de mes activités en tant que commerçant, j’ai fait la connaissance d’un jeune homme qui paraissait correct. Tout allait bien jusqu’au jour où il m’a demandé de l’accueillir chez moi à la maison, sous prétexte qu’il était à la recherche d’un autre logement. J’ai accepté, car je croyais bien le connaître. Effectivement, il est resté chez moi pendant une bonne période et je lui ai même remis les clés d’une chambre pour qu’il y mette ses affaires, en toute confiance». La gorge serrée, Khalid dit avoir été surpris par les éléments de la police qui étaient venus l’arrêter en lui annonçant que son ami faisait l’objet 74 avis de recherche. «Dans sa chambre, on a trouvé des documents falsifiés comme des cartes grises, des permis de conduire, 120 carnets de chèque et des plaques d’immatriculation», raconte-t-il, tout en appelant les jeunes à rester vigilants pour ne tomber dans la même situation. À propos de sa famille, il se dit triste de se sentir seul et abandonné par les siens. «Ma femme est à l’étranger et mes parents sont des personnes âgées qui ont eux-mêmes besoin de soutien», confie-t-il.

Le soutien familial, une nécessité vitale pour les prisonniers À l’image de Aziz, Ali et Khalid, les détenus que nous avons rencontrés semblent souffrir énormément du manque de soutien de leurs familles. Au sentiment de culpabilité et de désespoir, s’ajoute le sentiment d’abandon, un fardeau d’autant plus lourd à porter qu’il est vécu quotidiennement et dans l’incertitude la plus totale.

De l’avis de Dr Khalid Ouqezza, directeur de l’hôpital psychiatrique Arrazi de Tit Mellil, le sentiment de délaissement pourrait avoir des effets néfastes sur la santé morale des détenus. En effet, précise-t-il, l’absence de la famille renforce les sentiments de culpabilité et d’isolement dont souffre un détenu. Le spécialiste lance ainsi un appel aux familles pour venir en aide à leurs proches détenus. Heureusement que tous les détenus ne sont pas logés à la même enseigne et qu’ils bénéficient de l’appui de leurs familles qui viennent régulièrement leur rendre visite.

Des programmes sur mesure pour préparer la réinsertion des détenus

À la prison de Oukacha, qui reçoit chaque jour quelque 80 détenus, «les prisonniers bénéficient d‘activités sportives, culturelles et spirituelles organisées de façon quotidienne», assure Khammar Ben Draa, responsable du travail social au sein de la prison locale Aïn Sebaâ 1. Selon lui, les jeunes peuvent continuer leurs études grâce à un programme d’enseignement allant du primaire jusqu’à l’université. «Il y a aussi un programme d’alphabétisation pour les détenus n’ayant jamais été scolarisés», note-t-il, avant de préciser que la formation professionnelle est assurée par l’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT). Ces actions sont menées par des professionnel ayant les compétences requises. L’objectif est d’occuper de manière constructive les prisonniers, mais aussi et surtout de favoriser la réussite de leur intégration une fois libérés. Et là, c’est une autre bataille qui commence ! Les détenus que nous avons rencontrés, en tout cas ceux ayant des antécédents judiciaires, ne cachent pas leur peur de ne pas être réintégrés dans la société une fois libérés. «Personne ne vous fera confiance si vous êtes un exprisonnier et c’est ce qui explique le fait que certains d’entre finissent par refaire les mêmes erreurs», déplore Aziz. Pour lui, les ex-détenus ont le droit d’être réintégrés au sein de la société une fois libérés, puisqu’ils ont payé pour leur faute. Sur ce volet, il convient de souligner que la Fondation Mohammed VI pour la réintégration des détenus multiplie les actions pour offrir plus de chance à cette catégorie de la population. Mais la bataille n’est pas gagnée d’avance, puisque c’est la perception négative qu’ont beaucoup d’entreprises du détenu qui doit changer. D’où la nécessité de renforcer et de multiplier les programmes de réintégration, si on veut en finir avec la récidive. C’est aussi une piste pour faire face au phénomène du surpeuplement des prisons.

«Lkessa ou mafiha», une enquête sur plusieurs volets

La visite de l’établissement pénitentiaire Oukacha entre dans le cadre d’une enquête qui a été lancée par l’équipe «Lkessa ou mafiha» en décembre dernier autour de l’évolution de la criminalité à Casablanca. Les premiers éléments de cette enquête ont été recueillis lors d’un entretien exclusif avec le préfet de police de Casablanca, Abdellah El Wardi. Une immersion dans le quotidien des policiers nous a permis par la suite de constater l’organisation des opérations de sécurité sur le terrain et de recueillir les avis des Casablancais sur ce sujet. Et pour compléter l’enquêter, nous avons jugé utile de donner la parole aux détenus eux-mêmes.
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