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Réseaux sociaux et jeunes filles : Décryptage des effets psychologiques et des influences négatives

À l’ère numérique, les réseaux sociaux ont une place considérable dans la vie des jeunes et des adolescents. Cependant, même si ces plateformes leur offrent des moyens de se divertir et de socialiser, elles peuvent exercer une influence importante sur leur santé mentale, en particulier celle des filles. Les comparaisons sociales, les standards de beauté irréalistes, le cyberharcèlement… peuvent engendrer des sentiments d’anxiété et de baisse d’estime de soi. Dans cet entretien, Yousra Lahlou, docteure en Psychologie clinique et Psychopathologie, nous éclaire sur les effets psychologiques des réseaux sociaux sur les jeunes filles et nous propose des pistes pour atténuer ces influences négatives.

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Le Matin : Quels sont les effets psychologiques que peuvent avoir les réseaux sociaux sur les jeunes filles, et les adolescentes en particulier ? En quoi les expériences des filles sur ces plateformes diffèrent-elles de celles des garçons, et pourquoi sont-elles particulièrement vulnérables ?


Yousra Lahlou : L’adolescence est une période charnière dans la construction de soi et dans la construction de l’adulte en devenir. Des remaniements physiques et psychiques inhérents à cette période, entre l’enfance et l’âge adulte, apparaissent chez les jeunes filles et les jeunes garçons de cet âge. Les adolescents sont par nature vulnérables pendant cette période.

Les réseaux sociaux font partie du monde d’aujourd’hui, et constituent une partie intégrante des nouveaux modes de communication. Ils permettent notamment aux adolescents d’assouvir ce besoin de l’immédiat, de l’instantané et de l’éphémère. Leur usage peut avoir des conséquences sur le fonctionnement psychique des adolescents et adolescentes.

Il me semble qu’il existe une différence dans l’utilisation et dans l’impact que peuvent avoir les réseaux sociaux en fonction du genre. En effet, les adolescentes semblent souvent passer plus de temps que les adolescents sur ces plateformes. De plus, les adolescentes semblent être plus vulnérables que les adolescents face à ce qui peut s’y jouer, ce qui peut ainsi affecter leur santé mentale d’une manière plus conséquente.

Des difficultés peuvent se retrouver aussi bien chez l’adolescent que chez l’adolescente, mais elles se retrouvent souvent plus chez l’adolescente. En effet, les filles sont plus souvent exposées au cyberharcèlement et à la cyberintimidation que les garçons ; elles reçoivent plus des messages haineux ou offensants, ou encore des messages malveillants et insistants, elles peuvent être victimes de rumeurs et de contenus humiliants...

Elles peuvent aussi avoir une perturbation du rapport au corps qui se manifeste par une insatisfaction de l’image corporelle à travers des pensées et des sentiments négatifs envers son corps, la création de complexes et une sensibilité accrue aux éventuels commentaires sur l’apparence, ce qui peut conduire dans certains cas à une dysmorphophobie et à des Troubles du comportement alimentaire (TCA).

Les filles ont aussi plus tendance à présenter une faible estime de soi avec une idéalisation de l’autre et une dévalorisation de soi-même, une comparaison excessive et une recherche de validation extérieure continue. En parallèle, adolescent et adolescentes peuvent avoir des difficultés de concentration et d’apprentissage, des manifestations anxieuses, dépressives et suicidaires et un sentiment de solitude et des troubles du sommeil.



Comment les réseaux sociaux influencent-ils l’estime de soi et l’image corporelle des jeunes filles ?

Nous nous trouvons actuellement dans une ère du culte de l’image, mais pas de n’importe quelle image. Les normes physiques et de beauté deviennent malsaines et irréalistes, avec une valorisation excessive du physique «parfait» dans laquelle l’image finit par acquérir une valeur marchande.

L’estime de soi des jeunes filles, mais surtout leur image corporelle est souvent fragile pendant la période adolescente. Les transformations du corps inhérentes au processus pubertaire nécessitent un travail psychique pour se réapproprier et accepter ce «nouveau» corps. Ce travail, qui devrait normalement s’opérer au niveau psychique, semble parfois être mis de côté au profit de la mise en place de stratégies qui passent par l’extérieur.

Cette période constitue ainsi un terrain fertile pour des dérives, où les adolescentes peuvent facilement internaliser les modèles véhiculés sur les réseaux sociaux et vouloir s’y conformer à tout prix, sans les interroger de manière critique et en gommant la richesse de la singularité de chacun.

Ces fragilités autour de l’estime de soi et de l’image corporelle inhérentes au processus adolescent, associées aux effets néfastes que peuvent avoir les réseaux sociaux, peuvent avoir des conséquences sur la santé mentale et le bien-être des adolescentes, allant même jusqu’à l’apparition de psychopathologies dans certains cas.

Un récent rapport de l’Unesco alerte sur les risques des réseaux sociaux sur les jeunes filles. Quels types de contenus ou comportements sur ces plateformes sont les plus nuisibles pour les filles ?

Les types de contenus ou de comportements les plus nuisibles pour les adolescentes sont tous ceux qui mettent en avant des contenus et des comportements inappropriés et qui promeuvent des attitudes et comportements malsains, qui les éloignent de la réalité. Si ces contenus et ces comportements peuvent être manifestes, ils regroupent également tous les contenus et les comportements plus subtils qui mettent notamment en avant une image idéalisée et par conséquent irréelle de la femme, au risque de devenir une norme.

Les adolescentes peuvent alors mettre en place des tentatives pour ressembler à ces modèles, avec une exigence élevée et parfois même une attitude presque tyrannique envers elles-mêmes. Elles se conditionnent alors à certaines formes de succès qu’elles pensent être la clé pour être valorisées par la société, telle que l’image qu’elles véhiculent en voulant montrer qu’elles peuvent aussi plaire. Ces tentatives sont souvent sans fin et vouées à l’échec et peuvent notamment conduire à des manifestations anxieuses et dépressives. Au-delà des types de contenus et de comportements qui peuvent être nuisibles, c’est surtout leur surconsommation associée à une barrière de moins en moins étanche avec la vie réelle qui peut avoir des effets nuisibles.

Quels sont les signes que les parents devraient surveiller pour détecter les effets négatifs des réseaux sociaux sur leurs filles ?

Un premier signe qui devrait alerter les parents est une frontière de plus en plus fine entre le virtuel et la réalité, à travers un collage et une identification massive aux modèles véhiculés par les réseaux sociaux. Ce qui se passe sur ces modes de communication peut alors devenir pour certaines adolescentes le modèle «parfait» et unique qui doit être suivi à la lettre, sans pouvoir être discuté, remis en question ou tempéré.

Les parents pourraient également prêter une attention particulière à un ensemble de manifestations qui peuvent être des conséquences d’un surinvestissement de la sphère des réseaux sociaux. Les signes que les parents devraient surveiller sont une hypersexualisation – dans le cas d’adolescentes qui apparaissent comme de jeunes femmes de façon trop précoce –, une perturbation du rapport au corps, une faible estime de soi, un repli sur soi ou un isolement, des manifestations anxieuses, dépressives ou suicidaires et une négligence des études.



Y a-t-il des aspects positifs des réseaux sociaux pour les filles, et comment peuvent-elles en tirer parti tout en minimisant les risques ?

Bien sûr, les réseaux sociaux ont des aspects positifs, et il est essentiel que les parents soient également en mesure de le reconnaître face aux adolescents. Tout individu se construit en lien avec le milieu dans lequel il vit et c’est une chose normale. Les réseaux sociaux font partie du monde d’aujourd’hui et les adolescentes doivent pouvoir vivre dans l’ère de leur temps.

L’adolescence est une période ou l’adolescent et l’adolescente ont besoin d’être en lien avec leurs pairs et d’appartenir à un groupe. Ils se construisent dans certains cas un nouveau «monde» propre à eux, à travers de nouveaux modes de communication tels que «Snapchat» ou «Tiktok» sur lesquels leurs parents ne sont pas présents dans la plupart des cas. Les réseaux sociaux constituent ainsi un lieu d’échange, de partage et de sociabilisation, bien que virtuel.

Il est essentiel que les adolescentes puissent utiliser les réseaux sociaux sans qu’elles délaissent les autres activités du quotidien et en maintenant un esprit critique face à ce qui peut se jouer dessus.

Quels conseils donneriez-vous aux parents pour aider leurs filles à naviguer de manière saine sur les réseaux sociaux ?

L’adolescence n’est pas une période évidente, et ce ni pour les parents ni même pour l’adolescent et l’adolescente qui la vivent. Il est important d’accompagner au mieux les adolescentes et adolescents dans l’usage des réseaux sociaux, sans pour autant l’interdire.

Les parents devraient s’intéresser, discuter et questionner ce qui peut se jouer et ce qui plaît aux adolescentes sur les réseaux sociaux, en étant attentifs à leur parole et en se dégageant de tout jugement hâtif. L’usage des réseaux sociaux ne devrait pas rester à l’état brut, mais devrait être pris dans une parole. Les parents pourraient alors notamment aider leurs filles à maintenir un esprit critique et une limite claire entre ce qui se joue et ce qui peut être véhiculé par les réseaux sociaux, et ce qui se passe dans la vie réelle.

Je recommande aussi aux parents d’établir progressivement une relation de confiance avec leurs filles. C’est de cette manière qu’elles pourront se confier à eux en cas de besoin, sans craindre leurs réactions.

Il est également important de rappeler aux adolescentes et adolescents que l’usage des réseaux sociaux ne peut se substituer aux liens sociaux réels. Les adolescents devraient donc maintenir un contact physique avec les autres et continuer à investir et à prendre du plaisir à pratiquer d’autres activités également.
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