Menu
Search
Vendredi 05 Décembre 2025
S'abonner
close
Vendredi 05 Décembre 2025
Menu
Search

Rougeole : les écoles ont-elles le droit d'imposer la vaccination aux élèves ?

Face à la flambée des cas de rougeole qui a déjà fait plus de 120 morts, les écoles marocaines durcissent le ton : les élèves présentant des symptômes de la maladie et ceux non vaccinés se voient interdire l’accès aux classes. Une mesure radicale qui relance le débat sur la liberté vaccinale et la responsabilité de l’État en matière de santé publique. La question de savoir jusqu’où peut aller la contrainte pour protéger la collectivité est plus que jamais d’actualité. La montée du «vaccino-scepticisme» a certes de quoi alarmer, et les autorités sanitaires ont le devoir de protéger le droit à la santé et à la vie, mais le respect des choix et des convictions personnelles est également un droit qui n’est pas moins sacré. Résoudre cette équation n’est pas chose aisée puisque cela touche au registre très sensible des libertés dans leur relation avec l’autorité.

No Image
Fatima n’en revient toujours pas. Ce matin-là, devant l’école privée de sa fille à Casablanca, la directrice l’arrête net. «Sans certificat de vaccination, nous ne pouvons plus accepter Sara en classe !» Sa petite fille de six ans, les yeux en larmes, ne comprend pas pourquoi elle doit rebrousser chemin. «J’ai toujours été méfiante vis-à-vis des vaccins, nous confie-t-elle, la voix tremblante. Mon mari et moi avons fait ce choix en toute conscience. Mais aujourd’hui, on nous punit !», déclare Fatima, l’air décontenancée. Comme elle, de nombreux parents marocains se retrouvent soudainement face au dilemme : la scolarité de leurs enfants ou la fidélité à leurs convictions. Alors que la rougeole gagne du terrain dans plusieurs régions du pays, les établissements scolaires sont de plus en plus intransigeants. Ils ont pris une décision radicale : écarter les élèves malades et ceux non vaccinés. Une mesure qui relance le débat sur la liberté vaccinale et les responsabilités de l’État en matière de santé publique.

Une vaccination en déclin, l’épidémie difficilement contrôlable

Depuis septembre 2023, le Maroc est confronté à une résurgence aussi spectaculaire qu’inattendue de la rougeole. Selon les autorités sanitaires, 25.000 cas et plus de 120 décès ont été recensés. Un retour en force que les experts attribuent, entre autres, à la baisse du taux de vaccination, passé sous le seuil critique de 95%, indispensable pour éviter les flambées épidémiques. Dans certaines régions, il tombe à 80%, voire moins. Une situation critique et alarmante, selon le Dr Tayeb Hamdi, médecin et chercheur en politiques et systèmes de santé. Ce dernier souligne que le Maroc, autrefois référence mondiale en matière de vaccination infantile, fait aujourd’hui face à une montée préoccupante de «l’hésitation vaccinale». «Il y a quelques années encore, la vaccination était une évidence pour les parents. Aujourd’hui, la méfiance s’installe et il faut comprendre pourquoi», alerte-t-il. Pour lui, la réponse ne peut pas être uniquement répressive. «Nous avons besoin d’enquêtes et d’études pour identifier les racines du problème et adapter nos stratégies d’information et de sensibilisation». Sans cela, difficile d’espérer un rattrapage efficace et durable de la couverture vaccinale.

En effet, dans les hôpitaux, les services pédiatriques sont saturés. Des enfants sous perfusion, le corps couvert de plaques rouges, sont allongés dans des lits d’appoint. Souvent banalisée comme une maladie infantile bénigne, la rougeole peut pourtant provoquer de graves complications : pneumonies, encéphalites, voire des décès. Face à cette menace, le ministère de la Santé a lancé une campagne de vaccination nationale. Mais visiblement, le «vaccino-scepticisme» semble avoir encore de beaux jours devant lui, alimenté par la désinformation post-Covid et une méfiance croissante envers les institutions médicales.

Les écoles en première ligne

Dans ce contexte de crise sanitaire, le ministère de l’Éducation nationale a choisi la fermeté. Les établissements scolaires touchés par des foyers épidémiques seront fermés, et les élèves contaminés, exclus le temps que les choses rentrent dans l’ordre. Une note adressée aux directeurs des académies et aux responsables provinciaux précise également que les enfants non vaccinés devront rester chez eux en cas de détection de la rougeole au sein de leur établissement. Objectif affiché : les protéger, mais aussi éviter une contamination massive. Le ministère promet un accès à l’enseignement à distance pour ces élèves, mais sans en détailler les modalités. En attendant, des dizaines de familles se retrouvent désemparées, forcées de trouver un équilibre subtil entre ces obligations dictées par les autorités sanitaires et leurs choix en matière de libertés individuelles.

La polémique fait rage sur les réseaux sociaux

Sur les réseaux sociaux, la tension monte et la polémique enfle entre les partisans des mesures gouvernementales et leurs détracteurs. Dans le groupe Facebook «Ladies mamies», les publications se multiplient. «On ne sait pas ce qu’il y a dans ces vaccins !» écrit une mère de Meknès. Une autre maman renchérit «On ne peut pas nous forcer. C’est une atteinte à nos libertés !» D’autres, au contraire, défendent la vaccination comme un impératif de santé publique, appelant les autorités à renforcer les contrôles. Mais du côté des écoles, la logique est claire : «On ne veut pas d’un foyer épidémique dans nos classes», insiste M. Omar B., directeur d’une école publique à Salé. Mais peut-on obliger tous les parents à vacciner leurs enfants ? répondre à cette question n’est pas chose aisée puisque cela touche au registre très sensible des convictions personnelles et des libertés dans leur relation avec l’autorité.

Entre liberté individuelle et santé publique : qui décide ?

La question est d’autant plus déroutante que le refus de prendre un vaccin ou de l’administrer à son enfant «profite» d’un un vide juridique. Au Maroc, aucune loi n’impose explicitement la vaccination des enfants, mais l’État la recommande fortement et met en place des campagnes pour inciter les parents à y adhérer. Me Abdelali Boutaleb, docteur en droit et avocat au barreau de Casablanca, explique que le droit à la santé est un principe fondamental inscrit à plusieurs niveaux dans l’arsenal juridique marocain. «L’État marocain a l’obligation de protéger la santé publique, et ce sur trois niveaux de législation», détaille-t-il. D’abord au niveau constitutionnel, puisque la Constitution marocaine de 2011 stipule dans son article 31 que l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics doivent garantir l’accès aux soins de santé et à la protection sociale. «Cela implique que l’État a non seulement un rôle de facilitateur, mais aussi de garant de la santé publique», analyse Me Boutaleb. Par ailleurs, le Maroc est signataire de plusieurs conventions internationales en matière de santé, notamment celles de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui prônent la vaccination comme un outil indispensable pour prévenir les épidémies. «Lorsqu’un État signe un traité international, il s’engage à en respecter les termes et à aligner sa législation interne en conséquence», rappelle l’avocat. En outre, bien que la loi ne rende pas la vaccination obligatoire en temps normal, l’État marocain dispose d’un pouvoir réglementaire lui permettant d’imposer des restrictions aux non-vaccinés dans certaines circonstances.

Les restrictions liées à la Covid font jurisprudence

«Le gouvernement a déjà pris de telles mesures lors de la crise de Covid-19, en exigeant un pass vaccinal pour accéder aux lieux publics, aux administrations et aux transports», souligne Me Boutaleb. Ainsi, si la vaccination contre la rougeole n’est pas formellement obligatoire, l’État a le droit de restreindre l’accès à certains espaces aux personnes non vaccinées, au nom de la protection de la santé publique. «La personne qui refuse de se faire vacciner ne risque pas d’aller en prison ou de subir une sanction pénale, mais elle devra assumer qu’elle pourra être écartée de la vie publique et des services étatiques», insiste Me Boutaleb. Ainsi, les autorités pourraient, si l’épidémie s’aggrave, interdire l’accès aux écoles, aux crèches, voire à d’autres lieux collectifs aux enfants non vaccinés, tout comme elles l’avaient fait avec le pass sanitaire durant la pandémie.
Il faut dire que la polémique provoquée par les vaccino-sceptiques ne se limite pas au Royaume. Aux États-Unis, en France, en Italie, plusieurs pays ont rendu certains vaccins obligatoires pour pouvoir scolariser un enfant, Me Boutaleb estime alors que le Maroc devra tôt ou tard trancher. «Il est peut-être temps d’inscrire cette obligation dans la loi pour éviter de nouvelles crises !»
Lisez nos e-Papers