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Rupture de stock de médicaments en pharmacies : pourquoi le problème devient récurrent

Le problème de rupture de stock de certains médicaments en pharmacie persiste depuis de nombreux mois. Selon les professionnels du secteur que «Le Matin» a contactés, les raisons sont multiples et les voici. Du côté du ministère de la Santé, c'est le silence radio.

Les pharmaciens sont souvent embarrassés en annonçant à leurs clients que tel ou tel autre médicament est en rupture de stock.
Les pharmaciens sont souvent embarrassés en annonçant à leurs clients que tel ou tel autre médicament est en rupture de stock.
Depuis plusieurs mois, des médicaments sont introuvables en pharmacie. Des ruptures de stock devenues récurrentes et qui inquiètent les patients. Ils sont, en effet, de plus en plus nombreux à se plaindre de devoir faire le tour de nombreuses pharmacies pour trouver leur traitement, même s’il s’agit souvent de médicaments courants. Parfois sans succès. «Cela fait des années que j’achète mon antidiabétique au début de chaque mois sans problème. Mais depuis quelques temps, j’ai du mal à le trouver facilement. Cette situation me contrarie vraiment. Je suis obligée à chaque fois de chercher au niveau de plusieurs pharmacies pour espérer avoir une ou deux boites», confie Rahma, 52 ans. «Quand mon ophtalmo m’a prescrit un collyre pour mon glaucome, je ne pensais pas qu'il serait très difficile de le trouver. Mes enfants ont fait le tour de nombreuses pharmacies à Casablanca, mais en vain. Ils ont fini par le trouver dans une petite officine à Tit Mellil. Ils en ont profité pour prendre 4 boites pour les 4 prochains mois», témoigne Ahmed, 67 ans.

Pas de communication officielle sur les possibles ruptures de médicaments

Solutions injectables, corticoïdes, antidiabétiques tels que Glucophage, Diaformine, Glynorm et des collyres comme Monoprost, Carteol, Artelac, Azyter, Flucon... sont des exemples de médicaments qui manquent souvent, d’après les témoignages de patients et de pharmaciens que nous avons interrogés. «La liste des médicaments manquants change d’une période à l’autre et contrairement à plusieurs pays, il n’ y a aucune communication officielle permettant de connaître la liste des médicaments en tension d’approvisionnement. Quand les professionnels de santé disposent de cette information, ils peuvent éviter les ruptures en prescrivant d’autres molécules. Or ce n’est pas le cas», déclare au «Matin» Abderrahim Derraji, pharmacien, fondateur et rédacteur en chef de «pharmacie.ma», «medicament.ma» et «Pharmanews».
«Depuis des mois, certains antiglaucomateux sont introuvables, ce qui contraint les patients à les faire venir de l’étranger. Certains antidiabétiques et des contraceptifs oraux combinés connaissent également des perturbations d’approvisionnement», ajoute le pharmacien. Ce dernier souligne, par ailleurs, que le fait de ne pas octroyer aux pharmaciens le droit de substitution complique davantage la situation. «Dans certains cas, le pharmacien dispose d’alternatives thérapeutiques. Malheureusement et comme il n’a pas le droit de substitution, les malades sont obligés de faire le tour des pharmacies et reviennent bredouilles, sachant que leur pharmacien détient en stock des médicaments qui présentent exactement la même composition avec des prix identiques, voire inférieurs», indique Derraji. «Quand des alternatives existent, on appelle le prescripteur pour essayer de switcher vers d’autres marques ou d’autres molécules. Mais quand il n’y a pas ces alternatives, on se trouve devant une impasse, ce qui impacte la prise en charge des malades qui sont parfois obligés de faire venir leur traitement de l’étranger», poursuit-il.

Les ruptures de stock concernent à 80% les médicaments importés

Même son de cloche auprès de F.O., jeune pharmacienne à Casablanca qui a souhaité garder l’anonymat. «Nous ne comprenons pas pourquoi au Maroc, le pharmacien n’a toujours pas le droit de substitution. Ceci éviterait aux patients de contacter obligatoirement le médecin traitant au cas où le médicament prescrit n’est pas disponible, car le pharmacien serait autorisé à le remplacer. Cela peut éviter des complications ou sauver des vies en cas d’urgence», indique la pharmacienne. Notre interlocutrice confie également que la rupture régulière de certains médicaments cause souvent des problèmes au pharmacien avec ses patients. «Au début de chaque mois, je commande les produits manquants pour vérifier s’ils sont de nouveau disponibles pour les acheter. Les patients ne sont pas conscients de cela. Lorsqu’un médicament est indisponible, ils rejettent toute la responsabilité sur le pharmacien. Certains expriment leur insatisfaction en criant contre nous ou en nous insultant», affirme la pharmacienne. «C’est une situation délicate que nous essayons de gérer du mieux que nous pouvons. Nous avons créé un groupe WhatsApp de pharmaciens, pour demander en cas de rupture si le médicament en question est disponible chez un confrère pour orienter le patient et lui éviter les recherches inutiles», développe-t-elle. Mais pourquoi de plus en plus de médicaments sont indisponibles dans les officines ? Comment peut-on expliquer cette situation ?
Contacté par nos soins, Dr Laïla Sentissi, directrice exécutive de la Fédération marocaine de l'industrie et de l'innovation pharmaceutiques (FMIIP), souligne que la non-disponibilité de certains médicaments dans les officines peut s’expliquer par plusieurs raisons. «Certains produits sont plutôt en tension de stock et pas en rupture proprement dite, d’autres sont arrêtés par le commettant, d’autres encore sont en rupture chez le fabricant en raison d'un problème d'approvisionnement en matières premières. Il peut aussi y avoir un problème rupture de stock chez le grossiste en attendant le réapprovisionnement», déclare-t-elle.
«Il faut savoir que les industriels sont tenus d'avoir un stock de 3 mois et les grossistes un stock de 1 mois. Il arrive souvent que les industriels, pour certains médicaments stratégiques, disposent de 6 mois de stock, voire plus», affirme la directrice exécutive de la FMIIP. Elle souligne également que la pénurie de médicaments concerne essentiellement les produits importés. «Le problème de rupture se pose dans 80% des cas pour les médicaments importés. C’est une problématique mondiale. Vu la forte demande, certains pays sont privilégiés plus que d’autres. Le problème se pose aussi beaucoup pour les collyres, dont 90% sont fabriqués à l’étranger», indique-t-elle.
De son côté, Abderrahim Derraji souligne que «les pénuries de médicaments peuvent être conjoncturelles et imprévisibles, à l’image des perturbations provoquées par la guerre en Ukraine, pays producteur des composants nécessaires à l'emballage des médicaments, tels que l'aluminium et le verre et certains métaux nécessaires à la fabrication des formes injectables».

Une forte demande mondiale de médicaments

La forte demande de médicaments à travers le monde peut également expliquer ces pénuries. Des pays comme la Chine ont vu leur consommation en médicaments augmenter. Les unités de production tournent à flux tendus. Tout incident, aussi minime soit-il, peut avoir des répercussions sur la production des médicaments, analyse Derraji. Ce dernier précise aussi que la recherche constante de la rentabilité a poussé les laboratoires pharmaceutiques à délocaliser la plupart des étapes de fabrication. «80% des besoins mondiaux en principes actifs sont produits en Chine et en Inde. Certains laboratoires sont devenus de simples façonniers», affirme-t-il. Et d’ajouter que «cette délocalisation a rendu la plupart des pays dépendants de ces deux pays. Pour s’en convaincre, il suffit de se remémorer la période où la Chine avait fermé son espace aérien pendant la pandémie Covid-19, l'approvisionnement en produits de santé ayant connu de grandes perturbations, et il en a été de même quand l’Inde a stoppé, du jour au lendemain, l'exportation du paracétamol pour répondre aux besoins de ses populations».
À ces facteurs, «il faut ajouter la concentration de la production de certains médicaments, comme c’est le cas pour Bélatacept, une spécialité pharmaceutique antirejet qui n'est fabriquée que dans un seul site aux États-Unis. Ce produit est passé en peu de temps de la tension d'approvisionnement à la rupture de stock, privant ainsi les patients de ce médicament indispensable. D'autres médicaments sont également produits dans un seul site, comme l'Actilyse et la Rifapentine», développe Derraji. Il souligne aussi que la financiarisation des laboratoires a également un impact sur leurs stratégies. Celles-ci sont de plus en plus dictées par les fonds d'investissement américains et d'autres actionnaires dont le souci majeur est la rentabilité. «Pour atteindre cet objectif, certains laboratoires investissent dans les “nichebusters”, des médicaments développés pour traiter des maladies rares et vendus à prix d’or, à l'image de Sovaldi de Gilead ou de Zolgensma de Novartis. Ce dernier est vendu à deux millions d'euros l'injection. Par conséquent, les médicaments dits matures, dont les prix ne sont pas assez attractifs pour les producteurs, connaissent des tensions d'approvisionnement et des pénuries, ce qui n'est pas le cas des médicaments dits innovants et particulièrement rentables».
Quelles sont les explications du ministère de la Santé et de la protection sociale ? Nous n'en saurons rien, celui-ci n'ayant pas souhaité répondre à nos sollicitations.
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