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Santé publique : la coopération Sud-Sud s’impose comme horizon

L’Afrique n’attend plus qu’on la raconte : elle écrit désormais son propre récit. Le continent ambitionne de s’imposer comme une force capable de proposer des réponses innovantes, enracinées dans ses réalités et suffisamment audacieuses pour inspirer le reste du monde. C’est le message porté par le symposium international organisé les 4 et 5 septembre à Casablanca par African Global Health et Diplomatic Courier. Placé sous le thème «De la crise au soin : ce que le modèle africain de santé publique peut enseigner au monde», cet événement a réuni ministres, experts et décideurs venus de plus de 35 pays, afin de partager leurs expériences et visions mais aussi des solutions concrètes aux défis actuels. Dans cet entretien, Dr Imane Kendili, présidente d’African Global Health, revient sur les enjeux majeurs de ce symposium, en insistant sur le rôle central de la prévention dans la construction d’un avenir plus juste, plus équitable et plus résilient. Elle y présente également le sens et l’originalité de Harm Reduction – The Manifesto 2025, un ouvrage collectif né du partenariat entre African Global Health et Diplomatic Courier. Ce manifeste s’adresse aux gouvernements, ONG, acteurs privés et institutions internationales, en appelant à des politiques préventives centrées sur l’humain, la coopération et la solidarité. Plutôt que de nier les dangers inhérents à nos sociétés, le texte adopte une approche résolument pragmatique : anticiper les risques, les contenir, et lorsqu’il est possible, les transformer en véritables leviers de progrès.

Le Matin : Qu’est-ce qui distingue le symposium de Casablanca des autres rencontres internationales sur la santé publique ?
Dr Imane Kendili : Ce symposium dépasse le cadre académique traditionnel pour marquer un tournant majeur dans la place qu’occupe l’Afrique sur la scène mondiale. Sa spécificité réside notamment dans le rassemblement à Casablanca de décideurs africains et internationaux, réunis autour d’un thème central : la réduction des risques en gouvernance. Cette convergence démontre clairement que l’Afrique dispose aujourd’hui de solutions concrètes, opérationnelles et exportables au-delà de ses frontières. Plus qu’un simple espace d’échange, le symposium s’affirme comme une véritable plateforme de dialogue et un laboratoire d’idées, où s’élabore une nouvelle forme de diplomatie basée sur la coopération, la solidarité et le respect mutuel. Cette dynamique innovante ouvre ainsi la voie à une gouvernance plus inclusive et durable, positionnant l’Afrique comme un acteur clé des réponses globales aux défis contemporains.


La coopération Sud-Sud a été au cœur du symposium. Pourquoi cette orientation est-elle aujourd’hui stratégique pour l’Afrique et le Sud global ?

Effectivement, la coopération Sud-Sud apparaît aujourd’hui comme une réponse concrète aux défis communs que rencontrent les pays du Sud global. Ces nations partagent souvent des réalités similaires – ressources limitées, vulnérabilités structurelles – mais elles possèdent aussi beaucoup de richesses en matière d’innovations, d’adaptations locales et de savoir-faire souvent sous-estimés. Dans ce contexte, le Maroc, en tant que pays hôte, incarne pleinement cette dynamique en jouant un rôle clé dans le renforcement des échanges et de la solidarité entre pays du Sud. Ce symposium a ainsi permis d’illustrer concrètement comment l’Afrique, et plus largement le Sud global, parvient à transformer ses contraintes en opportunités. Grâce à l’innovation et à des partenariats fondés sur la confiance, les pays du Sud ne se contentent plus de recevoir : ils proposent désormais des solutions. De ce fait, la coopération Sud-Sud ne doit plus être perçue comme une alternative secondaire, mais bien comme une voie d’avenir. Elle encourage ainsi des partenariats égalitaires, pragmatiques, basés sur l’écoute mutuelle et le partage d’expertises.


Vous avez beaucoup parlé de la réduction des risques lors du symposium. Pouvez-vous nous expliquer ce concept et pourquoi il est si important aujourd’hui ?

Gouverner ne consiste pas à rêver un monde sans risque – ce serait un idéal illusoire. En réalité, gouverner, c’est avant tout reconnaître que le risque est permanent. Ainsi, toute société doit apprendre à l’anticiper, à le gérer, voire à en faire un levier de transformation. Cette approche se traduit concrètement dans différents domaines. Par exemple, en santé, elle signifie privilégier la prévention plutôt que de se contenter de gérer les crises après leur survenance. De même, face aux enjeux climatiques, il s’agit d’anticiper les catastrophes pour protéger les populations avant qu’il ne soit trop tard. En ce sens, la réduction des risques appliquée à la gouvernance constitue une démarche profondément pragmatique. Elle remet l’humain au centre des politiques, en prenant pour boussole la dignité. Cette vision refuse la passivité face aux crises et propose, au contraire, des politiques résilientes, inclusives et tournées vers l’avenir.


L’un des temps forts du symposium était le lancement de «Harm Reduction – The Manifesto 2025», qui incarne justement le concept de la réduction des risques. En quoi son approche est-elle novatrice ?

Ce manifeste est un texte fondateur à plusieurs égards, car il ne se limite pas à une simple déclaration d’intention. Il propose une méthode claire, concrète et directement inspirée des réalités du terrain. S’appuyant sur des expériences vécues tant sur le continent africain que dans d’autres régions du Sud global, il défend l’idée que le risque, lorsqu’il est anticipé et encadré, peut devenir un véritable levier de progrès. Le caractère novateur de ce texte réside justement dans sa dimension opérationnelle. Contrairement à d’autres documents souvent trop théoriques, «Harm Reduction – The Manifesto 2025» fournit ainsi des orientations concrètes, adaptables et applicables. De plus, il s’adresse à un large public, comprenant les gouvernements, les ONG, les institutions multilatérales, les collectivités locales ainsi que les acteurs privés. À ce titre, il constitue à la fois un outil de plaidoyer et un cadre de référence, conçu pour encourager une nouvelle culture de la gestion des risques, plus humaine, plus anticipative et plus inclusive. Par ailleurs, il invite à repenser la prévention comme un investissement stratégique, tout en soulignant que la coopération demeure un moteur essentiel de transformation durable.


En quoi le partenariat avec Diplomatic Courier a-t-il été stratégique, aussi bien pour le symposium que pour le manifeste ?

Diplomatic Courier est une voix influente dans les milieux diplomatiques et institutionnels à l’échelle mondiale. Ainsi, leur engagement à nos côtés garantit que ce manifeste ne reste pas cantonné à l’Afrique, mais qu’il puisse circuler largement auprès des décideurs, des institutions multilatérales et des acteurs économiques du monde entier. Ensemble, nous construisons un véritable pont entre le local et le global, en valorisant les solutions africaines tout en les inscrivant dans une logique de diffusion internationale. Ce partenariat incarne parfaitement l’esprit du manifeste, qui vise à bâtir des alliances pragmatiques, équitables et dépassant les frontières traditionnelles. Grâce à ce partenariat inédit avec Diplomatic Courier, le manifeste, ainsi que le symposium de Casablanca, marquent une nouvelle étape importante : celle d’une Afrique désormais force de proposition, écoutée, respectée et pleinement engagée dans la construction d’une gouvernance mondiale plus humaine, plus juste et plus durable.

Ana C. Rold, présidente de Diplomatic Courier : «L’Afrique propose désormais un modèle capable d’inspirer le monde»

«L’Afrique ne se contente plus de réagir aux crises ; elle propose désormais un modèle capable d’inspirer le monde. En effet, la réduction des risques appliquée à la gouvernance constitue une réponse concrète aux défis d’aujourd’hui et de demain. Cette orientation s’accompagne d’une présence africaine de plus en plus accrue et décisive, qui révèle aujourd’hui les prémices d’une future charte africaine, portée par le Maroc, visant à doter le continent d’une stratégie sanitaire inclusive et globale, à même de répondre aux réalités de l’Afrique et aux attentes des peuples africains. Cette nouvelle approche, partagée par de nombreux pays africains, repose essentiellement sur la réinvention des systèmes de gouvernance. D’ailleurs, nous parlons souvent de réinventer les systèmes, mais ce manifeste fait plus qu’imaginer : il trace un cadre audacieux et concret qui place la dignité humaine et la coopération au centre de la gouvernance.»

Abdelhak Najib, éditeur et co-directeur de l’ouvrage : «Accepter le risque comme une donnée permanente»

«Le Sud global partage non seulement des défis communs, tels que la rareté des ressources ou la vulnérabilité des systèmes, mais aussi des solutions audacieuses, forgées par l’expérience et l’innovation. L’Afrique, en particulier, a appris à transformer la rareté en levier d’innovation, et la fragilité en moteur de solidarité. Ces leçons doivent désormais être partagées, non seulement entre pays africains, mais aussi avec d’autres régions du Sud global, comme l’Amérique latine ou l’Asie. C’est précisément de cette dynamique collective qu’est né le manifeste. Sa particularité réside dans le fait qu’il s’appuie sur des expériences africaines et du Sud global pour proposer une méthode claire : accepter le risque comme une donnée permanente, et bâtir des politiques capables de le contenir et de le transformer en opportunité. Là où d’autres textes restent souvent théoriques, celui-ci se distingue par sa dimension concrète et opérationnelle. Il constitue à la fois un outil de plaidoyer et un levier de coopération, destiné à inspirer les gouvernements, les ONG ainsi que le secteur privé. Sans nul doute, cet ouvrage de référence – troisième volet d’un travail amorcé en 2022 et 2023, déjà traduit dans plusieurs langues – sert aujourd’hui de base pour de nombreuses universités et laboratoires d’idées. Il permet ainsi de faire converger des visions diverses en une série de recommandations concrètes, susceptibles d’orienter les politiques publiques, en particulier dans une logique de coopération Sud-Sud.»
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