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Face aux influenceurs, le journalisme confronté aux nouveaux codes numériques

En cherchant à s’informer, à suivre un influenceur ou à lire un journaliste, le public marocain évolue aujourd’hui dans un espace où l’information, l’émotion et le divertissement tendent à se confondre. Entre écrans, formats rapides et algorithmes, la manière d’appréhender le monde se transforme, alors même que les outils censés accompagner cette mutation peinent à suivre le rythme. À l’école, l’éducation numérique demeure encore limitée à des initiatives progressives. Du côté des créateurs de contenu, le cadre reste largement absent. Quant au journalisme, il se trouve confronté à la nécessité de se réinventer pour s’adapter aux nouvelles tendances. C’est ce constat partagé qu’ont dressé le créateur de contenu Swinga et plusieurs experts réunis récemment à Rabat lors d’une rencontre nationale consacrée à la lutte contre les fake news.

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« Les journalistes sont aujourd’hui dépassés par des créateurs de contenu qui maîtrisent l’art du format ». Par cette formule directe, Swinga répond à la question de la place croissante occupée par les créateurs de contenu dans la couverture et la diffusion de l’information. Le propos est tenu récemment à Rabat, lors de la première rencontre nationale consacrée à la lutte contre les fake news, organisée par le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication.

Pour le créateur de contenu, ce dépassement ne traduit ni une crise de crédibilité ni une insuffisance professionnelle du journalisme marocain. Il renvoie avant tout à une difficulté d’adaptation aux nouveaux modes de communication. Les journalistes, estime-t-il, « n’ont pas toujours réussi à suivre les nouvelles formes de communication », pendant que ces influenceurs ont appris à capter l’attention sur des plateformes dominées par la rapidité, l’image et l’interaction.



Cette capacité à toucher le public explique, selon lui, le recours croissant aux créateurs de contenu par les marques, mais aussi par les institutions publiques. « Elles recherchent avant tout des taux d’engagement réels déjà existants ». Ces acteurs disposent de communautés structurées, d’un lien direct avec leur audience et d’une capacité immédiate à faire circuler un message. « Ils ont investi des dimensions que les journalistes n’ont pas encore pleinement exploitées ».

Pour autant, Swinga refuse toute lecture binaire opposant journalistes et créateurs. « Le temps a changé », affirme-t-il, rappelant que cette transformation impose des responsabilités partagées. Les créateurs de contenu, désormais impliqués dans la transmission de l’information, doivent « apprendre, s’informer et comprendre la portée de ce qu’ils diffusent ». Les journalistes, de leur côté, sont appelés à « avancer », à intégrer les nouveaux formats et à s’adapter aux logiques numériques, sans renoncer à leurs exigences fondamentales.

Cette réflexion conduit naturellement à la question des fake news. « Être créateur de contenu ne protège pas de l’erreur ». La pression du rythme, la recherche de visibilité et la volonté d’avoir de l’impact peuvent conduire à diffuser une information inexacte. Lorsqu’une erreur est identifiée, des excuses peuvent être présentées. Mais, prévient-il, « l’excuse n’annule pas le préjudice », car la fausse information s’est déjà propagée « beaucoup plus vite que la vraie ».

Pourquoi certaines informations se diffusent-elles massivement, qu’elles soient vraies ou fausses ? Pour Swinga, la réponse tient au fonctionnement des algorithmes, qui ne s’intéressent pas à la valeur du contenu, mais à sa capacité à susciter de l’émotion et à retenir l’internaute. Le format joue également un rôle central, à travers les vidéos courtes, le montage dynamique et l’usage d’un langage simple, immédiatement compréhensible.

Dans cet environnement, l’émotion devient un levier central. « Les gens vont sur les réseaux sociaux pour se divertir, pas pour s’informer ». Colère, peur, rire ou surprise favorisent la circulation des contenus, indépendamment de leur véracité. Le sensationnel prend alors le pas sur l’information de fond.

Cette logique, observe-t-il, ne concerne plus uniquement des pages anonymes sur les réseaux sociaux . « Elle touche désormais, dans certains cas, des institutions médiatiques », qui cèdent à l’émotion et à l’excitation afin d’augmenter leurs audiences et leurs revenus publicitaires. Une dérive qui, selon lui, contribue à l’appauvrissement du niveau culturel général et affaiblit la capacité de pensée critique du public.

Dans ce contexte, produire une information de qualité devient un exercice de plus en plus exigeant. Elle doit être rigoureuse, fiable et crédible, tout en restant visible dans un univers dominé par les codes numériques. « Le discours académique, trop rigide et trop abstrait, n’est plus efficace à lui seul », notamment pour toucher les jeunes générations.

Swinga plaide alors pour l’intégration de formats créatifs capables de transmettre l’information sans en altérer la vérité. Animation, visualisation et narration accessible permettent, selon lui, d’expliquer des sujets complexes, comme les lois ou les politiques publiques, à condition de simplifier l’information et de s’exprimer dans un langage proche du public marocain, en phase avec ses codes et ses références. « Le public ne vient pas sur les plateformes pour lire des livres ou des textes académiques ». Il insiste toutefois sur une ligne de crête essentielle, rappelant que « simplifier ne veut pas dire déformer ni franchir la ligne », mais adapter l’information sans en déformer le sens.

Il évoque enfin la dimension économique de la désinformation. « Les modèles actuels récompensent la viralité plutôt que la qualité », explique-t-il. Cette logique favorise la diffusion rapide de fausses informations, souvent plus puissantes que le vrai, à travers des pages anonymes organisées, parfois pour des raisons financières ou avec des intentions préméditées. Selon lui, le danger est particulièrement grand lorsque ces rumeurs touchent des informations sensibles liées à la sécurité, la santé ou à l’ordre public.

C’est pour cette raison qu’il insiste sur la nécessité d’une communication institutionnelle claire, régulière et transparente, capable d’informer le public de manière fiable et de réduire la propagation des fake news avant qu’elles ne créent des crises ou des tensions. À titre d’exemple, il cite la pandémie de Covid-19 et le séisme d’Al Haouz pour montrer comment le Maroc a réussi à les gérer en démontrant qu’« une communication claire, régulière et transparente permet de restaurer la confiance ».

L’éducation numérique au Maroc, un retard face à la réalité des écrans

Lors du même panel consacré à la lutte contre les fake news, la question de l’éducation numérique a occupé une place centrale. Elle a été présentée comme un chantier de fond, qui ne saurait répondre à l’urgence immédiate de la désinformation. Fouad Chafiki, secrétaire général du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique, a rappelé que l’école « ne peut absorber de nouvelles missions sans une construction pédagogique solide ».

S’appuyant sur son expérience dans la gestion des curricula, il a indiqué que « plus de 32 champs éducatifs ont été proposés pour intégration dans les programmes scolaires », parmi lesquels figure l’éducation aux médias et à l’information. Selon lui, ces demandes traduisent des attentes sociétales légitimes, mais elles ne peuvent être traitées dans la précipitation.

Il a souligné que toute réforme éducative repose sur le temps long. « Un curriculum ne peut produire ses effets ni en une seule année, ni à travers des interventions ponctuelles et isolées », a-t-il insisté. Dans cette perspective, l’éducation numérique ne peut être conçue comme une réponse immédiate aux fake news, mais comme « un apprentissage structuré, inscrit dans la durée et articulé à l’ensemble du parcours scolaire ».

Cette exigence de progressivité a été replacée dans une dynamique institutionnelle par Ilham Laziz, directrice des ressources pédagogiques et numériques au ministère de l’Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports. Elle a rappelé que « dès 2006, des initiatives ont été lancées afin de faire de l’école un espace sûr et responsable en matière d’usage d’Internet ».

Avec l’évolution des pratiques numériques, cette démarche a été étendue aux réseaux sociaux, « en impliquant à la fois les élèves et les enseignants ». Elle a précisé qu’« à partir de 2015, des partenariats ont été noués avec des médias numériques afin de développer l’éducation à l’information », avant que « la célébration du Safer Internet Day ne soit instaurée à partir de 2018 dans le milieu scolaire ».

Cette orientation s’est traduite par une intégration progressive des contenus pédagogiques. « Depuis 2020, des contenus relatifs à l’utilisation sécurisée d’Internet ont été intégrés au programme d’éducation civique de la cinquième année de l’enseignement primaire ». L’objectif, a-t-elle expliqué, est de sensibiliser les élèves dès le plus jeune âge aux usages responsables du numérique.

Dans le prolongement de cette approche, Ilham Laziz a indiqué que «des programmes spécifiques de lutte contre l’intimidation, les violences sexuelles et le harcèlement, y compris le cyberharcèlement, ont été déployés à partir d’octobre 2024. », en partenariat avec plusieurs institutions nationales. Ces dispositifs reposent sur « une approche éducative et corrective », qui combine l’accompagnement des élèves concernés au sein des établissements, assuré par des cellules spécialisées, et la responsabilisation des auteurs.

Elle a précisé que cette méthodologie « a permis de résoudre environ 80 % des cas de cyberharcèlement, d’intimidation en ligne et de violences numériques rencontrés par les collégiens dans le cadre scolaire », tandis que les situations les plus complexes requièrent « des interventions extérieures ». À ce jour, « environ 2.200 collèges » sont concernés par ce programme, qui vise à former, protéger et accompagner les élèves dans l’éducation numérique, et elle a affirmé qu’une extension est souhaitée pour les lycées afin de toucher un plus large public.
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