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Tétine à l’âge adulte : phénomène de mode ou cri silencieux ?

Popularisé sur les réseaux sociaux, notamment TikTok, l’usage de la tétine chez les jeunes adultes suscite à la fois étonnement et questionnement. Cette pratique, perçue par certains comme réconfortante, alerte pourtant la communauté médicale, qui en souligne les implications sanitaires et sociales. Le Dr Tayeb Hamdi, médecin et chercheur en politiques et systèmes de santé, en décrypte les ressorts pour «Le Matin».

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Non, il ne s’agit pas d’une blague. De plus en plus de jeunes adultes, aux quatre coins du monde, utilisent aujourd’hui des tétines pour dormir ou se calmer. Un simple tour sur les réseaux sociaux permet de constater l’ampleur croissante de cette tendance, notamment chez les 18-30 ans. Si ce phénomène peut sembler anodin, voire absurde pour certains, il reflète en réalité, selon de nombreux sociologues et médecins, des dynamiques sociales et psychologiques bien plus complexes.

Joint par le quotidien «Le Matin», le Dr Tayeb Hamdi, médecin chercheur en politiques et systèmes de santé, inscrit cette pratique dans un contexte plus large : celui d’une «infantilisation» progressive des adultes. Ce processus, déjà observé depuis plusieurs années, aurait connu une nette intensification avec la crise sanitaire liée à la Covid-19. «Confinés pendant plusieurs semaines, les adultes ont trouvé du réconfort dans des objets liés à leur enfance, souvent associés à des souvenirs rassurants : jouets, accessoires, vêtements... Cette régression, qui devait pourtant être temporaire, s’est pour certains installée dans la durée, révélant un besoin émotionnel non satisfait – un moyen de faire face à une réalité perçue comme instable, anxiogène et difficile à affronter. Ce n’est pas forcément pathologique, mais cela mérite une attention particulière», souligne le médecin.
Plutôt que de condamner cette pratique, Dr Hamdi y voit donc un signal d’alarme qui invite à repenser les réponses médicales, sociales et éducatives aux besoins réels des jeunes adultes. À ce sujet, il rappelle que depuis la pandémie, les troubles anxieux, les états dépressifs et les problèmes de sommeil ont fortement augmenté, d’où la nécessité d’agir rapidement. Le Dr Hamdi tient cependant à préciser que l’usage de la tétine ne s’explique pas uniquement par des facteurs psychologiques. Le phénomène est également amplifié par les réseaux sociaux, qu’il qualifie de «puissants amplificateurs comportementaux». Ces plateformes contribuent à la diffusion et à la normalisation de pratiques autrefois marginales. «En valorisant certaines habitudes ou comportements, elles influencent profondément les choix et les modes de vie d’une partie de la jeunesse», affirme-t-il.

Une génération en quête de sommeil et de sérénité

L’effet psychologique et l’influence des réseaux sociaux demeurent donc des facteurs clés pour expliquer ce phénomène. Mais une question essentielle demeure : sur le plan purement scientifique et médical, la tétine est-elle réellement efficace pour apaiser l’anxiété ou favoriser le sommeil ? L’objet étant largement utilisé par les nourrissons, l’interrogation semble légitime. Sur ce point, Dr Hamdi se montre très réservé : «Il n’existe aucune preuve que cela améliore le sommeil ou réduise l’anxiété. Des témoignages vont dans ce sens, mais ils restent isolés». Il rejoint ainsi d’autres experts internationaux qui évoquent un simple effet placebo, tout en précisant qu’aucune efficacité réelle ne peut être affirmée à ce jour. Ce qui est certain, insiste-t-il, c’est qu’un usage répété peut poser problème s’il devient un substitut durable à des solutions thérapeutiques adaptées. «Ces objets, conçus pour les nourrissons, ne sont ni adaptés ni sans danger pour les adultes», rappelle-t-il.
Dr Hamdi alerte également sur les risques liés à l’usage de la tétine à l’âge adulte :

• Sur le plan bucco-dentaire, l’usage prolongé de la tétine peut entraîner des troubles de l’alignement des dents, des lésions au niveau du palais, ainsi que des douleurs ou des tensions au niveau de la mâchoire.

• D’un point de vue infectieux, une mauvaise hygiène peut favoriser la prolifération de bactéries, augmentant ainsi le risque de mycoses buccales ou d’infections digestives.

• Concernant la posture et l’articulation, l’adoption répétée de la succion peut provoquer des douleurs cervicales ou perturber l’articulation temporo-mandibulaire (ATM).

• Sur le plan dermatologique, certaines personnes peuvent développer des irritations ou des réactions allergiques, notamment en cas de sensibilité aux matériaux utilisés comme le latex ou le silicone.

• Enfin, sur le plan psychologique, l’habitude peut engendrer une forme de dépendance émotionnelle, favoriser un repli sur soi, ou encore générer une gêne sociale, en particulier dans un environnement collectif.

Une bataille inégale sur les réseaux sociaux

Au-delà du phénomène lui-même, Dr Hamdi estime qu’une autre problématique majeure se pose : celle de la communication et de la prévention. Pour lui, le véritable enjeu réside dans le fossé qui s’est creusé entre les canaux utilisés par les professionnels de santé et ceux fréquentés par les jeunes. «Les messages d’alerte ou de prévention circulent principalement dans les médias traditionnels – télévision, radio, presse écrite – que les jeunes consultent de moins en moins», constate-t-il. À l’inverse, les influenceurs et créateurs de contenu s’adressent directement à cette tranche d’âge, en utilisant leurs codes, leur langage et leurs plateformes de prédilection. Ce déséquilibre d’audience et d’impact est préoccupant. «Une mauvaise information circule plus vite et touche plus de monde qu’une bonne. Même si les professionnels de santé essaient de se montrer présents sur les réseaux, ils arrivent souvent trop tard», déplore-t-il. Cette réalité souligne l’urgence de repenser les stratégies de communication en santé publique. Pour atteindre réellement le public concerné, il devient essentiel d’adapter les discours, les formats et les supports aux habitudes numériques des jeunes adultes.
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