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Le relèvement du taux directeur, un coup d’épée dans l’eau sans une politique budgétaire saine (Nabil Adel)

L’inflation est là et bien installée ! La dernière décision de Bank Al-Maghrib de relever le taux directeur pour la juguler est bonne, mais son timing ne l’est pas. Tel est l’avis de l’enseignant-chercheur, directeur du groupe de recherche géopolitique économie/ géopolitique à l’ESCA, Nabil Adel, qui affirme que cette mesure ne commencera à produire ses effets que dans plusieurs mois, pour autant que toute «la chaîne de transmission», essentiellement les banques et les agents économiques, opère dans le bon sens. Et que la politique budgétaire du gouvernement suive.

Le relèvement du taux directeur, un coup d’épée dans l’eau sans une politique budgétaire saine (Nabil Adel)

Après avoir annoncé en mars dernier, lors de la même émission «L’Info en Face», qu’il fallait faire attention à l’inflation et qu’il fallait surtout agir sur le levier monétaire, Nabil Adel tient aujourd’hui un discours sans équivoque : «l’inflation s’est bel et bien installée !» et «nous sommes désormais dans le curatif plutôt que dans le préventif, qui est la marque d’une bonne politique monétaire».

Relèvement du taux directeur : en retard d’au moins deux trimestres !

Depuis la fin de l’année 2021, on a commencé à sentir que le mouvement haussier des prix n’avait rien de passager et que quelque chose de plus permanent était en train de s’installer, et ce partout dans le monde. On a compris que les injections folles de liquidités pour sortir de la crise de 2008 et surtout pour financier la crise de la Covid-19 ne pouvaient rester sans sanction et qu’elles avaient fini par sortir «le mauvais génie» de sa lampe, affirme M. Adel. «Les économies, notamment occidentales et même celles des pays en voie de développement, ont oublié pendant la crise de la Covid-19 toutes les règles de l’orthodoxie monétaire en injectant de la monnaie sous prétexte qu’il y avait peu d’inflation». Et celle-ci, poursuit l’invité de Rachid Hallaouy, qu’on n’a pas vu depuis le début des années 1980, fait aujourd’hui un comeback spectaculaire. Elle avait tellement disparu des radars des décideurs qu’on avait l’impression que quelle que soit la politique monétaire menée, une inflation faible était acquise. «À force d’avoir trop joué avec l’instrument monétaire, plus dangereux que les armes, on a fini par réveiller le mauvais génie et les trois quarts des Banques centrales à travers le monde ont relevé leur taux directeur», dit M. Adel, qui, commentant la dernière décision de BAM de relever le taux directeur de 50 pbs à 2%, souligne qu’elle était nécessaire, mais tardive d’au moins deux trimestres. «En politique économique, le timing de la décision est plus important que la décision elle-même, compte tenu des anticipations ou des réactions des agents économiques qui peuvent annuler la plus brillante des décisions», souligne l’enseignant-chercheur, ajoutant que «contrairement à ce qu’avance M. Jouahri : «il vaut mieux payer un prix léger en agissant rapidement sur l’inflation à travers le relèvement du taux directeur, plutôt que d’attendre de la voir se généraliser et durer dans le temps», l’inflation s’est belle et bien installée. «Nous aurions dû avoir un tel langage et une telle décision lorsque l’inflation était à 5%. Mais avec un taux de 8% en août 2022 avec une tendance à la hausse, nous nous rapprochons d’une inflation galopante à deux chiffres, soutient-il.

Inflation importée ? C’est à moitié vrai...

Au discours consistant à dire qu’il fallait temporiser cette décision (la hausse du taux directeur) parce que l’inflation est importée, l’enseignant-chercheur rétorque que l’inflation est, toujours et partout, un phénomène monétaire (la masse monétaire en circulation augmente plus vite que la production). «Lorsqu’on nous dit que l’inflation est importée, on nous dit la moitié de la vérité. Pourquoi est-elle importée ? Parce que dans ces pays, elle est d’origine monétaire. Quand elle arrive, elle trouve un terrain monétaire favorable en termes de taux directeur et de réserves obligatoires, et elle s’installe. Les gens peuvent toujours s’endetter à bon compte pour consommer et alimenter la hausse des prix», explique M. Adel. Sous le gouvernement Benkirane I, rappelle-t-il, quand le prix du baril de pétrole avait atteint 120-130 dollars (ce qui l’avait forcé à réformer la Caisse de compensation), avec un déficit budgétaire qui avait atteint 7% du PIB à l’époque, il n’y avait pas d’inflation, parce que l’on était encore dans des politiques monétaires orthodoxes, mais cette orthodoxie allait être abandonnée en 2013, année à partir de laquelle ont été opérées des baisses successives du taux directeur.

La politique budgétaire doit faire pendant à la politique monétaire

Pour juguler l’inflation, l’instrument monétaire est nécessaire, mais pas suffisant, tient à préciser M. Adel. «Ce n’est pas parce qu’on a relevé le taux directeur qu’on verra une décrue de l’inflation. Il y a ce qu’on appelle la chaîne de transmission de la politique monétaire, c’est-à-dire que la hausse du taux directeur agit sur le coût du crédit, et ce coût du crédit doit se traduire par une baisse de son volume, et toute la demande financée par crédit devra se contracter pour ralentir le mouvement des prix. La vitesse de transmission pour voir donc si la chaîne de transmission opère dans le bon sens est de 12 à 18 mois», fait savoir l’enseignant chercheur. Aussi, poursuit M. Adel, «la politique monétaire est en train d’être resserrée, mais si la politique budgétaire ne va pas dans la même direction, on ne sera pas en mesure de lutter contre l’inflation». Le gouvernement doit mener une politique budgétaire allant dans le même sens que la Banque centrale. Il doit réduire autant que faire se peut le déficit budgétaire, en maîtrisant et en rationalisant les dépenses publiques et sociales et en collectant plus agressivement les impôts, sans les augmenter, pour ne pas briser la machine économique. Toute politique budgétaire expansive annulera systématiquement les effets des mesures monétaires que prend et prendra Bank Al-Maghrib, note-t-il. De même, toute revalorisation des salaires, notamment minimums, alimentera juste la spirale de hausse des prix, au lieu de se traduire par une amélioration du pouvoir d’achat. Ce qui ralentira à due concurrence, la lutte contre l’inflation. Dans ce cadre, M. Adel est d’avis «qu’il fallait surseoir à l’augmentation du SMIG en attendant que les niveaux des prix reviennent à la normale, afin que cette augmentation serve à améliorer le pouvoir d’achat». Entretemps, l’enseignant chercheur privilégie le système d’aide directe ciblée en faveur des personnes les plus démunies qui est, selon lui, «une bonne aide», contrairement aux subventions généralisées de la Caisse de compensation qui, elles, servent à alimenter l’inflation. 

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