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Maroc-Espagne : pourquoi l’axe Rabat-Madrid est un pari gagnant

La consolidation de l’axe Rabat-Madrid est un pari gagnant non seulement pour les deux pays voisins, mais pour la région toute entière. La déclaration conjointe adoptée à l’issue de leur 12e Réunion de haut niveau montre que les deux Royaumes sont déterminés à approfondir leur partenariat et à l’immuniser contre d’éventuels chocs futurs. Le poids de l’histoire, les impératifs de la géographie, les enjeux économiques imbriqués, les considérations sécuritaires, la géopolitique mondiale... autant d’éléments qui imposent à Rabat comme à Madrid un engagement plus fort dans un partenariat à la hauteur des enjeux du 21e siècle.

Maroc-Espagne : pourquoi l’axe Rabat-Madrid est un pari gagnant
Signature d’un mémorandum d’entente de coopération triangulaire entre l’AMCI et l’AECI, signé par Nasser Bourita et son homologue espagnol José Manuel Albares.

Voisins depuis toujours, artisans de solides relations entre les deux rives de la Méditerranée et entre l’UE et l’Afrique, le Maroc et l'Espagne œuvrent sans relâche pour faire de leur partenariat multiforme et multidimensionnel un modèle de partenariat gagnant-gagnant à la mesure des enjeux et des défis imposés par une conjoncture internationale mouvementée. Cette ferme conviction quant à la centralité de leurs relations pour la stabilité et le développement de l’ensemble de la région a permis aux deux pays de lever les barrières, de surmonter bien des écueils et de se projeter dans l’avenir, sur la base d'une feuille de route de grande portée adoptée en avril dernier, lors de la visite du Président du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, au Maroc à l'invitation de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Désormais, des deux côté de la Méditerranée, la volonté est clairement affichée de renforcer ce partenariat et de l’immuniser contre les éventuelle secousses. Madrid et Rabat sont plus que jamais convaincus que leurs intérêts sont entremêlés et qu’ils ne peuvent pas se passer l’un de l’autre. Mieux encore, la stabilité et le développement de la région euro-méditerranéenne dépendent dans une large mesure de relations fortes et apaisées entre le Maroc et l’Espagne. 

Le Maroc, priorité numéro un de la politique extérieure de Madrid

Le Maroc est un partenaire stratégique et la priorité numéro un de la politique extérieure de l'Espagne, a affirmé le ministre espagnol des Affaires étrangères, de l'Union européenne et de la coopération, José Manuel Albares, à l’issue de la Réunion de haut niveau, tenue les 1er et 2 février à Rabat. «C’est la Réunion de haut niveau qui a eu le plus de résultats concrets dans l’histoire des deux pays, avec un nombre record d’une vingtaine d'accords», a relevé le chef de la diplomatie espagnole, qui était l’invité, jeudi soir, d’une émission de la télévision publique espagnole (TVE). M. Albares a assuré, dans ce sens, que les conclusions de cette rencontre bilatérale, la première depuis 2015, sont les résultats «de nombreux mois de travail commun», indiquant qu'une « feuille de route a été mise en place avec une nouvelle dynamique et une nouvelle volonté», mutuellement bénéfique dans des secteurs importants tels que l'économie, la gestion des migrations et aussi l'éducation et la culture. Le chef de la diplomatie espagnole a notamment souligné que «le Maroc est fondamental pour l'Espagne, et l'Espagne pour le Maroc».

Commentant ces déclarations, l'analyste politique et spécialiste des relations maroco-espagnoles, Abdelhamid Beyuki, a souligné que «les deux pays sont conscients de l'intérêt réciproque de leurs relations et de leur importance stratégique au regard du voisinage et des exigences du partenariat classique entre le Maroc, l'Espagne et l'UE dans la lutte contre l'immigration clandestine, la lutte contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière. Ces relations entre les deux pays, en proie à des turbulences pendant des années, à cause notamment de la question du Sahara marocain et du manque de transparence et de franchise de la part du voisin ibérique, prendront une nouvelle tournure après le message envoyé par le Président du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, à Sa Majesté le Roi, dans lequel il souligne qu’il reconnaissait l’importance de la question du Sahara pour le Maroc et que l’Espagne considérait l’initiative marocaine d’autonomie, présentée en 2007, comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend», rappelle M. Beyuki.

La géopolitique mondiale rebat les cartes

Selon le même analyste politique, ce continuum positif a été conforté par l'adoption de la feuille de route entre les deux Royaumes, basée sur les principes de transparence, de dialogue permanent, de respect mutuel, de respect et de mise en œuvre des engagements et des accords signés par les deux parties. Cette progression positive des relations bilatérales entre les deux pays a également été dictée par les évolutions intervenues sur la scène mondiale et la nature des alliances que le Maroc entretient désormais avec de grandes puissances, à commencer par les États-Unis, qui reconnaissent la marocanité du Sahara. Cette inflexion de la position espagnole, propice aux relations entre Rabat et Madrid, trouve aussi son explication dans le choix fait par le Maroc de diversifier ses partenariats économiques qui se manifeste, par exemple, dans le bond que connaissent les échanges commerciaux avec le Royaume-Uni, lesquels sont passés de 3 à 11%, fait remarquer M. Beyuki.
L'Espagne, ajoute l'analyste politique, qui est le premier partenaire commercial du Maroc, s'apprête à consolider sa position en augmentant ses investissements dans le Royaume dans des secteurs stratégiques tels que les infrastructures, les énergies renouvelables, le dessalement de l'eau de mer, etc. Et cette tendance, selon M. Beyuki, recueille le soutien du centre de décision économique en Espagne et de plusieurs instituts de recherche liés à l'État profond tels que Institut El Cano. «À mon sens, je pense que les deux pays entrent dans une nouvelle ère de relations bilatérales équilibrées et durables, qui ne manqueront pas d'avoir un impact sur les nouveaux équilibres régionaux et internationaux, avec notamment une présence de plus en plus marquée des États-Unis dans la région», estime M. Beyuki.

Le Maroc et l'Espagne, un pont entre l'Europe et l'Afrique

Le Maroc et l’Espagne, selon le Président du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, sont appelés à donner un contenu concret à leur vocation en tant que pont entre l'Europe et l'Afrique. Coprésidant avec le Chef du gouvernent, Aziz Akhannouch, les travaux de la 12e Réunion de haut niveau Maroc-Espagne, M. Sanchez a appelé à harmoniser les politiques publiques des deux pays pour améliorer leur connectivité ainsi que dans la région, accélérer la digitalisation et assurer la transition énergétique en vue d’assurer un développement durable.
Le Chef de l’Exécutif espagnol a souligné, en outre, que les deux pays sont également appelés à assurer un progrès harmonieux dans tous les domaines à travers le renforcement du dialogue politique et de sécurité et davantage d'investissements, d'échanges et d'interconnexions, ainsi que de mobilité et de communication entre les deux sociétés. Il s’agit là d'objectifs fixés par les deux Royaumes lors de la visite qu'il a effectuée à Rabat le 7 avril dernier, a-t-il rappelé, notant que «nous pouvons constater aujourd'hui que nous les avons atteints : nous avons tenu nos engagements et nous continuerons à le faire». Il a aussi relevé que cette session de la RHN vient consolider la nouvelle étape ouverte dans les relations bilatérales, faisant remarquer que «les deux Royaumes entament cette nouvelle étape avec un grand sens de responsabilité et une conscience historique et, surtout, avec la conviction profonde de l'énorme potentiel qui reste à explorer dans cette relation, qui va bien au-delà du simple voisinage».

Au vu de toutes ces évolutions, l’avenir des relations entre Rabat et Madrid s’annoncent radieux pour le plus grand bénéfice des deux parties, mais aussi de toute la région. La lutte contre l’émigration clandestine, la lutte contre les menaces sécuritaire, le développement des échanges commerciaux... autant de défis que seule une coopération étroite et responsable peut relever.

 

Nabil Driouch : Plus les intérêts de Rabat et Madrid s'entrecroiseront, plus il sera facile de gérer les éventuelles crises

Selon Nabil Driouch, écrivain et spécialiste des relations hispano-marocaines, auteur du livre «La vecindad cautelosa» (le voisinage prudent), lorsque Madrid met dans la balance ses relations avec le Maroc et ses relations avec l'Algérie, il ne lui est pas difficile de faire le choix. «Ses rapports avec Rabat sont plus profonds et plus importants que ceux avec Alger, pays proche de la Russie et de l'Iran et soumis au joug d'une gérontocratie militaire», explique ce spécialiste des relations Maroc-Espagne. D’un côté, il y a des relations avec des enjeux majeurs liés à l’histoire commune, à la géographie, à l’économie et à la sécurité et, de l’autre, des relations basées sur une sorte de chantage au gaz, dont Madrid se détache progressivement au profit d’autres fournisseurs.

Le Matin : pourquoi le Maroc et l’Espagne ne peuvent-ils pas se passer l’un de l’autre ?

Nabil Driouch : 
La géographie est le premier déterminant qui fait des relations entre le Maroc et l'Espagne une nécessité impérieuse. Les deux pays ne peuvent pas se tourner le dos l’un à l’autre, compte tenu de la géographie, mais aussi de l'histoire. Il faut dire que les relations entre les deux pays n'ont atteint leur niveau actuelle qu'après avoir traversé un chemin sinueux, ponctué de stades évolutifs. Lorsque les responsables marocains et espagnols se réunissaient après l'indépendance, l'histoire et la liquidation du legs colonial étaient au centre des préoccupations. Nous considérions les Espagnols du point de vue de l'histoire et non de l'avenir. De nos jours, ces relations ne sont plus confinées dans leur dimension historique. Elles représentent un laboratoire d'idées novatrices au service d’une coopération bilatérale autrement plus ambitieuse.

En effet, le vocabulaire de la coopération économique n’est plus dominé par la concurrence et la rivalité dans les secteurs de l'agriculture et de la pêche maritime, que le professeur Larbi Messari décrivait comme étant des «relations de tomates et de sardines». Désormais, la coopération économique s'étend à des secteurs qui étaient encore absents il y a deux décennies.
Aujourd'hui, on parle d'hydrogène vert, d'énergies renouvelables, de dessalement de l'eau de mer, d'industrie automobile et aéronautique, et ce grâce au bond en avant qualitatif réalisé par le Maroc dans ces domaines qui en font un pays de référence sur le continent africain. Aussi, l'Espagne a pu se maintenir tout au long d'une décennie comme premier partenaire commercial du Maroc et aspire à renforcer sa présence par davantage d'investissements en profitant des infrastructures dont dispose le Royaume, de ses zones industrielles développées et du port de Tanger Med, sans omettre les importantes incitations fiscales.

Sur le plan politique, le dossier du Sahara marocain a toujours été le thermomètre de ces relations. Aujourd'hui, nous voici face à une position de l'État espagnol qui soutient clairement et explicitement le plan d'autonomie. Cette réconciliation historique intervient dans un contexte international et régional particulier : d'une part, nous assistons à l'émergence d'un nouvel ordre mondial multipolaire dont les enjeux sont centrés sur les questions énergétiques, les défis climatiques et la lutte pour l'économie, la technologie et le commerce international, et qui a été accéléré par les répercussions de la crise de la Covid-19 et la guerre, sur fond géostratégique, entre la Russie et l'Ukraine. Et de l'autre côté, nous avons des défis régionaux liés à l'Union européenne et ses crises internes, surtout après le Brexit, et les paris que les puissances internationales prennent sur l'Afrique et le Maroc, pays très engagé envers ce continent et qui fait office de trait d'union entre ses pays et ceux du reste du monde, dont l'Espagne.

Par ailleurs, le pari sur l'avenir impose de procéder à un rapprochement culturel entre les deux pays, et nous avons constaté que ce volet n'a pas été omis lors des dernières rencontres, puisque la feuille de route prévoit le développement des domaines de l'éducation et de la culture. Aussi, lors de cette réunion de haut niveau, des conventions ont été signées entre les deux pays concernant ces domaines et il est question d'ouvrir des antennes d’universités espagnoles au Maroc et de dispenser des matières scientifiques dans certains lycées en espagnol. Je pense qu'il s'agit là d'un investissement à part entière pour favoriser le rapprochement entre les deux peuples et faire émerger de nouvelles élites hispanophiles en mesure de faire évoluer les rapports humains avec le voisin du nord.

L’Espagne a choisi de miser sur le Maroc aux dépens de l’Algérie. Comment expliquer ce choix ?

Les relations de l'Espagne avec le Maroc remontent à plusieurs siècles et sont profondément enracinées. Le Maroc a été un acteur majeur dans dans l'histoire de l'Espagne, comme le prouve la civilisation andalouse, la bataille de Tétouan au 19e siècle, la bataille d'Anoual au 20e siècle, la guerre civile espagnole, la Marche verte, etc. Donc les relations ne datent pas d'hier. De plus, les intérêts stratégiques nés au cours des dernières décennies font que les deux voisins ont besoin l’un de l’autre. Outre les volets économiques, je citerai les dimensions sécuritaires touchant à la sécurité nationale de l'Espagne. Il y a aussi la position dont jouit le Maroc au sein du continent africain et sa stabilité politique qui font de lui un interlocuteur incontournable. Sans oublier la communauté marocaine vivant en Espagne et qui compte près d'un million de ressortissants.
Autant d’éléments donc qui ont favorisé l'essor des relations entre Rabat et Madrid. En revanche, les relations entre Madrid et Alger étaient principalement articulées autour du gaz. Aujourd'hui, on observe que l'Espagne est en train de se détacher de cette ressource algérienne pour se tourner vers le gaz provenant des États-Unis, mais aussi en raison de son ouverture à d'autres nouveaux marchés, du fait de ses grandes capacités de stockage de gaz liquéfié. Lorsque Madrid met dans la balance ses relations avec le Maroc et ses relations avec l'Algérie, il s’avère clairement que ses rapports avec Rabat sont plus profonds et plus importants que ceux avec Alger, pays proche de la Russie et de l'Iran et soumis au joug d'une gérontocratie militaire.

Dans quelle mesure la dernière Réunion de haut niveau a jeté les bases d’un partenariat pérenne et à l’abri des chocs géopolitiques ?

La Réunion de haut niveau (RHN) est principalement articulée autour de la feuille de route adoptée par les deux pays le 7 avril dernier. Cette feuille de route a jeté de nouvelles bases pour les relations maroco-espagnoles, fondées sur les principes de transparence, de dialogue permanent, de respect mutuel et de mise en œuvre des engagements et accords signés par les deux parties. Le communiqué sanctionnant cette RHN consacre la même dynamique, puisque cette rencontre fait partie des objectifs prévus dans la feuille de route qui prévoit de nouveaux mécanismes servant de soupape de sécurité face aux éventuels désaccords qui pourraient survenir et qui demeurent tout à fait normaux, compte tenu de la nature des alliances dont est issu le gouvernement espagnol, de la nature de la vie politique en Espagne et de la spécificité même des relations entre les deux Royaumes. Il va sans dire que les échanges se poursuivront entre les responsables des deux pays et les commissions mixtes qui vont travaillent sur les dossiers de coopération, comme la délimitation des frontières maritimes. Cette RHN a donné un fort élan devant renforcer la coopération et la prémunir des chocs géopolitiques. Plus les intérêts stratégiques s'entrecroiseront, plus il sera facile de gérer les éventuelles crises qui pourraient surgir.

 

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