Les histoires de viol sur mineurs n’en finissent pas de nous interpeller. L’un de ces drames est celui d’une fillette qui s’est retrouvée enceinte après avoir été violée à répétition à l’âge de 11 ans par trois hommes dans un douar à Tifelt. Un triple viol qui a conduit à une grossesse et un accouchement dans la douleur et... l’ignominie. Estée en justice, cette affaire vient d’être jugée. Mais le jugement prononcé n’a fait qu’ajouter à l’indignation générale. D’ailleurs il a été vivement dénoncé aussi bien par la famille de la victime que par la société civile. Le verdict, rendu le 20 mars dernier par le tribunal, inculpe les violeurs de deux ans de prison… seulement ! Deux d’entre eux doivent verser à la victime 20.000 dirhams et le troisième 30.000 dirhams. Le verdict reste «clément» eu égard à la gravité des faits, sachant que les textes de loi en matière de viol sur mineurs prévoient des peines de 10 à 20 ans. L’incompréhension est totale! La victime est, pour l’heure, prise en charge par l’association Insaf qui soutient les mères célibataires. Sa famille est toujours sous le choc et sa défense représentée par Maître Mohamed Sebbar, avocat aux barreaux de Rabat, a décidé de faire appel de ce jugement. D’après nos sources, l’appel a été déposé le 29 mars. L’affaire est donc à suivre !
Comment expliquer le jugement clément envers les violeurs ?
Mais au-delà de cette affaire, un tel jugement n’est-il pas indulgent compte tenu du mal provoqué ? Joint par «Le Matin», Mohamed Oulkhouir, avocat et vice-président de l’association Insaf, estime que le verdict prononcé dans le cadre de cette affaire peut être effectivement considéré comme particulièrement clément pour des auteurs de viols répétés et en réunion d’autant que les deux années ne sont pas fermes pour deux des inculpés. «La peine ferme étant de 18 mois et le reste avec sursis pour ces deux derniers», nous apprend-il. Interrogé sur les éventuelles raisons ayant poussé le juge à prononcer un tel jugement, maître Oulkhouir indique que pour l’heure, on n’a pas accès à cette information. «Ce que l’on peut indiquer c’est qu’il y a, d’un côté, l’horreur et la gravité des faits commis et, d’autre part, le principe de personnalisation et d’individualisation des peines. Les juges ont arbitré ces différents aspects même si je comprends tout à fait que cet arbitrage puisse susciter l’indignation de l’opinion publique», note-t-il. Effectivement, ajoute notre interlocuteur, «il a été constaté une incompréhension importante chez l’opinion publique s’agissant des peines parfois prononcées dans des situations de viols ou d’attentats à la pudeur sur mineur. De manière générale, précise-t-il, il y a deux facteurs qui peuvent amener à une atténuation du verdict en cas de viol à savoir des éléments de personnalité et d’individualisation de la peine, notamment par exemple des cas d’altération partielle des facultés mentales. Pour lui, il est nécessaire de davantage sensibiliser une partie du corps de la magistrature à l’horreur de ces atteintes physiques et psychologiques graves que constituent les agressions sexuelles sur des enfants et plus souvent des petites filles. À noter que des propositions de loi visant à l’aggravation du quantum des peines ont d’ailleurs été déposées au parlement ces dernières années.
Code de l’enfant, il y a urgence
La protection des mineurs est plus qu’une urgence. Notre interlocuteur insiste sur la nécessité de mettre en place le code de l’enfant qui permettra de prendre en compte de manière complète la situation de vulnérabilité qui est celle des mineurs. «Les mineurs ont besoin d’une protection juridique spécifique et adaptée et rien de mieux qu’un Code de l’enfant pour cela, d’autant que nous ne savons pas si finalement le nouveau Code pénal verra le jour rapidement», note maître Oulkhouir. Ce dernier souligne aussi l’importance de mettre en conformité l’ensemble de nos textes juridiques avec la convention internationale sur les droits de l’enfant et plus généralement l’ensemble des traités internationaux signés et ratifiés par le Royaume.
À propos de la reconnaissance des droits de l’enfant né d’un viol, «c’est une question complexe», selon maître Oulkhouir. L’expertise médicale par ADN permet d’identifier le père, mais aucune loi ne l’oblige à reconnaître l’enfant, ni à lui donner son nom ou encore moins l’entretenir. Pis encore, ajoute notre interlocuteur, «il n’est pas certain que l’enfant issu d’un viol souhaite porter le nom de son père par exemple ou que ce père-violeur soit son tuteur légal. Ceci est sans parler du fait pour l’enfant d’être contraint de vivre avec son père-violeur». Dans les pays qui reconnaissent cette paternité, il y a aussi souvent une déchéance des droits parentaux, d’où encore une fois l’urgence de la réadaptation des lois. Par ailleurs, maître Oulkhouir tient à attirer l’attention sur l’urgence d’interdire rapidement le mariage des mineurs de manière à sanctuariser le corps et l’esprit des enfants. «De mon point de vue et de celui de l’association Insaf, même avec une autorisation judiciaire de mariage, avoir des rapports sexuels avec une fille de 13 ou 14 ans, c’est de la pédo-criminalité et cela ne peut plus être accepté non plus au Maroc aujourd’hui», alerte-til. Le nouveau Code pénal va-t-il apporter une réponse à ces attentes ? Les prochains mois nous le diront.
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