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«Au départ, nous n’avions pas prévu de lancer la 5G cette année, mais grâce aux sanctions américaines, nous avons décidé de le faire plus tôt que prévu»

Ponctuel comme à l’habitude des Chinois, c’est entouré de deux de ses collaborateurs et de deux interprètes que Ren Zhengfei, fondateur et président de Huawei, a reçu la délégation des responsables des médias, dans le campus Ox Horn le dimanche 20 octobre. Après avoir souhaité la bienvenue à l’assistance, il a tenu à faire part de son admiration pour la culture arabo-islamique, rappelant qu’il a visité à plusieurs reprises des pays arabes, avec une mention particulière au Maroc qui abrite la plus ancienne université du monde. Ren s’est dit confiant quant à un renouveau du monde arabe, grâce aux nouvelles technologies.

Le Matin : La 5G, symbole du leadership technologique chinois ?
Ren Zhengfei
: La technologie 5G peut être comparée à une autoroute en ce sens qu’elle ne crée pas de la valeur par elle-même, mais elle soutient les autres technologies qui, elles, créent de la valeur. Les Européens n’ont pas besoin de la technologie 5G de Huawei, car ils disposent déjà de la leur. Avec eux, nous avons un accord d’utilisation croisée des brevets, ce qui veut dire que l’ouverture entre nous existe déjà. Là où il y a un manque des technologies de télécommunication très avancées, ce sont les États-Unis, d’où notre volonté de travailler avec les entreprises américaines. Si nous les aidons à rattraper le reste du monde, il y aurait moins de conflits et plus d’équilibre. Les Américains sont en revanche plus performants dans d’autres domaines comme le cloud, le calcul intelligent et l’IA, sur lesquels Huawei est à peine au tout début. Pourquoi la civilisation arabe, qui devançait la civilisation européenne, a-t-elle fini par se laisser dépasser par celle-ci ? C’est parce que les Européens ont inventé plus tard le train qui roule plus vite que le chameau et le bateau à vapeur qui transporte plus de marchandises que l’animal. Ces inventions modernes font que l’Europe a été la première à embrasser la révolution industrielle. Vous voyez par là que la vitesse et la largeur de bande peuvent jouer un rôle décisif dans le développement d’un pays. Dans le passé, ce qui comptait est la vitesse du transport physique, alors qu’aujourd’hui, ce qui compte c’est la vitesse de circulation des informations et des données. Le but de la 5G est justement d’augmenter cette vitesse informatique. Il faut sauter sur l’occasion. Je vous fais cadeau d’un disque sur la célébration de la fête nationale de la Chine. La performance a été réalisée sous une forme de dessin animé, avec des dizaines de milliers de personnes, et transmise par la 5G. Vous êtes des professionnels des médias. Quand vous voyez des images si fluides d’une performance de dizaines de milliers de personnes, vous comprenez la valeur de la 5G. Il y a autre chose qui est intéressante dans la 5G, c’est l’internet des objets qui demandera également du temps pour se développer. Nous sommes le leader mondial aujourd’hui. Je voudrais vous préciser qu’au départ, il n’était pas dans notre intention de lancer la 5G cette année, mais grâce aux sanctions américaines, nous avons décidé de la lancer plus tôt que prévu.

Et la 6G ?
En réalité, nous avons commencé à développer la 5G et la 6G en même temps. La différence entre les deux est qu’il y a plus d’envergure et de champs dans la 6G. Actuellement, la capacité d’une couverture 6G est encore faible. Nous avons encore besoin de réaliser une percée dans la conception et la technologie de la 6G. Il nous faut environ 10 années. Déjà la 5G offre de grandes possibilités qui ne sont pas exploitées. Est-elle disponible pour tous ? Je pense que la 5G a encore un bel avenir devant elle.

Quel est l’impact réel des sanctions américaines sur le groupe ?
Huawei n’a, à aucun moment, contrevenu aux lois et règlements américains. Ces sanctions sont dictées par des motifs politiques. Il n’y a aucun effet des sanctions américaines sur notre technologie 5G, vu que nous n’achetons aucun composant des États-Unis pour cette activité. Notre croissance a été constante durant les dernières années et les sanctions n’ont pas altéré outre mesure cette croissance. Il y a eu quelques effets négatifs sur nos ventes. Certaines applications ne seront plus disponibles sur nos terminaux, alors nous les avons changées et installé de nouvelles similaires, réalisées par nos équipes. Nous avons besoin de plus de temps pour vérifier si ces applications remplaceront celles qu’on nous a interdites, car certains clients hésitent encore pour acheter nos produits. Ceci étant, notre croissance restera positive cette année et connaîtra une croissance limitée. Ces sanctions ont motivé nos collaborateurs pour plus d’efforts, de combativité et d’abnégation. Nous sommes confiants quant à la poursuite de notre rythme de croissance cette année et l’année prochaine. La croissance sera encore meilleure lorsque les nouvelles applications auront fait leurs preuves. Huawei est une entreprise mortelle et il n’est pas impossible qu’un jour elle s’effondre. C’est ce que nous répétons à nos collaborateurs. Récemment, un livre est paru intitulé : «Qui va détruire Huawei ?» Notre leitmotiv est que si nous n’innovons pas et ne nous améliorons pas constamment, viendra un jour où nous disparaîtrons.

Que répondez-vous aux informations sur les logiciels espions «backdoors» (porte dérobée) ?
Nous estimons à Huawei que la richesse immatérielle fait partie de la souveraineté de chaque pays. C’est pour cette raison que lorsque nous traitons avec des États, nous considérons que la souveraineté numérique d’un État est la meilleure garantie de sécurité des données et nous veillons à la respecter. Jamais nous n’avons installé de tels logiciels ! Huawei a signé plusieurs conventions avec des États et organisations pour garantir que sa technologie ne renferme pas de «backdoors» et nous sommes prêts et demandons à signer de telles conventions avec tous nos partenaires.

Huawai affiche des process innovants de fabrication. Comment gérez-vous ce volet ?
Vous avez eu l’occasion, lors de cette visite, de vous rendre à nos locaux et de voir nos lignes de production. Depuis la conception jusqu’à l’approvisionnement, en passant par la fabrication, nous utilisons les logiciels allemands de Siemens et de Bosch ou bien du français Dassault. Beaucoup d’équipements de production sont faits par les Japonais et les Allemands. Il n’y a qu’une faible partie de l’IA qui a été développée par nous-mêmes. Il n’y a presque personne dans ces lignes de production qui mettent une vingtaine de secondes pour créer un smartphone à partir de zéro. Je suis donc convaincu que l’industrie va progressivement se délocaliser. Il faut qu’on soit prêt pour ce jour. Il faut embrasser la mondialisation avec détermination.

Ces nouvelles technologies ne menacent-elles pas l’emploi, puisque des milliers de postes vont disparaître ?
Par le passé, quand une personne avait une formation moyenne de type secondaire ou baccalauréat, elle pouvait obtenir un bon emploi. Mais dans le monde digital et de l’intelligence artificielle, si l’on n’a pas une formation supérieure de haut niveau, son employabilité sera très faible. Même s’il y aura toujours du chômage, la richesse totale augmentera substantiellement dans l’avenir et il y aura des transferts vers des métiers plus reposants. Comment les pays utilisent-ils cette richesse ? Avec de l’argent, certains problèmes pourraient être facilement résolus. Cette richesse pourrait être redistribuée ou investie dans la formation. Ce qui est sûr, c’est que les nouvelles technologies apporteront plus d’efficacité et amélioreront les savoir-faire. Par exemple, Huawei est présente dans plus de 170 pays et paie chaque année près de 20 milliards de dollars d’impôts dans ces pays. J’estime que les gouvernements de ces pays doivent employer en priorité ces impôts dans l’éducation.
Il est certain qu’avec les progrès de l’IA, plusieurs ouvriers dans l’agriculture ou l’industrie n’auront plus besoin de faire des travaux pénibles. Grâce à l’IA, des tracteurs et matériels agricoles pourront fonctionner de manière autonome et sans arrêt 24 h/24. Ces engins pourront fonctionner dans des conditions climatiques difficiles, que ce soit sous de hautes températures ou sous un froid glacial. Il sera même possible de transformer des terres arides en terres arables, par exemple en Égypte, apportant ainsi une valeur ajoutée certaine aux populations en améliorant le rendement de leurs exploitations agricoles. Deuxièmement, dans le processus d’application à grande échelle de l’intelligence artificielle, de nombreuses personnes peuvent être converties en industries basées sur l’expérience. On ne peut pas boire du café avec un robot ! J’ai regardé le film américain «Star Trek», et j’étais plongé dans la dépression quand je sortais du cinéma, car il n’y a personne à bord du vaisseau spatial pour fournir des services, que des robots. Je ressens la solitude et la peur de notre époque. Même si les exigences des êtres humains pourraient être satisfaites, nous aurons toujours besoin d’une bonne ambiance et d’une bonne expérience. C’est pour cela que davantage de personnes se convertiront en industries basées sur l’expérience.
L’emploi est un problème sociologique. Puisque je ne suis ni sociologue ni fonctionnaire, je ne peux pas y répondre. Je peux uniquement répondre que l’intelligence artificielle pourra améliorer la productivité.


Portrait

Le fondateur et président de Huawei est considéré comme un gourou au sein de la firme. Aimé et respecté, ses collaborateurs le qualifient d’humble, visionnaire et travailleur. Cet ancien militaire a décidé il y a une année de répartir le capital de la firme sur l’ensemble des collaborateurs et a organisé un système de représentation du personnel dans les instances de gestion. Le processus d’élection dans les 170 pays a pris plus d’un an. Aussi étonnant que cela puisse paraître, Ren Zhengfai ne dispose pas d’un jet privé et voyage toujours dans des lignes régulières. Il exige d’être accueilli à l’aéroport par un chauffeur, car les managers sur place doivent s’occuper des clients. Fervent défenseur de l’éducation, il n’hésite pas à afficher tout haut ses convictions. Extraits : La Chine est le pays le plus peuplé du monde. Si nous pouvions transformer nos ressources humaines en super pouvoir, nous pourrions concurrencer n’importe qui en toute confiance. C’est pour cela que les enseignants du primaire doivent être davantage respectés. Certes, les enseignants sont maintenant mieux payés qu’auparavant, mais pour donner de l’espoir dans l’avenir à ce pays, nous devons rendre la fonction d’enseigner comme un réel honneur. Aujourd’hui, tous reconnaissent le succès de Huawei, toutefois la grande part de ce succès revient aux scientifiques d’autres pays.

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