Le Matin : Le Maroc connaît une baisse marquée de la fécondité et une augmentation de l’espérance de vie. Quels facteurs peuvent expliquer cette situation ?
Mohamed Fassi Fihri : Le Maroc est aujourd’hui en voie d’achever sa transition démographique et se rapproche rapidement d’un modèle similaire à celui des pays avancés, marqué par une hausse de l’espérance de vie et une baisse significative de la fécondité. L’espérance de vie, qui était de 50 ans en 1960, atteint aujourd’hui près de 77 ans. Quant à l’indice de fécondité, il est passé de 7,2 enfants par femme en 1960 à 1,97 en 2024, soit un niveau désormais inférieur au seuil de remplacement des générations, fixé à 2,1 enfants par femme. Cette baisse concerne aussi bien les femmes urbaines que rurales. Plusieurs facteurs expliquent cette évolution. Parmi les facteurs directs, on peut citer :
• Le recul de l’âge au mariage, passé de 17 ans en 1960 à 25 ans en 2024.
• L’augmentation significative du recours aux moyens contraceptifs : 71% en 2018 contre seulement 8% en 1960.
• L’amélioration des services de santé et la baisse de la mortalité infantile, qui ont réduit le besoin perçu d’avoir un grand nombre d’enfants.
D’autres facteurs sont liés à l’amélioration du statut de la femme. Le taux d’alphabétisation des femmes est passé de 4% en 1960 à 68% en 2024, accompagné d’un net progrès de la scolarisation des filles, notamment en milieu rural. Enfin, des mutations familiales contribuent également à cette dynamique. Il s’agit notamment de la prédominance croissante du modèle de la famille nucléaire (71% en 2024 contre 52% en 1982), de la réduction de la taille des ménages (3,9 personnes en 2024 contre 5,9 en 1982), ainsi que de l’évolution des valeurs, où la qualité de vie et l’éducation des enfants sont désormais privilégiées au détriment du nombre. À cela s’ajoutent les pressions économiques. Face à la hausse du coût de la vie — en matière d’éducation, de santé ou de logement — de plus en plus de couples font le choix de limiter la taille de leur famille pour offrir de meilleures conditions de vie à leurs enfants.
Quels impacts ces évolutions auront-t-elles à court et moyen terme, notamment sur le marché du travail et les systèmes de protection sociale ?
Ces changements démographiques ont plusieurs répercussions notables. D’abord, la pyramide des âges s’inverse progressivement : la part des jeunes de moins de 15 ans est passée de 28% en 2014 à 26,5% en 2024. Cette tendance pourrait faciliter la généralisation de la scolarisation, notamment au niveau secondaire, et constituer une opportunité pour améliorer la qualité de l’enseignement.
Parallèlement, le vieillissement de la population s’accélère. La proportion des personnes âgées de 60 ans et plus est passée de 9% en 2014 à 14% en 2024. En chiffres absolus, cette tranche d’âge regroupe désormais près de 5 millions de personnes, contre 3,2 millions en 2014, avec un taux d’accroissement annuel supérieur à celui de l’ensemble de la population. Cette évolution annonce des défis majeurs pour les caisses de retraite et le système de santé. Celui-ci devra répondre simultanément aux maladies transmissibles, encore présentes dans les pays en développement, et aux maladies liées à la vieillesse, souvent chroniques, longues et coûteuses à prendre en charge.
Par ailleurs, le nombre d’actifs potentiels (15-59 ans) s’accroîtrait de 22 millions à 24,7 millions entre 2024 et 2030 et va exercer une pression plus forte sur le marché de l’emploi. En particulier, les effectifs des jeunes entrant au marché du travail (18-24 ans) leur effectif devrait fluctuer autour de 4,2 millions dans les prochaines années. L'insertion des jeunes sur le marché du travail se heurte à un modèle de développement économique insuffisamment créateur d'emplois, auquel viennent s'ajouter des formations en décalage avec les besoins du marché et le déficit d'emplois décents dans le secteur formel.
Vous avez évoqué récemment un potentiel démographique que le Maroc pourrait transformer en gain économique. Concrètement, quels leviers faut-il activer pour réaliser cette transformation ?
Le Maroc dispose aujourd’hui d’un potentiel démographique qu’il peut convertir en véritable levier de croissance. Il s’agit d’une période favorable, appelée «fenêtre démographique», qui a commencé au début des années 2000 et devrait se refermer vers 2040. Cette phase représente une opportunité pour accélérer le développement économique et améliorer les conditions de vie de la population. Pour en bénéficier, des efforts doivent être menés dans plusieurs domaines clés : la santé, l’éducation, l’emploi, entre autres. Il est également essentiel de mettre en œuvre des politiques économiques incitatives, favorisant à la fois l’épargne et l’investissement, afin de mobiliser les ressources nécessaires pour soutenir cette dynamique.
Dans ce contexte, quel rôle jouera l’urbanisation dans la transformation économique et sociale du Maroc
Il faut noter que la croissance démographique se concentre désormais principalement en milieu urbain. La population urbaine devrait passer de 23 millions en 2024 à 27 millions d’ici 2030, avec un taux d’urbanisation atteignant 68%, contre 62,8% en 2024. Cette concentration est particulièrement marquée dans les zones littorales, encouragée par la création de grandes infrastructures comme les ports et les zones d’activités économiques. L’urbanisation est généralement perçue comme un moteur de développement économique et social. Toutefois, si elle est rapide et mal maîtrisée, elle peut générer des effets inverses : aggravation des problèmes de logement, pression sur l’environnement et les ressources foncières, développement de l’habitat insalubre, difficultés en matière d’emploi, de transports et montée de l’insécurité. Dans ce contexte, une politique d’aménagement du territoire cohérente s’impose. Elle doit s’accompagner de la poursuite des efforts pour résorber l’habitat insalubre, tout en répondant aux nouveaux besoins liés à l’évolution des ménages. En effet, le nombre de ménages devrait atteindre près de 10,4 millions en 2030, avec une taille moyenne en baisse, passant de 3,9 personnes en 2024 à 3,7 en 2030. Cette évolution posera des défis importants en matière de logement et d’équipement domestique. Il faudra non seulement construire environ 1,1 million de logements neufs, mais aussi améliorer les conditions de vie des populations précaires, notamment les migrants vivant dans des situations vulnérables.
Mohamed Fassi Fihri : Le Maroc est aujourd’hui en voie d’achever sa transition démographique et se rapproche rapidement d’un modèle similaire à celui des pays avancés, marqué par une hausse de l’espérance de vie et une baisse significative de la fécondité. L’espérance de vie, qui était de 50 ans en 1960, atteint aujourd’hui près de 77 ans. Quant à l’indice de fécondité, il est passé de 7,2 enfants par femme en 1960 à 1,97 en 2024, soit un niveau désormais inférieur au seuil de remplacement des générations, fixé à 2,1 enfants par femme. Cette baisse concerne aussi bien les femmes urbaines que rurales. Plusieurs facteurs expliquent cette évolution. Parmi les facteurs directs, on peut citer :
• Le recul de l’âge au mariage, passé de 17 ans en 1960 à 25 ans en 2024.
• L’augmentation significative du recours aux moyens contraceptifs : 71% en 2018 contre seulement 8% en 1960.
• L’amélioration des services de santé et la baisse de la mortalité infantile, qui ont réduit le besoin perçu d’avoir un grand nombre d’enfants.
D’autres facteurs sont liés à l’amélioration du statut de la femme. Le taux d’alphabétisation des femmes est passé de 4% en 1960 à 68% en 2024, accompagné d’un net progrès de la scolarisation des filles, notamment en milieu rural. Enfin, des mutations familiales contribuent également à cette dynamique. Il s’agit notamment de la prédominance croissante du modèle de la famille nucléaire (71% en 2024 contre 52% en 1982), de la réduction de la taille des ménages (3,9 personnes en 2024 contre 5,9 en 1982), ainsi que de l’évolution des valeurs, où la qualité de vie et l’éducation des enfants sont désormais privilégiées au détriment du nombre. À cela s’ajoutent les pressions économiques. Face à la hausse du coût de la vie — en matière d’éducation, de santé ou de logement — de plus en plus de couples font le choix de limiter la taille de leur famille pour offrir de meilleures conditions de vie à leurs enfants.
Quels impacts ces évolutions auront-t-elles à court et moyen terme, notamment sur le marché du travail et les systèmes de protection sociale ?
Ces changements démographiques ont plusieurs répercussions notables. D’abord, la pyramide des âges s’inverse progressivement : la part des jeunes de moins de 15 ans est passée de 28% en 2014 à 26,5% en 2024. Cette tendance pourrait faciliter la généralisation de la scolarisation, notamment au niveau secondaire, et constituer une opportunité pour améliorer la qualité de l’enseignement.
Parallèlement, le vieillissement de la population s’accélère. La proportion des personnes âgées de 60 ans et plus est passée de 9% en 2014 à 14% en 2024. En chiffres absolus, cette tranche d’âge regroupe désormais près de 5 millions de personnes, contre 3,2 millions en 2014, avec un taux d’accroissement annuel supérieur à celui de l’ensemble de la population. Cette évolution annonce des défis majeurs pour les caisses de retraite et le système de santé. Celui-ci devra répondre simultanément aux maladies transmissibles, encore présentes dans les pays en développement, et aux maladies liées à la vieillesse, souvent chroniques, longues et coûteuses à prendre en charge.
Par ailleurs, le nombre d’actifs potentiels (15-59 ans) s’accroîtrait de 22 millions à 24,7 millions entre 2024 et 2030 et va exercer une pression plus forte sur le marché de l’emploi. En particulier, les effectifs des jeunes entrant au marché du travail (18-24 ans) leur effectif devrait fluctuer autour de 4,2 millions dans les prochaines années. L'insertion des jeunes sur le marché du travail se heurte à un modèle de développement économique insuffisamment créateur d'emplois, auquel viennent s'ajouter des formations en décalage avec les besoins du marché et le déficit d'emplois décents dans le secteur formel.
Vous avez évoqué récemment un potentiel démographique que le Maroc pourrait transformer en gain économique. Concrètement, quels leviers faut-il activer pour réaliser cette transformation ?
Le Maroc dispose aujourd’hui d’un potentiel démographique qu’il peut convertir en véritable levier de croissance. Il s’agit d’une période favorable, appelée «fenêtre démographique», qui a commencé au début des années 2000 et devrait se refermer vers 2040. Cette phase représente une opportunité pour accélérer le développement économique et améliorer les conditions de vie de la population. Pour en bénéficier, des efforts doivent être menés dans plusieurs domaines clés : la santé, l’éducation, l’emploi, entre autres. Il est également essentiel de mettre en œuvre des politiques économiques incitatives, favorisant à la fois l’épargne et l’investissement, afin de mobiliser les ressources nécessaires pour soutenir cette dynamique.
Dans ce contexte, quel rôle jouera l’urbanisation dans la transformation économique et sociale du Maroc
Il faut noter que la croissance démographique se concentre désormais principalement en milieu urbain. La population urbaine devrait passer de 23 millions en 2024 à 27 millions d’ici 2030, avec un taux d’urbanisation atteignant 68%, contre 62,8% en 2024. Cette concentration est particulièrement marquée dans les zones littorales, encouragée par la création de grandes infrastructures comme les ports et les zones d’activités économiques. L’urbanisation est généralement perçue comme un moteur de développement économique et social. Toutefois, si elle est rapide et mal maîtrisée, elle peut générer des effets inverses : aggravation des problèmes de logement, pression sur l’environnement et les ressources foncières, développement de l’habitat insalubre, difficultés en matière d’emploi, de transports et montée de l’insécurité. Dans ce contexte, une politique d’aménagement du territoire cohérente s’impose. Elle doit s’accompagner de la poursuite des efforts pour résorber l’habitat insalubre, tout en répondant aux nouveaux besoins liés à l’évolution des ménages. En effet, le nombre de ménages devrait atteindre près de 10,4 millions en 2030, avec une taille moyenne en baisse, passant de 3,9 personnes en 2024 à 3,7 en 2030. Cette évolution posera des défis importants en matière de logement et d’équipement domestique. Il faudra non seulement construire environ 1,1 million de logements neufs, mais aussi améliorer les conditions de vie des populations précaires, notamment les migrants vivant dans des situations vulnérables.
