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Santé publique : À bâtons rompus avec Khalid Aït Taleb

Accès aux soins de santé, fuite des cerveaux, prise en charge des maladies mentales… le ministre de la Santé et de la protection sociale, Khalid Aït Taleb, revient sur les principaux sujets qui préoccupent les Marocains. Cet entretien a été accordé au « Matin » en marge de la troisième édition de la Conférence internationale de la santé en Afrique qui s’est déroulée à Lusaka en Zambie, du 27 au 30 novembre. Porté par l’Union africaine, cet événement vise à rassembler les leaders et les décideurs pour échanger sur les thématiques liées à la santé. La quatrième édition de cette conférence sera organisée au Maroc en 2024.

Le Matin  : Le Maroc a pris part à la troisième édition de la Conférence internationale sur la santé en Afrique de l’Union africaine. Quelles étaient les principales motivations de cette participation  ?

Khalid Aït Taleb  :
La participation du Maroc à cet événement émane de la volonté Royale visant notamment à assurer la souveraineté continentale en matière de santé. Il convient de souligner à ce titre que la pandémie liée à la Covid-19 a poussé le monde à jeter un regard différent sur la santé et que grâce à la Vision éclairée de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le Maroc a pu faire preuve de résilience et de proactivité. Cela a été possible malgré le constat sur le système de santé, que ce soit au niveau national ou international. Il convient aussi de préciser que le continent africain a été laissé à la traîne pendant la gestion de la pandémie, principalement en matière d’approvisionnement en vaccins. C’est pour cela que Sa Majesté insiste aujourd’hui sur la souveraineté de l’Afrique, notamment en matière de sécurité médicamenteuse. Il a même précisé que l’Afrique ne pouvait compter que sur elle-même et que le temps de l’Afrique avait sonné. Effectivement, l’apport du Maroc au niveau de l’Afrique permet au continent de jouer ce leadership. Le but aujourd’hui est de faire converger les efforts en vue d’avoir une seule politique sanitaire.



« Briser les barrières  : repositionner l’Afrique dans l’architecture de la santé mondial" était la thématique retenue pour la troisième édition du CPHIA. Selon vous, quelles sont les barrières que le continent doit surmonter aujourd’hui  ?

En observant les travaux de la troisième édition de la CPHIA à Lusaka, on peut aisément constater qu’on est tous africains, mais qu’on reste cloisonnés. On essaye de mettre en exergue les différentes cultures dans l’objectif de montrer la différence et on cherche aussi à distinguer entre ceux qui sont francophones et ceux qui sont anglophones au sein de l’Afrique centrale, alors que nous sommes confrontés aux mêmes problématiques. Cela dit, la première barrière à surmonter est d’ordre politique avec l’objectif de retrouver une certaine convergence sur les problématiques d'intérêt commun. Il faut aussi briser les barrières de dépendance de l’Occident. Le continent africain regorge de richesses et à leur tête le capital humain. D’ailleurs, notre continent est le plus jeune du monde avec un taux important de fécondité. Si l’Afrique compte aujourd’hui 1.400.000.000 d’habitants, cela veut dire que d’ici 2040, on dépassera les deux milliards et qu’on aura beaucoup de potentiel sur lequel il faudra miser pour avancer ensemble et repositionner l’Afrique dans l’architecture mondiale de la santé.


Dans votre discours à la Conférence, vous avez indiqué qu’il y a nécessité aujourd’hui de minimiser les dépenses en matière de santé. Qu’est-ce que cela signifie  ?
Aujourd’hui, beaucoup de maladies dépendent essentiellement d’un manque d’infrastructures et des problèmes d’accès à l’eau potable, mais aussi et surtout des problèmes culturels, de scolarisation et d’hygiène. Partant du principe que la question de la santé est centrale dans les politiques publiques, si vous décloisonnez le pays, notamment en garantissant un environnement sain, une bonne éducation, une bonne infrastructure routière et des hôpitaux accessibles à tous, beaucoup de maladies infectieuses et émergentes seront réduites et, partant les dépenses de santé le seront aussi. Il faut commencer par éviter l’évitable avant de passer au traitement des maladies du siècle, comme le cancer et les maladies dégénératives qui consomment un budget important, et donc réserver le budget aux axes qui nécessitent la R&D. Sur ce volet, l’Afrique a aujourd’hui le temps de rattraper le retard, grâce à sa population jeune. Il ne faut pas oublier que les autres populations sont aujourd’hui vieillissantes et ceci fait que la R&D reste portée par des bras africains. Effectivement, beaucoup de jeunes Africains travaillent dans la R&D pour l’Occident. C’est un potentiel qui sert l’humanité, certes, mais il faut que l’Afrique ait aussi sa par. Il est anormal qu’un continent qui fait face à des épidémies chaque semaine ne réalise que 110 essais vaccinaux ou cliniques par an, alors que plus de 3.000 essais sont réalisés dans d’autres pays. Les efforts doivent converger pour permettre à l’Afrique d’avancer dans ce domaine.


L’accès équitable aux soins était le premier axe traité lors d cette conférence. Au Maroc, votre département mise sur les centres de proximité dont le nombre va passer à 830 d’ici décembre. Dans quelle mesure cette stratégie est-elle gagnante  ?
Il ne faut pas qu’il y ait un amalgame entre les actions que nous réalisons pour les services de santé primaire et celles que nous déployons pour les unités de proximité. Ce sont deux choses différentes. Sa Majesté le Roi Mohammed VI a donné Son accord pour la signature d’une convention entre le ministère de la Santé, la Fondation Mohammed V et un prestataire de service du secteur libéral. C’est une approche de partenariat public-privé qui consiste à mettre en place des unités mobiles connectées en vue de rapprocher les soins des populations des zones enclavées, montagneuses ou rurales. C’est la philosophie du médecin qui part à la recherche du patient et non le contraire. Tout le personnel relève du privé et sera disponible 24 h/24 et 7 j/7.
En ce qui concerne l’approche dite de santé fixe, nous sommes en train de rénover 1.400 centres de santé de proximité avec une architecture moderne et un nouveau modèle organisationnel. Ces centres déploient un système d’information qui permet d’avoir un dossier médical et un système de connexion rendant la télémédecine possible. Ce sont là des centres qui sont déjà opérationnels et qui sont déjà dotés de capital humain. En mixant ces deux approches, je pense qu’on aura répondu à une attente très importante. Il faut savoir aussi que si nous avons misé sur le secteur primaire, c’est parce qu’il est la porte d’entrée du système de santé et qu'il est à même de réduire les dépenses.
On sait très bien aujourd’hui que l’arrivée d’un patient à l’hôpital engendre des dépenses et que beaucoup de décisions sont prises à tort au niveau du secteur hospitalier. Il y a lieu de souligner que 80% des urgences au niveau de l’hôpital sont de fausses urgences. Celles-ci envahissent l’hôpital et l’encombrent en entraînant des délais d’attente qui sont importants, alors que la problématique doit être traitée en amont. Je pèse mes mots et je prends mes responsabilités. J’ai travaillé moi-même dans les urgences et je sais très bien de quoi les gens se plaignent généralement dans ce service. On passe le temps à gérer les conflits des délais d’attente à causse des fausses urgences qu’on peut régler dans les centres de santé.


Mais avec quelles ressources humaines peut-on assurer la stratégie du ministère, sachant que le phénomène de la fuite des cerveaux devient de plus en plus inquiétant  ?
Nous sommes conscients de l’insuffisance en capital humain, mais ce phénomène est planétaire. Plusieurs pays essaient de ponctionner au Maroc et nous sommes aussi en train de chercher à ponctionner d’autres pays. Pour y faire face, il faut se rabattre sur la formation et c’est pour cela que le gouvernement a décidé de multiplier les centres de formation, de couvrir tout le Maroc. Le but est que chaque région soit dotée d’une faculté de médecine avec des centres de formation des infirmiers et des techniciens de santé et qu’elle soit capable de former ses propres compétences. Des besoins qui seront identifiés par le groupement sanitaire implanté dans la région. Le groupement aura la responsabilité d’élaborer une carte sanitaire qui définira exactement les besoins en infrastructures et en capital humain.
Avec cette stratégie, on compte réduire les insuffisances d’ici 2025 et faire en sorte que le ratio passe de 1,7 de professionnel de santé par 1.000 habitants à 2,5 pour mille habitants, comme recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ceci restera tout de même insuffisant, compte tenu de nos objectifs de développement durable. Ce qui est recommandé pour nous, c’est d’avoir 4,2 pour mille habitants et on y arrivera avec la même cadence d’ici 2028. Le phénomène de la fuite des cerveaux va se poursuivre et c’est par le biais de la formation que le Maroc pourra supporter un certain pourcentage de départs. Il faut aussi souligner que le passage à 6 années d’études en médecine au lieu de 7 est une stratégie qui permettra de faire face à la fuite des cerveaux.
Il convient également de rappeler que Sa Majesté le Roi avait réformé la loi 131.13 relative à l’exercice de la médecine par des médecins étrangers ou les MRE souhaitant revenir au pays. Cette loi contenait beaucoup de freins qu’on a enlevés aujourd’hui. Toutefois, on n’a pas encore augmenté le nombre de médecins étrangers au Maroc qui ne dépasse pas la centaine. Ceci s’explique par le fait que le statut du médecin au Maroc n’est pas encore attractif, raison pour laquelle la fonction sanitaire rentrera en vigueur une fois que les textes d’application seront publiés. Ceci apportera beaucoup d’incitations relatives à la rémunération de l’activité. Le médecin aura un salaire fixe et un salaire variable en fonction de ce qu’il produit. Ceci permettra ainsi de fidéliser les médecins du secteur public et d’attirer les étrangers. On partira d’un niveau non attractif à un niveau très incitatif. Les infirmiers et les sages-femmes seront également concernés.


Parmi les questions évoquées lors de cette conférence figure celle de la santé mentale. Je voudrais vous interpeller sur ce sujet, car la situation est alarmante au Maroc...
Effectivement, la santé mentale est en souffrance, parce que c’est une discipline qui jusque-là n’était pas trop prisée par les médecins. Nous avons une insuffisance importante en termes de psychiatres. Lors des choix des spécialités, rares sont ceux qui optent pour la psychiatrie et vous savez qu’on ne peut pas développer la santé mentale sans psychiatres. Je suis sûr qu’il y a quand même tout un environnement ou un écosystème qui nécessite des psychologues, des psychanalystes, des psychoéducateurs, etc., mais qui tourne autour du psychiatre. Cette insuffisance nuit à notre politique de santé mentale, pour laquelle on cherche une solution. Premièrement, nous avons besoin de revoir la loi qui a été déposée au Parlement en 2015 et que j’ai retirée dernièrement parce qu’elle est obsolète, d'autant plus que la psychiatrie dans le monde a évolué. Deuxièmement, nous devrons réorganiser la santé mentale avec une nouvelle vision et une nouvelle gouvernance. On ne peut pas garder les hôpitaux tels qu’ils sont aujourd’hui parce qu’ils sont stigmatisants.
Troisièmement, il faut développer la psychiatrie ambulatoire à part entière avec des prises en charge ponctuelles et des services très courts et rapides.

Parallèlement, il faut aussi développer les partenariats public-privé. C’est ainsi qu’on arrivera à changer les mentalités, car la santé mentale, c’est encore taboue au Maroc. Aux États-Unis, la psychiatrie est la première discipline choisie parce que même l’entretien entre le patient et le malade est bien valorisé. Chez nous, c’est encore une consultation classique. Une chose est sûre, c’est qu’on ne peut pas là, tout de suite, espérer avoir une amélioration de la santé mentale sans l’implication de tout le monde et la révision de la nomenclature. La santé mentale est prioritaire pour nous, mais il faut d’abord jeter les jalons de la réforme et la mettre en œuvre sur le terrain. Ceci sans parler des barrières culturelles qu’il faut aussi surmonter.


Le Maroc va organiser la quatrième édition de la Conférence internationale sur la santé en Afrique en 2024. Qu’est-ce que cela représente pour vous  ?
C’est une fierté pour nous tous. Ceci est le résultat des efforts consentis sous l'Impulsion de Sa Majesté qui ne cesse de plaider pour la souveraineté continentale et le travail en réseau des pays africains. Grâce à notre potentiel et à nos compétences, nous pouvons réduire les disparités et créer un espace d’échange commun qui permettra de répondre à toutes les questions. Aujourd’hui, il y a un capital confiance qui se développe entre le Maroc et le réseau africain. Nous sommes contents d’accueillir ce grand événement dans notre pays.
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