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Révision du Code de la famille : les associations féminines affûtent leurs armes

Mariage des mineurs, polygamie, garde des enfants, pension alimentaire, statut des mères célibataires, reconnaissance de la paternité, partage des biens… La liste de griefs établie par les associations de défense des droits de la femme et de l’enfant est plutôt longue. Ces ONG affûtent leurs armes et se tiennent prêtes pour la phase des consultations élargies qui seront menées par le Comité en charge de la révision du Code de la famille en application des Hautes Orientations Royales contenues dans la Lettre que le Souverain a adressée au Chef du gouvernement pour la réforme de la Moudawana.

Outre les instances judiciaires, le Conseil supérieur des oulémas, le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) et l’Autorité gouvernementale chargée de la famille, la révision du Code de la famille initiée sur Hautes Instructions Royales ne saurait être menée sans l’implication de la société civile. Ainsi, dans le processus de réforme qui va débuter incessamment par une première phase de concertations élargies, les associations de défense des droits de la femme et de l’enfant doivent par la force des choses avoir voix au chapitre. Et pour cause, ces dernières n’ont cessé de dénoncer les dysfonctionnements mis au jour par deux décennies d’application de la Moudawana. Elles auront donc l’occasion d’exposer leurs griefs et de soumettre leurs propositions au Comité de pilotage de ce chantier de grande importance.



De par leur action sur le terrain, les associations engagées pour la défense des droits de la femme et de l’enfant connaissent bien le sujet. D’ailleurs, nombre d’entre elles ont déjà une liste toute prête des points qui devraient être concernés en priorité par les amendements en vue. À l’image de l’Association Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté (ATEC) qui se dit prête à contribuer activement au processus national visant à réformer le Code de la famille.

«Notre équipe juridique, en collaboration avec de nombreux experts et défenseurs/ses) des droits des femmes, a élaboré un mémorandum sur le Code de la famille qui rassemble les principales idées émanant des débats qui ont lieu au sein du mouvement associatif marocain des femmes et des droits de l’Homme», indique Bouchra Abdou, présidente de l’ATEC. «Ce document est étayé par des données, des statistiques, des arguments juridiques et historiques, ainsi que par des références à l’héritage islamique éclairé et progressiste», précise-t-elle dans une déclaration au «Matin».

L’ATEC, présente à travers son mémorandum un ensemble de revendications, à leur tête la révision du lexique employé par la Moudawana. Elle appelle ainsi à supprimer les termes et expressions entérinant des stéréotypes sur les rôles des hommes et des femmes. Elle plaide également pour l’abolition pure et simple du mariage des mineurs, en particulier le mariage précoce des filles, mais aussi pour l’interdiction de la polygamie, un phénomène qui continue à prospérer en dépit des restrictions imposées par l’actuel Code de la famille.

Depuis Son accession au Trône, S.M. le Roi Mohammed VI n’a eu de cesse d’œuvrer pour la promotion de la condition de la femme, en lui offrant toutes les possibilités d’épanouissement et en lui accordant la place qui lui revient de droit. Outre l’adoption de la Constitution de 2011 qui consacre l’égalité homme-femme et, par conséquent, érige le principe de parité en objectif que l’État doit s’employer à atteindre, la promulgation du Code de la famille en 2003 demeure une des réformes majeures engagées sous l’impulsion du Souverain. Ce Code, qui a enclenché une dynamique de changement vertueuse et instauré une conception nouvelle de l’égalité et de l’équilibre familial, a montré toutefois au fil des années quelques insuffisances auxquelles il convient de remédier, comme l’a souligné S.M. le Roi dans Son Discours du 30 juillet 2022. Mais pour le Souverain, la mise à jour de ce texte doit être menée en parfaite concordance avec les desseins ultimes de la Charia et les spécificités de la société marocaine. De même, le Souverain insiste sur la nécessité de veiller à ce que cet élan réformateur soit empreint de modération, d’ouverture d’esprit dans l’interprétation des textes, de volonté de concertation et de dialogue, et qu’il puisse compter sur le concours de l’ensemble des institutions et des acteurs concernés. C’est l’ensemble de ces principes directeurs que l’on retrouve dans la Lettre Royale adressée au Chef du gouvernement le 26 septembre 2023 en vue de la révision du Code de la famille.

Mariage des mineurs, polygamie... les ONG féministes déplorent l’excès des dérogations

Il convient de rappeler que l’actuel Code de la famille fixe l’âge légal du mariage à 18 ans révolus, mais il prévoit des «dérogations» à travers son article 20 qui stipule que «le juge de la famille chargé du mariage peut autoriser le mariage du garçon et de la fille avant l’âge de la capacité matrimoniale (...), par décision motivée précisant l’intérêt et les motifs justifiant ce mariage...» Une exception qui «ouvre malheureusement la voie à des dérives» d’après les constats des associations et des différents acteurs qui travaillent sur ce sujet épineux.

Quant à la polygamie, la Moudawana prévoit plusieurs mesures dissuasives comme l’obligation d’avoir l’autorisation de la première épouse pour pouvoir contracter un second mariage, ou encore la nécessité pour le mari d’apporter une justification objective de l’existence de ressources suffisantes pour entretenir deux familles, ainsi que les garanties assurant sa capacité à verser la pension alimentaire et à assurer le logement pour les deux épouses à titre égal.

ATEC : les tests ADN pour prouver la filiation paternelle

Outre la polygamie et le mariage des mineurs, l’ATEC a fait de l’égalité dans la tutelle légale son autre cheval de bataille. C’est d’ailleurs l’une des injustices de la Moudawana largement décriée par l’ensemble du mouvement associatif. Selon la loi, le père est de droit le tuteur légal de ses enfants, tant qu’il n’a pas été déchu de cette tutelle par un jugement. La mère n’a droit à la tutelle de l’enfant qu’en cas du décès ou d’incapacité du père, ou quand ce père est inconnu ou se trouve dans un endroit inconnu.

L’ATEC milite, par ailleurs, pour que la femme puisse conserver la garde de l’enfant en cas de remariage, mais aussi pour une révision des dispositions relatives à la pension alimentaire en cas de dissolution du mariage. Et ce n’est pas tout ! L’Association appelle aussi à instaurer le partage des biens comme condition pour la validité du contrat de mariage et plaide en faveur de l’utilisation des tests ADN pour prouver la filiation paternelle.

«Nous considérons la Lettre Royale comme un moment important pour l’établissement d’un nouveau Code de la famille répondant aux aspirations légitimes des femmes. Ce nouveau Code devra permettre de surmonter les déséquilibres et les lacunes révélées par plus de 18 ans de mise en œuvre de la législation précédente. Il devra être en parfaite adéquation avec la Constitution de 2011 ainsi qu’avec toutes les conventions internationales auxquelles le Maroc a adhéré et qu’il a ratifiées», relève la présidente de l’ATEC, Bouchra Abdou.

L’UAF pour une refonte du Code de la famille, y compris son lexique, son contenu et sa philosophie

De son côté, l’Union de l’action féministe (UAF) partage les mêmes préoccupations puisqu’elle appelle, elle aussi, à l’abolition de la polygamie, «une pratique qui porte atteinte à la dignité des femmes et met en danger la stabilité et la cohésion de la famille».

«Il n’est plus acceptable aujourd’hui de tolérer le mariage des mineurs et la polygamie, tout comme il n’est plus acceptable d’exclure les femmes de l’accès à la richesse qui se transmet par héritage», soutient Aïcha Loukhmas, avocate et ancienne présidente de l’UAF.

«Au sein de notre association, nous avons appelé à une refonte du Code de la famille, y compris son lexique, l’ensemble de son contenu et sa philosophie, afin qu’il puisse répondre à la situation de la famille marocaine actuelle, au statut de la femme contemporaine et à la société marocaine en général», renchérit la militante ittihadie. «La nouvelle Moudawana doit être compatible avec les dispositions de la Constitution de 2011 qui criminalise la discrimination basée sur le genre et qui établit la pleine égalité entre les femmes et les hommes, y compris dans les droits civils. Elle doit également consacrer l’engagement de l’État pour le respect des conventions internationales qu’il a ratifiées», ajoute-t-elle.

Même son de cloche chez la Fédération de la Ligue démocratique des droits des femmes (FLDDF) qui insiste sur la nécessité d’une mise en adéquation de la Moudawana avec la Constitution et avec les traités internationaux, tout en respectant l’équilibre nécessaire entre les constantes religieuses et les exigences de la modernité et en prenant en considération l’évolution de la société marocaine.

«Nous souhaitons une Moudawana qui garantit la stabilité de la famille et l’égalité des droits et des obligations entre époux, avec comme fondements l’intérêt suprême de l’enfant et le respect de la dignité des femmes. Les dispositions révisées doivent être claires et sans ambiguïté pour ne pas laisser le champ libre à des interprétations contraires à l’esprit de la réforme», explique Samira Mohya, présidente de la FLDDF.

FLDF : l’article 400 ouvre la voie à des interprétations contraires à l’esprit de la Constitution

Celle-ci cite plusieurs dispositions qui, selon la Fédération, devraient être amendées, notamment l’article 400 de la Moudawana qui dispose qu’il faut se référer au rite malikite et à l’Ijtihad pour tout ce qui n’a pas été prévu par le Code. «Pour tout ce qui n’a pas été expressément énoncé dans la Moudawana, le juge doit pouvoir se référer à l’esprit de la Constitution, aux conventions internationales et au dispositif juridique existant», argumente Samira Mohya. L’Association plaide également pour l’interdiction de la polygamie et la suppression des dérogations concédées pour légaliser le mariage des mineures, estimant que «la place de ces filles est à l’école et non dans le domicile conjugal ou dans le travail domestique», relève la militante associative. La FLDF soulève également la question épineuse du mariage de la femme musulmane avec un non-musulman, plaidant pour une égalité des droits entre les femmes et les hommes en matière de mariage mixte. «Aujourd’hui, cette loi est dépassée eu égard au nombre croissant des mariages interreligieux et vu que l’acte de conversion à l’Islam, qui conditionne ce type de mariage, est devenu un acte purement factice», affirme Samira Mohya. Toujours dans le rayon du mariage, la FLDF plaide pour la simplification de la procédure pour les Marocains résidant à l’étranger qui rencontrent plusieurs difficultés liées à la lourdeur des procédures administratives inhérentes à l’application de la Moudawana, notamment le volet relatif à l’établissement de l’acte de mariage. L’Association appelle, par ailleurs, à ce que la dot (Sadaq) ne soit plus une obligation pour établir l’acte de mariage. «Il n’est pas question de supprimer la dot. Mais elle doit être conservée dans les us et coutumes et garder sa valeur symbolique, sans qu’elle soit une condition sine qua non pour établir l’acte de mariage», argumente la militante. Elle évoque également la question de la tutelle légale des enfants qui devrait être accordée aux deux époux. «La tutelle devrait être un devoir partagé entre les deux époux. En cas de divorce, elle devrait revenir à la partie en charge de la garde des enfants, que ce soit la femme ou l’homme. À cela s’ajoute la nécessité d’instaurer la garde partagée comme mode de garde après un divorce», souligne-t-elle. Elle ajoute que la femme devrait pouvoir conserver la garde de son enfant en cas de remariage. «C’est une injustice à l’encontre de la femme puisque l’homme a le droit de se remarier sans faire face aux mêmes contraintes», déplore Samira Mohya. Par ailleurs, la Fédération préconise que la gestion commune des biens acquis pendant le mariage, ainsi que le partage pour moitié de ceux-ci en cas de divorce, qu’ils soient consignés par défaut dans l’acte de mariage et non pas établis via un contrat annexe comme c’est le cas aujourd’hui.

ADFM : il faut rompre avec l’autorité masculine dans les rapports entre les hommes et les femmes

S’inscrivant dans le même ordre d’idée, l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) pointe du doigt l’absence d’une loi distincte portant sur les régimes matrimoniaux et plaide pour la mise en place d’une réglementation stricte régissant la gestion des biens des époux.

L’ADFM, qui a élaboré elle aussi un mémorandum réunissant ses principales observations et recommandations, appelle également à l’abrogation de l’article 400 du Code de la famille qui, estime-t-elle, prive les femmes de plusieurs droits à cause du recours au référentiel malikite qui n’est pas toujours clair, laissant de ce fait la porte ouverte à des jugements qui vont à l’encontre des finalités de la réforme de 2004 et de celles de la Constitution.



L’Association souligne, en outre, plusieurs contradictions et incohérences dans certaines dispositions du Code de la famille, notamment l’obligation faite à la mère aisée de contribuer à l’entretien de sa famille sans pour autant lui reconnaître des droits égaux à ceux de l’époux et vis-à-vis des enfants. Elle déplore par ailleurs la quasi-absence de sanctions civiles ou pénales qui participe à l’impunité dont jouissent les justiciables et autres acteurs du système judiciaire en cas de contournement ou d’infraction aux dispositions du Code de la famille. De même, l’ADFM estime que la future Moudawana devrait globalement rompre avec les concepts fondateurs de l’autorité masculine dans les rapports entre les hommes et les femmes dans la vie privée incarnée par la «tutelle» ou «kiwama». Elle doit également «freiner la perpétuation de la structure patriarcale dans les rapports entre les hommes et les femmes en diffusant un certain nombre de messages sur la répartition des rôles avec la bénédiction du Code de la famille», recommande l’ADFM dans un communiqué diffusé mardi dernier, dans lequel elle soumet à la Commission chargée de l’élaboration du projet de loi relatif au nouveau Code de la famille des propositions en termes de fondements et axes d’interventions et qui plaide pour une législation de la famille qui garantit «l’égalité effective des droits et la justice dans les toutes les situations et tous les cas».
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