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Pénurie d'Aldactone, Sintrom, Statines... les malades s'inquiètent

Des médicaments à caractère vital sont difficilement trouvables ces dernières semaines dans les pharmacies. Parmi les produits concernés, Aldactone, Sintrom, Statines et bien d’autres remèdes destinés à traiter des affections graves comme les cardiopathies ou les cancers. Face à cette situation, le désarroi des malades et de leurs proches est à son comble. Impuissants et résignés, tout ce qu’ils peuvent faire c'est d'espérer que ce problème d’approvisionnement soit réglé dans les plus brefs délais par les autorités sanitaires. Mais au-delà de la dimension humaine de cette problématique, c’est la question de la gestion rigoureuse des stocks et celle de la souveraineté sanitaires qui sont remises sur le tapis.

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Depuis plus d’une semaine, Fatima* multiplie vainement les tentatives dans l’espoir de pouvoir se procurer un médicament vital pour sa survie. À 72 ans, avec un cœur fragile, sa vie dépend de l’Aldactone, un remède qu’elle ne trouve plus dans les pharmacies de Rabat. Or ces petits comprimés sont essentiels pour réguler sa tension artérielle et prévenir des complications qui pourraient lui être fatales.

Pour cette septuagénaire ainsi que sa famille, c’est plus qu’une frustration, c’est une question de vie ou de mort. «J’ai parcouru toutes les pharmacies, l’une après l’autre, et c’est toujours la même réponse : “il n’est pas disponible en raison d’une perturbation de la chaîne d’approvisionnement”», raconte-t-elle, fort contrariée mais impuissante. Et quand elle parvient enfin à trouver une boîte, celle-ci lui suffit à peine pour tenir quelques jours.
Face à cette situation, l’angoisse, l’incertitude et l’incompréhension sont le lot quotidien de cette femme déjà affaiblie par la maladie. Que faire alors ? «Je vis au jour le jour. Je ne sais pas ce qui adviendra de moi demain !», dit-elle tout à son désarroi. Ce triste cas n’est malheureusement pas isolé. Depuis quelques semaines, nombre de médicaments se font rares, voire ont disparu des rayons des pharmacies. Laissant des milliers de malades, ainsi que leur proches, rongés par l’angoisse et craignant le pire.

Des médicaments vitaux introuvables dans les grandes villes

D’après les informations que «Le Matin» a pu collecter, il s’agit d’un problème d’approvisionnement qui touche quasiment toutes les villes du Royaume. Les perturbations concernant les stocks de certains médicaments vitaux sont bel et bien là et leur ampleur varie selon les régions. Si des grandes villes comme Rabat, Casablanca et Marrakech connaissent des ruptures de stock particulièrement visibles, le problème se pose avec moins d’acuité dans les zones éloignées et rurales. Ces ruptures ne concernent pas que des médicaments d’importance secondaire, mais des traitements essentiels, principalement utilisés pour des maladies cardiaques. D’où l’affolement des malades et de leurs proches. L’absence de toute communication officielle au sujet de cette perturbation d’approvisionnement alimentent de vives craintes quant à ses conséquences dramatiques.

Aldactone, Sintrom, Statines... les principaux remèdes concernés

De quels médicaments s’agit-il concrètement ? Selon les professionnels de la santé que nous avons pu contacter, il s’agit du Sintrom. Indispensable pour prévenir les caillots sanguins et les AVC, ce remède manque cruellement dans de nombreuses pharmacies, qu’elles soient en milieu urbain ou rural. Ce médicament est vital pour des milliers de patients qui risquent de faire face à des complications fatales à tout instant. Il s’agit aussi des Statines, essentielles pour traiter les pathologies cardiovasculaires et prévenir les AVC. Elles sont également concernées par la pénurie, au grand dam des personnes souffrant de maladies cardiaques chroniques. Sans traitement, ces patients sont exposés à des risques accrus d’hospitalisations répétées, de dégradation rapide de leur état de santé, voire de décès.

Mais la pénurie ne concerne pas que les traitements pour maladies cardiovasculaires. Des médicaments d’oncologie sont également difficilement trouvables, ajoutant à la confusion des patients. La détresse de ces derniers est d’autant plus grande qu’il n’existe pas toujours d’alternatives fiables, selon nos sources. Mais ce n’est pas le côté le plus sombre du tableau puisque les nourrissons sont aussi affectés par cette situation anormale. Le Coquelusedal Nourrisson, destiné à traiter les affections bronchiques aiguës et bénignes chez les jeunes enfants, connaît des ruptures, laissant les parents impuissants, surtout en cette période hivernale où la santé des plus petits est exposée aux effets néfastes du froid. Le médicament Cristal Nourrissons, utilisé pour traiter la constipation, est également en rupture de stock depuis plusieurs mois, alors qu’il est essentiel pour le confort et le bien-être des nourrissons.

L'absence de traitement de substitution accentue la crainte des malades

Les patients ne sont pas seulement confrontés à une rupture de stock, mais également à une absence de traitements de substitution. De nombreux médicaments, comme l’Aldactone et les Statines, ne disposent pas de véritables équivalents dans les mêmes dosages et formes. Les médecins et pharmaciens se retrouvent ainsi dans l’impasse : il n’y a pas de solution alternative pour ces médicaments essentiels. Le résultat est dramatique : les patients risquent une aggravation de leur état de santé, faute d’un traitement adapté. Une situation qui pourrait tourner à la catastrophe à tout moment. «Le Matin» a tenté de joindre le ministère de la Santé pour obtenir des éclaircissements sur la problématique de l'indisponibilité de certains médicaments, mais à l’heure où nous mettions sous presse aucune réponse ne nous est parvenue.

Les pharmaciens se font discrets malgré tout

Mais qu'en disent les pharmaciens ? Confrontés à cette situation depuis plusieurs semaines, ces professionnels de la santé grincent des dents, mais sans exprimer ouvertement leur mécontentement. Ceux que nous avons approchés se sont gardés de s’exprimer, mais leur réticence cachait mal le malaise ressenti. Trois d’entre eux ont toutefois accepté de parler, mais sous le couvert de l’anonymat. «C’est une pression constante qu’on subit à chaque fois qu’on doit expliquer l’indisponibilité d’un médicament vital», confie l’un d’eux. «Voir les patients dans une telle détresse, surtout les personnes âgées et les malades cardiaques, c’est affligeant. Ils ne comprennent pas pourquoi leur remède n’est plus disponible, et nous n’avons pas de réponses à leur donner, sauf qu’il faut patienter en attendant que les choses rentrent dans l’ordre», explique un autre. Le troisième, pour sa part, souligne que la situation devient de plus en plus difficile à gérer et qu’il est impératif de trouver une solution afin d’éviter des drames éventuels.

Les causes de la pénurie selon Dr Hamdi

Contacté par «Le Matin», le Dr Tayeb Hamdi, médecin chercheur en politiques et systèmes de santé, a accepté volontiers de livrer son analyse. Tout en confirmant l’absence de certains remèdes des pharmacies, il a expliqué que les problèmes d’approvisionnement survenaient dans deux cas de figure : «Il y a les tensions d’approvisionnement qui apparaissent lorsque le médicament est disponible, mais en quantité insuffisante pour répondre à la demande. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une rupture totale, l’approvisionnement est donc sous tension», dit-il, précisant que ce type de tensions peut être causé par des problèmes logistiques, comme des difficultés de transport ou par une demande exceptionnellement élevée.
«Mais il y a aussi les ruptures de stocks qui surviennent lorsque la production est complètement interrompue», note-t-il avant d’ajouter que ces ruptures peuvent résulter de problèmes industriels, du manque de disponibilité du principe actif ou de nouvelles difficultés logistiques. Mais bien que les deux cas (tensions d’approvisionnement ou ruptures de stock) puissent se produire dans de nombreux pays, Dr Hamdi insiste sur le fait que rien ne doit justifier les ruptures fréquentes, surtout pour les médicaments ayant un caractère vital. Cela est d’autant plus vrai, souligne-t-il, qu’au Maroc «la loi impose aux laboratoires de maintenir un stock minimal de trois mois et aux répartiteurs un stock d’un mois».

Les pratiques malsaines de certaines multinationales

L’expert attire par ailleurs l’attention sur un facteur qui expliquerait dans certains cas de tels perturbations : les pratiques peu délicates de certains grands laboratoires. «Ces derniers cherchent à imposer leurs prix dans certains pays en manipulant l’approvisionnement des médicaments. Ils peuvent, par exemple, réduire la production d’un médicament pour préparer le terrain à une augmentation de prix, ou encore jouer cette carte pour négocier des prix plus élevés sur d’autres médicaments. Ils peuvent aussi créer une rupture sur un médicament non concerné par les négociations pour faire pression ailleurs», a analysé Dr Hamdi. Pis encore, selon lui, ces laboratoires peuvent retirer des médicaments peu coûteux du marché pour les remplacer par d’autres plus chers, mais ayant le même effet thérapeutique. «Ces stratégies contribuent largement aux tensions d’approvisionnement et aux ruptures de stock. Il s’agit là d’une pratique qui touche de nombreux pays», a-t-il souligné.
Pour faire face à cette situation, il insiste sur la nécessité de prendre des mesures préventives. «L’accent doit être mis sur les médicaments essentiels et vitaux. Il est impératif de mettre en place un cadre renforcé pour garantir leur disponibilité», note-il. Et d’ajouter que cela passe par une gestion rigoureuse des stocks, le développement de la production locale, l’établissement de stocks stratégiques, l’assurance de la continuité des chaînes d'approvisionnement et la recherche d’alternatives.

De la gestion des stocks à la souveraineté sanitaire

Dr Hamdi est convaincu que la pénurie de certains médicaments doit également nous interpeller sur notre souveraineté sanitaire et sur la nécessité de réduire la dépendance de l’étranger. «Il est impératif de prendre des mesures concrètes pour renforcer notre autonomie en matière de production pharmaceutique. C’est devenu crucial pour garantir un approvisionnement stable et sécurisé à long terme». Mais pour surmonter de telles perturbations d’approvisionnement, les citoyens doivent assumer leurs responsabilités. Car, malheureusement, a déploré l’expert, lorsqu'il y a une tension d’approvisionnement, certains consommateurs, dans la peur de manquer d’un médicament, ont tendance à en acheter des quantités dépassant leurs besoins, ce qui aggrave la situation. Mais là aussi, les autorités sanitaires doivent prendre le lead et montrer l’exemple en termes de transparence et d’efficacité. «Un système de veille et de gestion des stocks à la fois local et national est indispensable pour assurer la disponibilité continue des médicaments vitaux et éviter ainsi de créer un sentiment d’angoisse et d’insécurité», a-t-il relevé, avant de rappeler la nécessité d’adopter une approche proactive en la matière.

En attendant que la gouvernance de ce secteur s’améliore, Fatima, la septuagénaire qui n’arrive toujours pas à trouver sa boite de médicament, n’en finit pas d’être tenaillée par l’angoisse de ne pas trouver le remède qui la maintient en vie. Un sentiment terrible qui peut la terrasser à tout moment. Et là, l’Aldactone ne servirait plus à rien.
* Le nom de la personne, qui tient à garder l'anonymat, a été changé.
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